AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 28 janvier 2003) que la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Poitou-Charentes, avisée par le notaire que les époux X... désiraient vendre une parcelle de 43 ares 10 centiares à Mme Y..., a exercé son droit de préemption, puis a rétrocédé la parcelle à Mme Z... ; que Mme Y... a assigné la SAFER en nullité de la décision de préemption ;
que M. A... a également assigné aux mêmes fins, au motif qu'il était titulaire d'un bail à ferme sur la parcelle ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme Y... et M. A... font grief à l'arrêt de dire irrecevables leurs prétentions contenues dans leurs lettres du 15 octobre et 2 décembre 2002, ainsi que les pièces jointes à ces courriers, alors, selon le moyen, que l'ordonnance de clôture peut être révoquée s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue afin de permettre aux parties de faire valoir leurs prétentions dans le cadre d'un débat contradictoire ; qu'en l'espèce Mme Y... et M. A... avaient fait valoir qu'ils n'avaient pu être défendus dans des conditions régulières, et n'avaient pu bénéficier d'un procès équitable en raison de certaines carences de leur conseil ; que dès lors en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 16, 783 et 784 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu qu'ayant exactement relevé que ces explications et ces pièces étaient irrecevables pour ne pas avoir été signifiées et communiquées par leur avoué, la cour d'appel a, par ce seul motif, sans violer le principe de contradiction ni l'article 6, alinéa 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, légalement justifié sa décision ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que Mme Y... et M. A... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en reconnaissance d'un bail à ferme dont serait titulaire M. A..., alors, selon le moyen :
1 / qu'il est loisible aux parties de soumettre volontairement au statut du fermage les baux des petites parcelles qu'elles concluent ;
que dès lors en se déterminant comme elle l'a fait sans même rechercher si les parties n'avaient pas entendu se soumettre volontairement au statut du fermage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 411-3 du Code rural ;
2 / que le droit de préemption de la SAFER ne peut s'exercer contre le preneur en place que si ce preneur exploite le bien concerné depuis moins de trois ans ; que dès lors en se déterminant comme elle l'a fait, au seul motif que le bail du 14 octobre 1994 n'aurait pas été enregistré, sans même rechercher si M. A... n'exploitait pas la parcelle en litige depuis plus de trois ans à la date de la préemption, la cour d'appel n'a pas de ce chef également, donné une base légale à sa décision au regard de l'article L. 143-6 du Code rural ;
Mais attendu qu'ayant constaté que M. A... produisait un bail sous-seing privé du 14 octobre 1994, mais n'ayant pas date certaine comme n'ayant pas été enregistré, et ne justifiait d'aucun acte d'exploitation de la parcelle en cause, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui n'était pas demandée sur une éventuelle volonté des parties de se soumettre volontairement au statut du fermage et qui en a déduit que la preuve de l'exploitation de la parcelle, en vertu d'un bail rural, depuis au moins trois ans n'était pas rapportée, a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles L. 143-3 - L. 143-15 du Code rural, et l'article R. 142-3 du même Code, dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
Attendu qu'à peine de nullité, la SAFER doit motiver et publier la décision de rétrocession ; que les conditions de publicité sont fixées par décret en Conseil d'Etat ; que les décisions d'attribution sont précédées de la publication d'un appel de candidatures qui comporte l'affichage à la mairie de la commune de la situation du bien pendant un délai minimum de 15 jours et que le même avis est publié en caractères apparents dans deux journaux diffusés dans le département intéressé ;
Attendu que, pour rejeter la demande d'annulation, l'arrêt retient que l'affichage n'a été réalisé que le 11 août 1999 avec mention d'une date limite au 21 août 1999 pour l'envoi des candidatures de sorte que le délai minimum de quinze jours n'a pas été respecté ; que de même il n'est justifié d'une publication de cet avis que dans un seul journal et non dans deux, de sorte que les dispositions de l'alinéa 4 de l'article R. 142-3, alinéa 1, du Code rural dans sa rédaction applicable à l'époque, n'ont pas été respectées, mais que la preuve d'un grief n'est pas rapportée et que les irrégularités de forme ainsi constatées n'ayant causé aucun préjudice à Mme Y... et à M. A..., il n'y a pas lieu de faire droit à leur demande ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision de rétrocession, l'arrêt rendu le 28 janvier 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne la société Safer Poitou Charentes aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la Safer Poitou Charentes à payer à Mme Y... et M. A..., ensemble, la somme de 1 900 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Safer Poitou Charentes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille quatre.