AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Les Cèdres de ce qu'elle s'est désistée de son pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société Service auxiliaire d'équipement des collectivités (SEC) et Mme X..., ès qualités ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Les Cèdres que sur le pourvoi incident relevé par M. Y... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix- en-Provence, 31 mai 2002), que M. Y..., alors dirigeant de la société Les Cèdres et de la Société auxiliaire d'équipement des collectivités (SEC), a émis sur le compte de la première, les 6 juin et 30 août 1996, deux chèques de 120 000 et 366 931 francs en règlement de travaux que, selon celle-ci, la société Pertuis Froid avait exécutés pour le compte de la seconde ; que, tandis que des poursuites, engagées pour abus de biens sociaux contre M. Y..., aboutissaient à sa condamnation définitive, la société Les Cèdres l'a fait assigner, ainsi que la société Pertuis Froid, devant le tribunal de commerce pour obtenir restitution des fonds, en déclarant exercer, à l'égard de cette dernière, au principal l'action civile née du recel d'abus de biens sociaux qu'elle lui imputait et subsidiairement l'action en répétition de l'indu ; que la cour d'appel a accueilli la demande formée contre M. Y... mais rejeté celle relative à la société Pertuis Froid en estimant que rien ne démontrait que celle-ci ait reçu son paiement de mauvaise foi ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société Les Cèdres fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement contre la société Pertuis Froid, alors, selon le moyen :
1 / que le tireur d'un chèque, payé par la banque, peut exercer l'action en répétition de l'indu s'il rapporte la preuve qu'aucune dette entre les parties ne justifiait le paiement du chèque ; qu'en l'espèce, il était constant et incontesté qu'il n'existait aucune dette entre la société Pertuis Froid et elle-même, tireur des deux chèques litigieux, justifiant leur paiement ; qu'en refusant néanmoins d'ordonner à la société Pertuis Froid de lui restituer les sommes litigieuses, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles 1235 et 1376 du Code civil ;
2 / que l'article 1238 du Code civil dispose que "pour payer valablement, il faut être propriétaire de la chose donnée en paiement....Néanmoins, le paiement d'une somme d'argent...ne peut être répétée contre le créancier qui l'a consommée de bonne foi, quoique le paiement en a été fait par celui qui n'en était pas propriétaire..." ; qu'il en résulte qu'en cas d'action en répétition de l'indu portant sur des sommes détournées par le solvens, la charge de la preuve pèse sur le créancier qui prétend avoir reçu les sommes litigieuses de bonne foi ; qu'en la déboutant de sa demande de restitution des sommes versées par son représentant indélicat à la société Pertuis Froid au motif que la mauvaise foi de cette dernière n'était pas prouvée, la cour d'appel a violé l'article 1238 du Code civil ;
3 / que la cour d'appel a retenu la bonne foi de la société Pertuis Froid au seul motif que rien ne permettait de considérer qu'elle avait eu conscience, lors de la remise, que les titres de paiement étaient d'origine frauduleuse dès lors qu'elle a pu penser que M. Y..., dirigeant de la Société Les Cèdres avait pu être autorisée à les utiliser pour payer une dette d'une autre société dont il était aussi le dirigeant ;
que la cour d'appel, qui a statué par des motifs hypothétiques, a violé l'article 544 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que la notion de groupe de société est une notion de pur fait, sans portée juridique, les sociétés du groupe étant seules dotées de la personnalité morale, à l'exclusion du groupe lui-même ; qu'il n'existe pas de "PDG du groupe" ; qu'en conséquence, en se bornant à affirmer, dans des motifs réputés adoptés du jugement, qu'on ne pouvait reprocher à la société Pertuis Froid d'avoir encaissé le fruit de son travail par des chèques "émis par le PDG du groupe", la cour d'appel, qui a statué par un motif dénué de toute portée, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1238 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que dés lors qu'il n'était pas contesté que la société Pertuis Froid avait reçu ce qui lui était dû, la société Les Cèdres, exerçant contre elle l'action prévue par l'article 1377 du Code civil, était tenue de démontrer l'existence d'une erreur alors qu'elle admettait elle-même, dans ses écritures d'appel, que M. Y... avait "volontairement puisé dans sa fortune" ;
Attendu, en deuxième lieu, que les paiement litigieux ayant été effectués au moyen de fonds appartenant à la société Les Cèdres, l'article 1238 du Code civil est sans application en l'espèce ;
Attendu, en troisième lieu, que contrairement à ce que soutient le moyen, la cour d'appel n'a pas statué par un motif hypothétique lorsque, après avoir observé qu'eu égard aux conditions dans lesquelles elle avait reçu son paiement du dirigeant d'une société appartenant au même groupe que celle concernée par les travaux, la société Pertuis Froid avait pu, compte tenu de la double qualité de M. Y..., légitimement croire que celui-ci agissait avec l'accord de la société Les Cèdres, elle en déduit de manière certaine, la preuve que la société Pertuis Froid n'avait pas connaissance, lors de la remise des titres litigieux, de leur origine frauduleuse ;
Attendu, enfin, que la quatrième branche du moyen, qui critique des motifs surabondants du jugement, est inopérante ;
D'où il suit que le moyen qui ne peut être accueilli en sa dernière branche, est mal fondé pour le surplus ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné envers la société Les Cèdres, alors, selon le moyen :
1 / qu'il ne résulte pas du jugement correctionnel en date du 27 avril 2000 que les travaux litigieux n'ont pas été réellement réalisés dans les cuisines ayant fait l'objet d'une convention de mise à disposition régulière ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ;
2 / que la cour d'appel a en toute hypothèse violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile en adoptant les motifs par lesquels les premiers juges s'étaient bornés à affirmer, sans indiquer de quel élément du débat s'évinçait cette conviction, que les travaux litigieux avaient été effectués "au collège Pasquier à Gardanne" et non dans les locaux gérés par la société Les Cèdres ;
Mais attendu qu'ayant relevé qu'une décision pénale définitive avait condamné M. Y... pour avoir, en signant de mauvaise foi les deux chèques litigieux, fait des biens de la société Les Cèdres un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, soit à des fins personnelles, soit pour favoriser une autre société ou une entreprise dans laquelle il était directement intéressé, la cour d'appel en a exactement déduit que l'autorité de chose jugée s'attachant à cette décision interdisait à M. Y... de prétendre que les travaux litigieux auraient néanmoins profité à la société Les Cèdres ;
Et attendu que l'arrêt étant ainsi justifié, la seconde branche du pourvoi incident, qui critique un motif qui ne fonde pas la décision, est inopérante ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE tant le pourvoi principal formé par la société Les Cèdres que le pourvoi incident formé par M. Y... ;
Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par la société Les Cèdres, d'une part, et par M. Y..., d'autre part ;
Vu les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Les Cèdres et M. Y... à payer, chacun, la somme de 2 000 euros à la société Pertuis Froid ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille cinq.