AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les premier et second moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 20 juin 2003), que, par acte du 18 juillet 1996, la Société générale et la BNP Paribas, constituées en pool bancaire, ont consenti à la société Courrèges Design une ouverture de crédit de quarante quatre millions de francs ou son équivalent en yens japonais, dont il était convenu qu'elle devrait être remboursée dans la devise utilisée ; qu'un avenant du 25 juillet 1996 a porté le montant de ce crédit à la somme de cinquante huit millions de francs ou son équivalent en yens et précisé qu'il serait réalisé dans cette devise ; qu'en février 2001, alors qu'elle se préparait à régler la dernière échéance, la société Courrèges Design, qui avait alors remboursé aux banques la somme totale de 1 012 257 108 yens et restait redevable de celle de 233 328 362 yens correspondant, au cours du change applicable, à 15 399 671,89 francs, s'est avisée qu'après conversion dans la monnaie nationale, le montant total de ses remboursements s'établissait à 51 981 833,41 francs et a estimé ne plus devoir que la différence entre ce montant et la somme de 58 millions de francs qui lui avait été prêtée, soit un solde de 6 018 166,59 francs qu'elle a réglé le 7 février 2001 au moyen de deux chèques ; que les banques n'ayant pas considéré ce paiement libératoire, la société Courrèges Design a saisi le tribunal de commerce en faisant valoir que la monnaie de compte du contrat était le franc de sorte que le montant de son obligation de remboursement devait être déterminé par référence à celui-ci et que la clause prévoyant que la monnaie de paiement pouvait être le yen était illicite ; que, se fondant, par motifs adoptés, sur la circonstance qu'il s'était agi d'un contrat international dont l'une des parties était un consortium de banques, et, par motifs propres, sur le fait que la société Courrèges Design avait, en exécutant la convention, manifesté son accord à un décompte en yens, la cour d'appel a condamné celle-ci, conformément à la demande des banques, au paiement de la somme de 233 328 362 yens ou de leur contre-valeur en francs à la date du jugement sous déduction des deux derniers chèques établis le 7 février 2001 ;
Attendu que la société Courrèges Design fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1 / que par paiements internationaux à la seule occasion desquels les parties ont la faculté de prévoir que le débiteur se libérera de sa dette par un paiement en devise étrangère, il faut entendre des opérations se traduisant par un double mouvement de valeurs de la France vers un pays étranger, et de l'étranger vers la France ; qu'en affirmant que l'ouverture de crédit qui lui avait été consentie constituait un contrat international qui permettait aux parties de reconnaître une valeur libératoire à un paiement en yens, par dérogation à la législation d'ordre public sur le cours forcé, sans expliquer en quoi son engagement donnait lieu à un paiement international, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1895 du Code civil ;
2 / qu'en s'abstenant de rechercher si l'ouverture de crédit lui avait été consentie afin de financer une opération de commerce internationale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1895 du Code civil ;
3 / que la clause "devise étrangère" est illicite lorsqu'elle est stipulée dans un prêt qui ne donne pas lieu à un paiement international ou qui n'est pas destiné à financer une opération relevant du commerce international, quelque soit la profession du prêteur ; qu'en relevant que le prêteur est un consortium bancaire, la cour d'appel a déduit un motif inopérant ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1895 du Code civil ;
4 / que, stipulée dans un contrat interne, la clause "devise étrangère" est atteinte d'une nullité absolue qui est insusceptible de toute renonciation ; qu'il s'ensuit qu'elle était en droit d'exciper de l'illicéité de la clause du prêt qui lui imposait de régler sa dette en yens, peu important qu'elle en ait exécuté les termes et qu'elle ait donné son accord à un décompte en yens ; qu'en décidant qu'elle ne pouvait plus régler sa dette en francs après avoir remboursé huit échéances du prêt en yens suivant un décompte établi dans cette devise qui avait reçu son accord, la cour d'appel a déduit un motif inopérant ; qu'ainsi elle a violé les articles 6 et 1895 du Code civil ;
