AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 juin 2003), que, par acte du 28 mai 1990, la Société coopérative agricole d'Eure-et-Loir (SCAEL) a acquis de la société Hydro Agri France, venant aux droits de la société Norsk Hydro azote et devenue société Yara France, un terrain affecté, jusqu'en 1971, à la fabrication d'engrais, puis utilisé comme entrepôt jusqu'en 1989 ; que l'acte stipulait que l'acquéreur prendra le bien vendu dans son état actuel ; qu'un premier arrêté préfectoral, du 29 février 2000, a donné injonction à la société SCAEL de procéder à des études concernant l'état de la nappe phréatique du bien ; que, le 6 janvier 2003, à la suite d'un second arrêté préfectoral du 3 janvier 2002, la société SCAEL a été informée de ce que l'injonction contenue dans l'arrêté du 29 février 2000 était caduque et que la surveillance de la nappe phréatique incombait au dernier exploitant, la société Norsk Hydro azote, à laquelle le second arrêté donnait injonction ; que la société SCAEL a demandé le remboursement des sommes exposées en exécution du premier arrêté annulé, à la société Hydro Agri France sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil ;
Attendu que la société Hydro Agri France fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de la société SCAEL, alors, selon le moyen :
1 / qu' en vertu du principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, l'acheteur, qui agit contre le vendeur en réparation des conséquences préjudiciables d'un défaut de la chose, ne peut se fonder sur les règles de la responsabilité délictuelle, quand bien même le défaut invoqué trouverait son origine dans l'inexécution par le vendeur d'une obligation légale ou réglementaire pénalement sanctionnée ; qu'en affirmant, pour retenir la responsabilité délictuelle de la société Hydro Agri France envers la société SCAEL, que celle-ci se prévaut de l'obligation de police administrative qui impose, nonobstant tout rapport de droit privé, une obligation de remise en état pesant sur le dernier exploitant d'une installation classée, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles 1134 et 1641 du Code civil et, par fausse application, l'article 1382 du Code civil ;
2 / que l'obligation de remise des lieux en état pesant sur le dernier exploitant d'une installation classée n'est assortie d'aucune sanction pénale ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 34 et 43 du décret n° 77- 1133 du 19 juillet 1977, ensemble l'article 23 de la loi n° 76-663 de la loi du 19 juillet 1976, dans leur rédaction originaire, applicable à la cause ;
3 / que la clause par laquelle l'acquéreur d'un immeuble renonce à tout recours contre le vendeur exclut toute action en responsabilité, y compris délictuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'acte de vente contenait une clause selon laquelle l'acquéreur déclarait prendre les biens dans leur état actuel et renonçait à exercer tout recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit, notamment en raison du mauvais état du sous-sol ; qu'en accueillant néanmoins le recours exercé par la SCAEL contre la société Hydro Agri France sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1134 du Code civil et l'article 1382 du Code civil, par fausse application ;
4 / que les juges doivent répondre aux conclusions des parties ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions de la société Hydro Agri France faisant valoir que l'action de la société SCAEL était prescrite en application de l'article 189 bis du Code de commerce, devenu article L. 110-4 du même Code, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société société SCAEL se prévalait d'une obligation de police administrative qui imposait, nonobstant tout rapport de droit privé, une obligation de remise des lieux en état pesant sur le dernier exploitant d'une installation classée sous peine de sanctions pénales, que la société Norsk Hydro azote, à laquelle l'arrêté préfectoral imposait des mesures de surveillance de la nappe phréatique, avait, en application des prescriptions impératives de la loi du 19 juillet 1996 modifiées et reprises par l'article L. 511-1 du Code de l'environnement ainsi que de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977, l'obligation de procéder à cette remise en état et de prendre toutes mesures utiles en matière de dépollution des sols, que l'obligation impartie pesait sur la société Hydro Agri France, sans que puissent être invoquées les dispositions contractuelles de la vente intervenue le 28 mai 1990, ces dispositions demeurant étrangères aux prescriptions de l'autorité administrative, pénalement sanctionnées, en matière d'installations classées, et que la société SCAEL avait dû exposer les frais d'opérations de vérification qui n'auraient pas dû lui incomber, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions relatives aux obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants, que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que le manquement invoqué revêtait le caractère d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Hydro Agri France, devenue société Yara France, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Hydro Agri France, devenue société Yara France, à payer à la Société coopérative agricole d'Eure-et-Loir la somme de 2 000 euros et rejette la demande de la société Hydro Agri France, devenue société Yara France ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille cinq.