AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 3 juin 2003), que le Crédit industriel de l'Ouest (la banque) a financé un marché de travaux dont sa cliente, la société Maçonnerie varadaise (la société SMV) était attributaire, en lui accordant des avances en contrepartie de cessions de créances professionnelles, entre le 2 mars et le 15 septembre 1992 ; que cette dernière à été mise en liquidation judiciaire le 17 septembre suivant ; que M. X..., liquidateur judiciaire de la société SMV (le liquidateur), a recherché la responsabilité de la banque pour soutien artificiel de crédit en invoquant notamment, son absence de diligence pour s'informer de la situation irrémédiablement compromise de la société SMV ;
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au liquidateur la somme de 465 124 euros en principal à titre de dommages-intérêts, alors selon le moyen :
1 / que n'est pas fautif l'octroi ou le maintien de son concours par la banque qui, faisant preuve d'une diligence normale, ne pouvait connaître la situation obérée de la débitrice principale ; qu'en l'espèce, en imputant à la banque le fait d'avoir quadruplé le concours bancaire apporté à la société SMV, à compter du mois de mai 1992, sans constater que cette augmentation était disproportionnée par rapport au montant du marché de travaux qu'elle était destinée à financer et bien qu'il résultât des constatations des premiers juges - expressément reprises par l'exposant - non-démenties par l'arrêt, que jusqu'au début du mois de juillet 1992, le compte courant de la société SMV, honorablement connue dans la région pour son travail et sa probité, avait fonctionné de façon parfaitement normale, que les cessions de créances des 2, 31 mars et 27 avril 1992 avaient été intégralement réglées par le débiteur cédé et que les créanciers privilégiés de la société SMV, notamment l'URSSAF et le Trésor public, ayant apparemment omis de publier leurs créances privilégiées au greffe du tribunal de commerce, n'avaient nullement cherché à les recouvrer ou à alerter les partenaires de la débitrice, ce dont il résultait nécessairement qu'au moment de l'augmentation accordée, la banque ne pouvait pas connaître la situation obérée de sa cliente, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute retenue, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 / qu'il était constant que le bilan comptable de la société SMV pour l'exercice 1990 était positif et qu'avant d'octroyer à celle-ci le crédit autoliquidatif reproché, la banque avait interrogé la société KPMG, expert-comptable de la société SMV, sur les raisons de l'absence de communication du compte de résultat arrêté au 31 octobre 1991, laquelle lui avait indiqué que, pour des raisons d'organisation administrative, l'assemblée générale extraordinaire du 30 octobre 1991 avait reporté la clôture de l'exercice 1991 au 28 février 1992 ; qu'il résulte en outre des propres constatations de l'arrêt que, compte tenu des délais usuels d'établissement des bilans, l'arrêté des comptes du 28 février 1992 n'aurait été disponible -au plus tôt- qu'à la fin du mois d'avril 1992 ; que dès lors, en affirmant que la banque avait commis une faute en augmentant son concours à compter du mois de mai 1992, sans procéder aux vérifications qu'imposaient des circonstances particulières résultant de l'absence de comptabilité régulièrement tenue, bien qu'en l'état des diligences normales accomplies par la banque, compte tenu des explications rassurantes fournies par l'expert-comptable de la société SMV et du bref délai entre la date prévue pour l'arrêté des comptes annuels et l'octroi du concours litigieux, rien ne lui laissait augurer le défaut de tenue de comptabilité révélé par la suite, la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser la faute de l'exposant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3 / qu'en mettant à la charge de la banque une obligation de vigilance particulière, au motif erroné que l'accroissement sensible du volume d'affaires de la société SMV, bénéficiaire à compter de décembre 1991 d'un marché de construction de 40 logements locatifs consenti par la société Samo dont elle avait expressément constaté la réalité, représentait un risque économique patent, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
