AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt partiellement confirmatif attaqué (Rennes, 1er octobre 2002), que la société Publicis grand angle (la société Publicis) a été victime, de 1987 à 1990, de détournements de fonds, commis au moyen de chèques tirés sur des comptes dont elle était titulaire à la Caisse régionale de Crédit agricole du Finistère (la CRCAM) et dans un autre établissement bancaire, par l'un de ses employés, M. X... ; que celui-ci a été condamné par la juridiction pénale à réparer le préjudice subi par la société Publicis ; que, saisi par la société Publicis d'une action en responsabilité contre la CRCAM et les commissaires aux comptes, la société Cabinet Robert Mazars (le cabinet Mazars) et M. Y..., le tribunal de grande instance a, par jugement du 15 mars 1995, déclaré la CRCAM responsable du préjudice causé à la société Publicis du fait des agissements de M. X... et a condamnés les commissaires aux comptes à payer une certaine somme, rejeté une exception de prescription opposée par eux et, avant dire droit sur leur responsabilité, ordonné une expertise ; que le cabinet Mazars et M. Y... ont interjeté appel de cette décision puis se sont désistés ; que statuant au fond, après le dépôt du rapport d'expertise, par jugement du 17 mai 2000, le tribunal de grande instance a déclaré recevable l'action en paiement dirigée par la CRCAM contre les deux commissaires aux comptes, sur le fondement de sa subrogation légale dans les droits de la société Publicis et a condamné ces derniers in solidum pour moitié à réparer les conséquences dommageables des détournements ; que le 27 juin 2000, M. Y... a interjeté appel du jugement du 17 mai 2000 et le 28 juillet 2000, du jugement du 15 mars 1995 ; que par l'arrêt attaqué, la cour d'appel, statuant sur l'appel du 24 novembre 2000 du cabinet Mazars contre les jugements du 15 mars 1995 et du 17 mai 2000 et, après jonction, sur l'appel de M. Y... du 14 mars 2001 visant ces mêmes jugements, a déclaré recevables les deux appels et prescrite l'action en responsabilité engagée à l'encontre des deux commissaires aux comptes au titre des exercices 1987 et 1988 et mal fondée pour l'exercice de 1989 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la CRCAM fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré l'appel de M. Y... du 14 mai 2001 recevable alors, selon le moyen :
1 ) que le caractère mixte ou avant dire droit d'un jugement doit se déterminer par chef de demande lorsque les demandes sont divisibles ; que le jugement du 15 mars 1995 est un jugement incontestablement mixte à l'égard des commissaires aux comptes quant au chef de demande relatif à la prescription de l'action en responsabilité exercée à leur encontre, l'action en responsabilité exercée ayant été déclarée non prescrite ; qu'en confirmant l'irrecevabilité de l'appel intenté le 6 juin 1995, la cour d'appel viole l'article 544 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) qu'en vertu du principe de simultanéité des recours, une déclaration d'appel qui ne contient que l'indication du jugement rendu sur le fond d'un litige ne défère pas à la cour d'appel un jugement antérieur qui, dans la même instance et sans y mettre fin, a statué sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident ;
que l'appel contre les deux jugements doit être formé dans le même acte ou, à tout le moins, que l'appel différé doit être formé le même jour que l'appel contre la décision au fond ; qu'en l'espèce, l'appel du jugement au fond a été interjeté par déclaration en date du 27 juin 2000 et l'appel du jugement avant dire droit par déclaration en date du 28 juillet 2000 ;
qu'en déclarant recevable l'appel du jugement du 15 mars 1995, la cour d'appel viole les articles 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que pour justifier la recevabilité de l'appel du jugement du 15 mars 1995, la cour d'appel retient que l'appel du "24 novembre 2000 était recevable, en ce qu'il vise les deux jugements rendus, avant dire droit et au fond" ; que la simple lecture de l'appel en date du 24 novembre 2000, permet de constater que cet acte n'a été formé qu'à l'encontre de "l'ordonnance de M. le premier président autorisant l'appel à jour fixe", qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard des articles 544 et 545 du nouveau Code de procédure civile, violés ;
Mais attendu, d'une part, que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident ne peuvent être frappés d'appel indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal ;