5 / que le franc constitue la monnaie de compte d'un prêt libellé en yens lorsque l'emprunteur s'engage à en rembourser la contre-valeur en francs ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, par acte du 18 juillet 1996 modifié par avenant du 25 juillet 1996, la BNP Paribas et la Société générale lui ont consenti une ouverture de crédit de cinquante huit millions de francs ou leur contre-valeur en devises ; que les juridictions du fond ont constaté qu'elle s'était engagée à rembourser le montant par dix semestrialités de 5 800 000 francs chacune, dans un avenant du 25 juillet 1996, après avoir opté pour une mise à disposition en yens ; qu'elles ont enfin constaté que le prêt stipulait "qu'en cas d'utilisation du prêt en yens, la contre-valeur serait calculée sur la base du cours officiel du marché des changes de Paris de la devise considérée contre le franc français, deux jours ouvrés avant la date de mise à disposition des fonds" ; qu'en décidant que sa dette se compte en yens, dans sa monnaie de paiement, bien qu'elle se fut seulement engagée à rembourser en francs chaque semestre, l'équivalent en yens, au jour du paiement de la somme de cinquante-huit millions de francs qui lui avait été prêtée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que le franc était la monnaie de compte d'un prêt dont le yen était seulement la monnaie de paiement ;
qu'ainsi elle a violé l'article 1134 du Code civil par refus d'application ;
6 / qu'elle rappelait, dans ses conclusions, que l'ouverture de crédit qui lui avait été consentie lui laissait la faculté d'emprunter à nouveau les sommes qu'elle venait de rembourser, dans la limite d'un encours qui était calculé en francs français ; qu'ainsi, faisait-elle valoir que "les banques ont entendu plafonner le montant des sommes empruntées en francs français par rapport à l'évolution de la devise japonaise, et que ce plafonnement a été rédigé de la manière suivante : "Contrôle de la contre-valeur en FRF de l'encours en devises : Le montant des utilisations ne devra pas dépasser la contre-valeur de FRF 44 000 000. La contre-valeur des utilisations sera calculée lors de chaque utilisation ou au début de chaque période d'intérêts au taux de change en vigueur au jour de la vérification ; si cette valeur est supérieure de 5 % par rapport au montant d'origine, les banques ne renouvelleront l'encours que pour un montant en devises correspondant à la contre-valeur du montant d'origine exprimé en franc français" ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
7 / qu'à supposer qu'une incertitude subsiste sur le choix du franc comme monnaie de compte, il est présumé que la monnaie de compte est celle du pays dont la loi est applicable au contrat ; qu'en se bornant à relever qu'elle était tenue de rembourser le prêt dans la devise empruntée, après avoir constaté que le prêt fixait les échéances de remboursement à dix semestrialités de 5 800 000 francs, la cour d'appel qui s'est abstenue de rechercher, comme elle y était invitée dans une note en délibéré, si la loi française était applicable à ce contrat, s'est déterminée par des motifs impropres à établir que les parties aient entendu écarter le franc français comme monnaie de compte ; qu'ainsi elle a violé les articles 3, 1134, 1243 et 1895 du Code civil ;
8 / qu'en lui laissant la faculté de rembourser sa dette en yens ou en francs français, après avoir constaté que le prêt stipulait une clause "devise étrangère" qui imposait à l'emprunteur de s'en acquitter en yens , et qui excluait de se référer au franc comme monnaie de compte, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil par refus d'application ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt ayant relevé que la convention des parties prévoyait la mise à disposition de la société Courrèges de la somme de 44 000 000 francs portée ensuite à celle de 58 000 000 francs ou, au choix de l'emprunteur, de sa contre-valeur en yens, celle-ci devant alors être calculée sur la base du cours officiel du marché des changes de Paris de la devise considérée contre le franc français, deux jours ouvrés avant la mise à disposition des fonds, et le remboursement devant, dans ce cas, être effectué dans la devise choisie, il en résultait que c'était le yen, pour lequel la société Courrèges Design avait opté lors de la remise des fonds et qui avait dès lors servi de référence pour déterminer le montant de son obligation de remboursement, qui avait servi de monnaie de compte ;
Et attendu, en second lieu, que la société Courrèges Design n'ayant jamais démenti ni controuvé les affirmations des banques selon lesquelles le crédit accordé lui avait permis d'acquérir les actions détenues par les consorts X..., domiciliés en Suisse, dans la société Courrèges parfums investissements et aussi de rembourser un emprunt également souscrit en Suisse, par une de ses filiales, auprès du CIAL, la cour d'appel en a exactement déduit, par motifs adoptés, que ce crédit étant destiné à financer des opérations de commerce international, le choix du yen comme monnaie de compte était licite ;
D'où il suit que l'arrêt, qui n'avait pas à répondre au moyen inopérant évoqué par la sixième branche et qui n'a violé aucun des textes invoqués, se trouve légalement justifié ; que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Courrèges Design aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à la Société générale, d'une part, et à la société BNP Paribas, d'autre part, la somme de 2 000 euros ; rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille cinq.