AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'arrêt n° 521 rendu le 19 mars 2002 par la Cour de cassation, 1re chambre, déclarant les tribunaux de l'ordre judiciaire incompétents et renvoyant les parties à mieux se pourvoir ;
Vu la décision du 12 mai 2003 du tribunal administratif de Fort de France renvoyant l'affaire devant le Tribunal des conflits ;
Vu la décision n° 3382 du Tribunal des conflits du 19 janvier 2004 déclarant nul et non avenu l'arrêt ci-dessus mentionné de la Cour de cassation, et renvoyant les parties devant cette même Cour ;
Vu le mémoire aux fins de reprise d'instance déposé le 31 mars 2004 au greffe de la Cour de cassation par M. Delvolvé, avocat de l'Office notarial des forêts ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 31 mars 2000) que M. X... occupe, pour les besoins de son commerce, une parcelle située sur la commune de Sainte-Anne, en Martinique ; que l'Office national des forêts (ONF) l'a fait assigner aux fins d'expulsion devant le juge des référés de Fort-de-France, au motif que la parcelle en cause relevait de la réserve domaniale dite des cinquante pas géométriques ; que l'arrêt attaqué a infirmé cette décision et ordonné sous astreinte l'expulsion demandée ; que, par arrêt du 19 mars 2002, la Cour de cassation a cassé cette décision au motif que tout litige relatif à l'occupation même sans titre du domaine public relève des juridictions administratives ; que, par jugement du 12 mai 2003, le Tribunal administratif de Fort-de-France, saisi de la même demande d'expulsion, a renvoyé au Tribunal des Conflits, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ; que, par décision du 19 janvier 2004, le Tribunal des Conflits a dit que la parcelle litigieuse, située sur l'emprise de la zone des cinquante pas géométriques, avait été incorporée au domaine forestier de l'Etat et remise en gestion à l'ONF en 1982, de sorte qu'elle était restée dans le domaine privé de l'Etat, et qu'il appartenait à la juridiction judiciaire de connaître des litiges relatifs à son occupation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'appel de l'ONF avait été valablement interjeté, alors, selon le moyen :
1 / que la vérification des pouvoirs de la personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale doit être faite suivant les règles du droit dont relève cette personne morale ; qu'en l'espèce, le conseil d'administration de l'Office national des forêts avait accordé, par une résolution n° 96-04 du 25 avril 1996 prise en application de l'article R. 122-7 du Code forestier, une délégation de pouvoir à l'effet de former une déclaration d'appel au jugement général, qui était lui-même autorisé à déléguer sa signature au directeur général adjoint ; que l'exposant faisait valoir que l'appel avait été interjeté par le directeur régional qui ne disposait pas du pouvoir d'interjeter appel ; que pour déclarer néanmoins régulier l'appel interjeté par l'Office national des forêts, la cour d'appel a estimé que l'ONF apporte par la production de pouvoirs émanant tant de son conseil d'administration que de son directeur général ainsi que du mandat donné par un chef de département juridique preuve suffisante de ce que l'appel a été valablement interjeté ;
qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article R. 122-7 du Code forestier, et l'article 117 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en outre, constitue une irrégularité de fond, dont la sanction ne nécessite pas la preuve d'un grief, le défaut de pouvoir du représentant d'une personne morale ; qu'en l'espèce, M. X... avait fait valoir que l'appel avait été interjeté par un représentant dépourvu de pouvoir ; que pour rejeter cette exception de nullité, la cour d'appel, après avoir considéré par des motifs erronés que le représentant disposait du pouvoir à l'effet de former une déclaration d'appel, a estimé que la nulité ne pouvait être prononcée en l'absence de preuve d'un grief ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 117, alinéa 3, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a souverainement jugé que l'ONF apportait, par la production des délégations de pouvoir émanant tant de son conseil d'administration que de son directeur général ainsi que d'un mandat donné par un chef de département régulièrement habilité à son conseil, la preuve que l'appel avait été régulièrement interjeté ;
Attendu, d'autre part, que, la régularité de l'appel étant établie, le moyen, en sa seconde branche, s'attaque à un motif surabondant de l'arrêt ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que le demandeur au pourvoi reproche encore à l'arrêt d'avoir ordonné son expulsion sous astreinte alors, selon le moyen :
1 / que la compétence du juge des référés est réservée aux hypothèses dans lesquelles l'urgence rend nécessaire le recours à des mesures provisoires ; qu'en conséquence, le juge des référés perd toute compétence en l'absence de préjudice personnel et actuel, qui établit l'absence d'urgence ; que si l'existence d'un trouble manifestement illicite présume de manière irréfragable l'urgence, le juge des référés ne saurait, sans se contredire, constater dans le même temps l'existence d'un trouble manifestement illicite et l'absence de préjudice spécifique du demandeur à l'action ; qu'en l'espèce, l'exposant faisait valoir que l'ONF ne prouvait pas que sa présence sur la plage des Salines serait de nature à lui causer un préjudice ou à dégrader le site ; que la cour d'appel, pour ordonner l'expulsion sous astreinte de M. X..., a tout à la fois affirmé l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la prétendue occupation irrégulière de la forêt domaniale, et l'absence de préjudice spécifique de l'ONF ; qu'en entachant ainsi sa décision d'une contradiction de motifs, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en tout état de cause, le juge administratif est compétent pour ordonner l'expulsion du domaine public de l'occupant sans titre, hormis l'hypothèse où l'occupation sans titre porte sur une dépendance de la voirie routière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que suivant procès-verbal des 3 et 22 octobre 1998, M. X... occupait pour les besoins de son commerce une parcelle cadastrée n° 86 de la section D de la commune de Sainte-Anne, canton Habitation Salines Blondel ; qu'en retenant sa propre compétence, quand il ne résultait pas de ces constatations que M. X... ait occupé une dépendance de la voirie routière, la cour d'appel a violé l'article R. 116-2 du Code de la voirie routière ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite constitué par l'occupation irrégulière par M. X... d'une parcelle de la forêt domaniale placée sous la gestion de l'ONF, sur laquelle il a installé une remorque à poste fixe, a, sans se contredire, retenu l'absence de préjudice spécifique du gestionnaire, laquelle n'exclut pas un tel trouble ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen que la décision du tribunal des conflits rend inopérante :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille cinq.