4 / qu' il résulte également des énonciations de l'arrêt que les cessions de créances litigieuses avaient été justifiées par les états de situation de travaux visés par l'architecte les 5 mars, 7 avril et 28 juillet 1992 ; que comme le soutenait la banque, le document visé par l'architecte le 28 juillet 1992 attestait de l'avancement des travaux sur la période comprise entre le 31 mars 1992 et le 27 juillet 1992 , dont le montant correspondait aux avances versées ; que dès lors, en imputant à faute à la banque un prétendu défaut de vérification des conditions d'exécution du marché de travaux cédé en garantie du concours accordé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1382 du Code civil ;
5 / que, comme l'avait soutenu la banque, et retenus les premiers juges, la carence des principaux créanciers de la société SMV (fournisseurs, URSSAF et Trésor public) à recouvrer leurs créances et à alerter les partenaires de l'entreprise était à l'origine de l'aggravation de son passif, dès lors que leur inertie avait empêché l'ouverture d'une procédure collective dès le 15 février 1992, date à laquelle la société SMV se trouvait déjà en état de cessation des paiements du fait du non-paiement des dits créanciers, ce que -contrairement auxdits organismes- la banque n'était pas en mesure de savoir ; qu'en décidant le contraire, bien qu'elle eût constaté que la situation de la société SMV était gravement obérée des le mois de février 1992, l'URSSAF et les organismes sociaux étant impayés depuis février 1992, les fournisseurs, depuis avril 1992, et le Trésor public depuis mai 1992, ce qui justifiait que l'état de cessation des paiement soit reporté au 15 février 1992, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les avances de la banque, qui se sont élevées, entre le 29 avril et le 17 juin 1992, à un montant de 3 550 000 francs, consenties sur simple présentation de bordereaux, n'ont plus été justifiées par des situations visées par un architecte et que, malgré un incident de paiement le 10 juillet 1992, les avances de la banque se sont encore poursuivies les 28 juillet et 10 août suivant pour un montant de 1 700 000 francs ; que le montant cumulé des avances consenties a ainsi excédé la valeur de la prestation de l'entreprise de 1 491 694 francs ; qu'il constate également que ce concours, apportés à la société SMV, qui avait soudainement quadruplé, s'est maintenu à partir de mai 1992 sans que la banque, qui ne disposait que des comptes arrêtés au 30 octobre 1990, ait jamais cherché à obtenir communication des documents comptables qui auraient dû être arrêtés au 28 février 1992 après que la clôture de l'exercice a été différée de quatre mois, et qu'il n'est pas contesté qu'elle ne s'est à aucun moment inquiétée des motifs pour lesquels ces documents n'ont jamais été établis, circonstance en elle-même alarmante ; que l'arrêt relève en outre que le risque économique patent, caractérisé par le report puis le défaut d'établissement des documents du dernier exercice conjugué à l'accroissement sensible du volume des affaires d'une entreprise dont l'évolution de la situation financière était inconnue devait conduire la banque à faire preuve d'une vigilance particulière pour veiller à ce que les avances consenties ne masquent pas, par un soutien artificiel, les pertes d'exploitation que sa cliente était susceptible d'accuser ; qu'il relève enfin que le simple devoir de discernement de la banque aurait dû à tout le moins, en l'absence d'informations comptables, la conduire à se faire justifier de ce que sa cliente honorait ses dettes fiscales et sociales ;
qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations dont elle a déduit que si la banque avait fait preuve d'une diligence normale, en procédant aux vérifications qu'imposaient ces circonstances particulières, elle aurait dû savoir, en mai 1992, que la situation de la société SMV était irrémédiablement compromise, la circonstance de l'inertie procédurale des organismes sociaux et du Trésor n'étant pas exclusive de la faute de la banque, la cour d'appel a justifié légalement sa décision ; que le moyen, inopérant dans ses premières, deuxième, quatrième et cinquième branches est non fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Crédit industriel de l'Ouest aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du Crédit industriel de l'Ouest et le condamne à payer la somme de 2 000 euros à M. X..., ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille cinq.