AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Boissière de travaux publics (BTP), à qui la commune de Trans en Provence avait confié divers travaux, s'est fournie pour les besoins de ce chantier auprès des sociétés Aquitaine béton manufacture (ABM) et Tuyaux Bonna ; que le 13 mars 1995 la société BTP a cédé au Crédit d'équipement des PME (CEPME) la créance dont elle était titulaire sur la commune ; que la société BTP a, par la suite, fait l'objet d'un jugement de redressement judiciaire ; que les 26 avril et 5 mai 1995 les sociétés ABM et Tuyaux Bonna ont déclaré leurs créances auprès du représentant des créanciers en revendiquant le privilège dit de Pluviôse An II, aujourd'hui codifié à l'article L. 143-6 du Code du travail et formé opposition sur les sommes dues à la société BTP par la commune auprès du représentant des créanciers, de la commune et du percepteur de Draguignan ; qu'après que la commune se fut libérée des sommes dues au titre du marché de travaux entre les
mains du CEPME, les fournisseurs ont fait assigner la société BTP, le représentant des créanciers et le CEPME en faisant valoir que la cession de créance était nulle et qu'elle leur était inopposable ; que la cour d'appel a rejeté la demande de nullité de la cession mais a condamné le CEPME à payer aux sociétés ABM et Tuyaux Bonna le montant de leurs créances respectives sur la société BTP ;
Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :
Vu les articles L. 143-6 du Code du travail, 189,191,193 et 194 du Code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que les droits des bénéficiaires d'une cession de créance professionnelle sur le titulaire d'un marché public ne sont primés par le privilège résultant , au profit des fournisseurs des entrepreneurs de travaux publics, de l'article L. 143-6 du Code du travail, que si le fournisseur justifie d'un agrément exprès donné par l'autorité compétente aux fournitures dont le privilège garantit le paiement, porté sur le registre des agréments antérieurement à la date de la signification de la cession de créance au comptable public assignataire désigné dans le marché ;
Attendu que pour dire que l'absence d'agrément ne saurait priver les sociétés ABM et Tuyaux Bonna du bénéfice du privilège, l'arrêt retient que l'agrément n'est exigé que vis-à-vis des seuls créanciers bénéficiaires d'un nantissement sur le marché de travaux publics ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le moyen pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1 et 4 de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 devenus les articles L. 313-23 et L. 313-27 du Code monétaire et financier ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que la cession ou le nantissement de créance prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau ;
Attendu que pour dire que le privilège doit recevoir son effet nonobstant la cession du 13 mars 995 et que le CEPME devra donc verser les sommes réclamées, l'arrêt retient que le fait que la date d'effet de la cession soit antérieure aux oppositions est sans effet sur l'application du privilège, puisque ces oppositions sont intervenues avant que la commune de Trans en Provence ne soit dessaisie des fonds ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la créance avait été cédée par le bordereau du 13 mars 1995, ce dont il résultait qu'à compter de cette date cette créance était sortie du patrimoine de la société BTP, et que la commune détenait désormais les fonds pour le compte du CEPME , la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2002, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Aquitaine béton manufacture et la société Tuyaux Bonna aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit d'équipement des PME ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille cinq.