AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf mars deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE X..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 11 février 2004, qui, statuant sur renvoi après cassation, dans l'information suivie sur sa plainte contre Anne-Marie Y..., pour abus de confiance, faux et usage de faux, a constaté l'extinction de l'action publique par la prescription ;
Vu l'article 575, alinéa 2, 3 , du Code de procédure pénale ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du Code pénal, 8 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré prescrits les faits d'abus de confiance commis par Anne-Marie Y... au préjudice de la société X... avant le 26 mars 1996 et, en conséquence, a dit qu'il n'y avait lieu à suivre des chefs d'abus de confiance commis avant cette date ;
"aux motifs qu'il résulte de la procédure que Mme Z..., secrétaire au sein de la société X... a déclaré le 29 septembre 1999, que depuis dix ans, Anne-Marie Y... prenait des espèces en caisse, environ 3 000 francs par semaine, et dernièrement plusieurs fois c'est-à-dire 6 000 francs par semaine ;
que, par ailleurs, Jean-Marie A..., expert-comptable en retraite, a déclaré avoir effectué personnellement une vérification de comptabilité de la société X... à la demande du président-directeur général de celle-ci, Robert X... ; qu'il a ainsi constaté que les acomptes prélevés en caisse par Anne-Marie Y... n'étaient pas tous retenus sur les fiches de paye de celle-ci pour les années 1989 à 1998 ; qu'il résulte ainsi de ces divers éléments que la vérification des comptes de la société et les informations disponibles dans l'entreprise permettaient au président-directeur général dès 1989 et dans les années qui ont suivi de constater l'existence de détournements connus d'au moins l'un de ses préposés, et d'exercer l'action publique ;
"alors que, d'une part, en cas de dissimulation des détournements par des écritures comptables mensongères, le point de départ du délai de prescription ne commence à courir que du jour de la révélation des faits délictueux ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la chambre de l'instruction que la vérification de la comptabilité effectuée par le cabinet A... à la demande de son président-directeur général, Robert X..., a révélé les détournements commis par Anne-Marie Y... au préjudice de la société X... de 1989 à 1998 ; qu'il s'ensuit nécessairement que la vérification comptable révélant les irrégularités commises de 1989 à 1998 a été effectuée au plus tôt en 1998 ; qu'en décidant cependant, pour déclarer prescrits les faits antérieurs de plus de trois ans au 26 mars 1999, que la vérification des comptes de la société permettait à Robert X..., dès avant 1989 et dans les années qui ont suivi, de constater les détournements et d'exercer l'action publique, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations, à savoir que seule la vérification comptable de 1998 ayant révélé les faits délictueux commis de 1989 à 1998, ces faits n'étaient pas prescrits le 26 mars 1999 ;
"alors que, d'autre part, la complicité éventuelle de la caissière dans le détournement de fonds commis par la comptable, n'établit pas la connaissance par le président-directeur général des détournements commis ; qu'en déduisant de la connaissance par la caissière, Mme Z..., des détournements de la comptable, Anne-Marie Y..., que les informations disponibles dans l'entreprise permettaient au président-directeur général de constater l'existence de détournements, la chambre de l'instruction s'est prononcée par un motif inopérant ;
"alors qu'en tout état de cause, seule la connaissance effective des détournements par la victime constitue, en cas de dissimulation, les " conditions permettant l'exercice de l'action publique" ; qu'en l'espèce, pour décider que les faits étaient prescrits alors même qu'il est établi que les écritures comptables étaient mensongères, la chambre de l'instruction s'est bornée à constater que la vérification des comptes de la société et les informations disponibles dans l'entreprise permettaient au président-directeur général, dès 1989 et dans les années qui ont suivi, de constater l'existence de détournements connus d'au moins l'un de ses préposés, et d'exercer l'action publique ; qu'en statuant de la sorte, la chambre de l'instruction n'a pas caractérisé la connaissance effective du détournement par la victime et a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des dispositions précitées" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 24 mars 1999, Robert X..., agissant en qualité de dirigeant de la société X..., a porté plainte du chef d'abus de confiance, en visant des détournements commis entre juin 1989 et août 1998 par Anne-Marie Y..., comptable de la société, qui aurait prélevé, dans la caisse, des acomptes sur salaires non déduits sur ses fiches de paie et régularisés par des écritures comptables; que, le 26 mars 1999, le procureur de la République a ordonné une enquête sur les faits dénoncés ;
Attendu que, pour constater la prescription des faits commis antérieurement au 26 mars 1996, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen et relève que la vérification des comptes de la société et les informations disponibles dans l'entreprise permettaient à son président, dès 1989 et dans les années qui ont suivi, de constater l'existence de détournements et d'exercer l'action publique ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation et établissant que, dès 1989, le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pibouleau conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Soulard conseiller rapporteur, MM. Challe, Roger, Dulin, Mme Thin, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet conseillers de la chambre, Mmes Salmeron, Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;