Attendu, que par motifs propres et adoptés l'arrêt retient que le jugement du 15 mars 1995, dans ses chefs de dispositif concernant les commissaires aux comptes, s'est limité à rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et à ordonner une expertise et que ce faisant, le tribunal n'a pas tranché, dans les rapports entre les commissaires aux comptes et la société Publicis, une partie du principal ; que, dès lors que la fin de non-recevoir telle que la prescription est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen du fond, pour défaut de droit d'agir, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'appel du 6 juin 1995 était irrecevable ;
Attendu, d'autre part, que pour déclarer recevable l'appel du jugement du 15 mars 1995, la cour d'appel qui a constaté que M. Y... avait usé de la faculté de régulariser son appel par un acte du 14 mars 2001, en application de l'article 115 du nouveau Code de procédure civile, n'a pas dit que l'appel du jugement au fond avait été interjeté le 27 juin 2000 et l'appel du jugement avant dire droit par acte du 28 juillet 2000 ;
Et attendu, enfin, que sous couvert du grief non fondé de manque de base légale, le moyen tend en sa troisième branche à remettre en cause le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond sur les mentions de l'acte d'appel ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches :
Attendu que la CRCAM fait grief à l'arrêt d'avoir jugé que la prescription de l'action en responsabilité civile à l'encontre des commissaires aux comptes était acquise pour les exercices 1987 et 1988, non fondée pour l'exercice 1989 et d'avoir rejeté ses demandes alors, selon le moyen :
1 ) que, d'une part, en cas de dissimulation résultant d'un détournement d'un préposé, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre des commissaires aux comptes doit être fixé au jour de la certification des comptes avec réserves ou du refus de certification de des comptes ; que la certification fautive des comptes annuels des 31 mai 1988 et 9 mai 1989, ne constituait pas le point de départ du délai de prescription, en présence d'un dommage dissimulé résultant des détournements de M. X..., mais le fait dommageable imputable au commissaire aux comptes ; qu'en estimant que l'action en responsabilité intentée à l'encontre de M. Y... et du cabinet Robert Mazars était prescrite, la cour d'appel ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles L. 225-242 et L. 225-254 du Code de commerce, violés ;
2 ) que, d'autre part, en cas de dissimulation des faits dommageables non révélée par les commissaires aux comptes, la prescription ne court qu'à compter de sa révélation ; que la dissimulation d'un fait dommageable résulte des agissements d'un préposé ayant commis des actes délictueux, ou de toute personne à l'origine de ladite dissimulation, sans égard à la volonté des commissaires aux comptes de commettre eux-mêmes une dissimulation ; qu'en écartant la responsabilité civile de M. Y... et du cabinet Robert Mazars en retenant qu'ils n'avaient pas eu "la volonté de dissimuler les faits dommageables", alors que cet élément ne pouvait être pris en compte dans la computation du délai de prescription en présence d'une dissimulation commise par M. X..., la cour ne justifie pas davantage son arrêt au regard des articles L. 225-242 et L. 225-254 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le fait dommageable au sens de l'article L. 225-254 du Code de commerce doit s'entendre comme étant la certification fautive qui clôt les investigations du commissaire aux comptes et que la dissimulation susceptible de lui être imputable, pour retarder le point de départ de la prescription, implique de sa part la volonté d'éviter que ses clients ou des tiers prennent connaissance du fait ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel qui a légalement justifié sa décision, a pu statuer comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que la CRCAM fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'il résulte des articles 1251 et 1252 du Code civil que le subrogé reçoit du subrogeant ses droits et actions dans l'état où ils se trouvent au jour de la subrogation ; que les banques ayant été subrogées dans les droits de la société Publicis grand angle par le paiement de la totalité de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre, elles étaient en droit d'invoquer le régime de prescription des articles L. 225-242 et L. 225-254 du Code de commerce, en lieu et place de la société subrogeante ; qu'en déclarant prescrite l'action de la CRCAM du Finistère sur le fondement des considérations inopérantes, la cour viole les articles 1251 et 1252 du Code civil ensemble les articles L. 225-242 et L. 225-254 du Code de commerce ;
Mais attendu que le second moyen pris en sa deuxième branche ayant été rejeté, le moyen qui invoque la cassation par voie de conséquence est inopérant ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère à payer à M. Y... et à la société Cabinet Robert Mazars la somme globale de 2 000 euros et à la société Publicis grand angle la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille cinq.