AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt déféré, que la société Capremib a confié l'exclusivité de la commercialisation des panneaux anti-bruit qu'elle fabrique à la société Afitex, selon contrat du 15 septembre 1995 conclu pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction ; qu'elle a résilié le contrat par lettre du 23 octobre 1997 ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société Afitex reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnité pour rupture abusive du contrat de distribution exclusive qui la liait à la société Capremib et de sa demande d'indemnité de clientèle et de l'avoir condamnée à payer à la société Capremib des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 / qu'il incombe au mandant qui résilie par anticipation un contrat de distribution exclusive à durée déterminée de rapporter la preuve des manquements qu'il reproche à son agent et de leur gravité, de nature à justifier la résiliation anticipée ; que pour estimer justifiée la résiliation anticipée du contrat de distribution liant les sociétés Capremib et Afitex, la cour d'appel a relevé que cette dernière "n'établissait pas avoir promu le produit par une campagne publicitaire efficace et un suivi réel des négociations" ; que, ce faisant, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et L. 134-12 du Code de commerce ;
2 / que le contrat d'agent commercial à durée déterminée ne peut être résilié avant le terme convenu qu'en cas de faute grave de l'agent, rendant la poursuite du contrat impossible ; que la seule insuffisance du chiffre d'affaires réalisé par l'agent ne constitue pas une faute grave ; que pour estimer justifiée la résiliation anticipée du contrat d'agent de distribution exclusive, la cour d'appel s'est bornée à relever, outre une insuffisance du chiffre d'affaires réalisé par la société Afitex, l'absence d'efforts promotionnels suffisants et le versement, tout à fait marginal, d'une commission de 15 000 francs à un sous-agent ; qu'en ne recherchant pas en quoi ces manquements pouvaient constituer une faute grave de nature à rendre impossible le maintien des relations contractuelles jusqu'au terme convenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-12 du Code de commerce ;
Mais attendu que les contrats à durée déterminée ne peuvent être révoqués que par le consentement mutuel des parties, suivant les clauses ou conditions spécifiées au contrat ou pour une cause légitime reconnue en justice ; qu'ayant relevé que l'article XX du contrat stipulait que le mandant pouvait mettre fin au contrat en cas de violation de l'une de ses clauses, l'arrêt retient que l'article V prévoit que l'agent s'engage à susciter des commandes correspondant à un chiffre d'affaires annuel d'un montant hors taxes d'au moins 15 000 000 francs, tandis que la société Afitex a généré un chiffre de ventes de près de 3 000 000 francs seulement, et que larticle XIV du contrat impose de recueillir préalablement et par écrit le consentement du mandant sur le recrutement d'un sous-agent, tandis que la société Afitex a versé directement à une société sous-traitante de la société Bianco une commission de 15 000 francs pour son aide commerciale dans le cadre d'un chantier ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire la recherche inopérante évoquée à la deuxième branche, a, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la première branche, légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en° sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Afitex reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Capremib la somme de 106 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du contrat, alors, selon le moyen, qu'ayant relevé que la baisse du chiffre d'affaires, seule invoquée par la société Capremib à l'appui de sa demande de dommages-intérêts, n'était pas imputable à la faute de la société Afitex, la cour d'appel, qui a néanmoins condamné cette dernière sans préciser quel était le préjudice, en relation avec les manquements imputés à la société Afitex qu'aurait subi la société Capremib, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la baisse du chiffre d'affaires n'était imputable que pour partie à la société Afitex, la cour d'appel a, en fixant à la somme de 106 000 euros la réparation du préjudice incombant à la société Afitex, souverainement constaté l'existence de ce préjudice et la part incombant à la société Afitex; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce ;
Attendu que pour rejeter la demande "d'indemnité de clientèle" formée par la société Afitex, l'arrêt retient que le tribunal a jugé à bon droit que les manquements cumulés de la société Afitex à ses obligations ont revêtu une telle gravité que le mandant a résilié immédiatement le contrat d'agent sans commettre d'abus ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi les manquements aux obligations contractuelles justifiant la rupture constituaient aussi une faute grave privatrice de l'indemnité de fin de contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Afitex en paiement de commissions au titre des marchés conclus pendant la durée de son contrat d'agent commercial, l'arrêt retient que le droit à rémunération n'est acquis à la société Afitex qu'à la conclusion de l'affaire, c'est-à-dire à la signature de la commande des murs anti-bruit, même si cette signature a lieu après la fin de ses relations contractuelles avec son mandant, mais, seulement dans la mesure où cette commande est le fruit des efforts de l'agent ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le contrat de distribution exclusif prévoyait une commission sur les opérations conclues pendant la durée du contrat à partir de la date de signature à l'exception des affaires dont la liste était annexée, d'où il résultait que l'agent avait droit à commission pour toutes les autres affaires, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes "d'indemnités de clientèle" et de commissions au titre des marchés conclus pendant la durée du contrat d'agent commercial, l'arrêt rendu le 31 mai 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Capremib aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Capremib ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille quatre.