AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon les arrêts attaqués, rendus sur renvoi après cassation (Com. 19 octobre 1999, Bull IV, n° 167), l'un rectifiant l'autre, que M. X..., dirigeant de la société X... (la société), et son épouse se sont portés cautions solidaires des engagements de cette société au profit de la Société générale (la banque) ; que la société ayant été mise en redressement judiciaire, la banque a déclaré sa créance et a assigné M. et Mme X... en exécution de leurs engagements de caution ; qu'en défense, M. et Mme X... ont sollicité des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice résultant de la rupture brutale par la banque de ses concours ; que M. Y..., représentant des créanciers puis commissaire à l'exécution du plan, a engagé une action en responsabilité contre la banque du fait de cette même rupture brutale de crédits ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches, en tant qu'il concerne le chef de décision condamnant M. et Mme X... à exécuter leurs engagements de caution :
Attendu que M. et Mme X... font grief aux arrêts de les avoir condamnés à payer à la banque une certaine somme avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 1989 en exécution de leurs engagements de caution, alors, selon le moyen :
1 / que poursuivie en paiement par le créancier, la caution, qui demande à être déchargée de son obligation à raison de la faute commise par celui-ci à l'encontre du débiteur principal, peut rechercher la responsabilité du créancier aux fins d'obtenir la réparation du préjudice qu'elle subit en raison des conditions dans lesquelles la banque a retiré des moyens de financement au débiteur principal, provoquant ainsi l'ouverture de la procédure collective de celui-ci et son recours contre la caution ; qu'en excluant tout préjudice, autre que moral, subi par M. et Mme X... du fait de la rupture, pourtant expressément qualifiée de fautive, des concours consentis à la société au seul prétexte que les cautions solidaires avaient renoncé au bénéfice de discussion et qu'elles ne justifiaient pas avoir, à ce jour, exécuté tout ou partie de leurs obligations à l'égard de la banque, motifs impropres à exclure l'existence du préjudice personnellement subi par les cautions à la suite de la rupture des concours accordés par la banque qui avait empêché la société de s'acquitter elle-même de la dette cautionnée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2 / que pour justifier du préjudice personnel qu'ils avaient subi du fait de la rupture abusive des concours consentis par la banque à la société, M. et Mme X... avaient fait valoir et avaient justifié par des pièces régulièrement versées aux débats qu'ensuite du dépôt de bilan de la société, consécutif à la rupture fautive des concours qui lui étaient consentis, ils avaient dû, sur recours de la BNP à leur encontre, s'acquitter en leurs qualités de cautions des engagements souscrits par la société ; que la cour d'appel ne pouvait nier tout préjudice, autre que moral, subi par les cautions par simple référence aux motifs tirés de leur renonciation au bénéfice de discussion dans leurs engagements souscrits auprès de la banque et de leur absence de règlement auprès de cette banque, motifs impropres à exclure l'existence du préjudice personnellement subi par les cautions à la suite de la rupture brutale des concours accordés par la banque qui a provoqué l'ouverture de la procédure collective de la société et l'a empêchée de s'acquitter elle-même de la dette cautionnée auprès de la BNP ; que la cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
3 / que la cassation à intervenir sur le pourvoi de M. Y..., ès qualités, à l'encontre de l'arrêt en ce qu'il l'a débouté de son action en responsabilité contre la banque, entraînera nécessairement, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt en ce qu'il a débouté M. et Mme X... de leur demande en réparation du préjudice autre que moral qu'ils ont subi du fait de la rupture fautive des concours accordés par la banque à la société, en application de l'article 624 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que les première et deuxième branches ne formulent aucune critique à l'encontre de l'arrêt qui, après avoir relevé que M. et Mme X... ne contestaient ni la validité de leurs engagements de caution au profit de la banque, ni le montant des sommes garanties, a condamné les cautions à exécuter leurs engagements ;
Attendu, en second lieu, que la cassation, prononcée par arrêt de ce jour, du chef de la décision déboutant M. Y..., représentant des créanciers puis commissaire à l'exécution du plan, de son action en responsabilité contre la banque, ne saurait entraîner la cassation, par voie de conséquence, de la condamnation des cautions à exécuter leurs engagements de garantie, en l'absence de tout lien de dépendance nécessaire entre ces deux chefs de décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches, en tant qu'il concerne le chef de décision statuant sur l'action en responsabilité des cautions :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour limiter l'indemnisation du préjudice de M. et Mme X... du fait de la rupture brutale par la banque de ses concours, l'arrêt du 27 mai 2002 retient que les cautions, qui ont renoncé au bénéfice de discussion et qui ne justifient pas avoir exécuté tout ou partie de leurs obligations à l'égard de l'établissement de crédit, ne sont pas fondées à soutenir qu'elles n'auraient pas été poursuivies si la banque n'avait pas rompu son concours, que le seul préjudice en relation directe avec la faute de la banque est d'ordre moral eu égard à l'ancienneté des relations d'affaires et à la brutalité de la rupture de ces relations ; qu'en l'absence de justification des troubles psychiques allégués, seule une réparation forfaitaire de 7 600 euros sera allouée à chacune des cautions ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la rupture fautive de ses concours par la banque avait aggravé la dette de la société débitrice principale et ainsi causé un préjudice pécuniaire aux époux X... tenus, en leur qualité de cautions, de garantir le paiement de cette dette, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche en tant qu'elle concerne le chef de décision statuant sur l'action en responsabilité des cautions :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition condamnant la Société générale à payer, à titre de dommages-intérêts, 7 600 euros à M. X... et 7 600 euros à Mme X..., l'arrêt du 27 mai 2002 rectifié par arrêt du 12 mai 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens respectifs ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Société générale ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille cinq.