AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que selon l'arrêt attaqué, la société Sorelait a conclu, courant 1990, avec M. X..., deux contrats par lesquels d'une part, elle lui donnait à bail un camion déterminé, d'autre part, elle le chargeait de livrer ses produits à des conditions, suivant un planning et moyennant une rémunération dont les modalités étaient précisément convenues ; qu'elle a résilié ces contrats, avec effet immédiat, le 27 février 1995 motifs pris de détournements de marchandises commis par certains transporteurs ; que, par arrêt du 26 octobre 1995, rendu par la cour d'appel de Saint-Denis, le directeur de la société Sorelait a été condamné, ès qualités, pour avoir commis, courant 1991 et 1992, des délits de travail clandestin par dissimulation de plusieurs salariés, dont l'intéressé ; qu'elle a condamné, par un arrêt du 8 octobre 1998, M. X... pour s'être rendu coupable du délit d'abus de confiance (faits commis dans le département de la Réunion de février 1992 à février 1995) au préjudice de la société Sorelait et l'a condamné à payer à celle-ci des sommes en réparation du préjudice qu'il lui avait causé ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour voir requalifié, d'une part, son contrat de livraison en contrat de travail et, d'autre part, la rupture des relations contractuelles en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir l'allocation de diverses sommes ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu les articles L. 122-8, L. 122-9, L. 122-14-2 et L. 122-14-3 du Code du travail ;
Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à ce que la société Sorelait soit condamnée à lui verser des sommes à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité de préavis et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt a énoncé que le licenciement du salarié était fondé sur une faute grave, en l'espèce "d'importants détournements" dont ce dernier avait été reconnu coupable par une décision définitive de la juridiction répressive, dont il importait peu que la lettre de rupture ne puisse pas, et pour cause, faire état ;
Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement s'apprécie à la date de la rupture, et alors, d'autre part, que la faute révélée à l'employeur, après la notification de la rupture et commise antérieurement par le salarié, ne peut entraîner la perte du droit à l'indemnité de licenciement qui naît à la date de ce licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le troisième moyen :
Vu l'article L. 121-1 du Code du travail ;
Attendu que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;
Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes tendant à ce que la société Sorelait soit condamnée à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts indemnisant sa situation illicite de travailleur indépendant, la cour d'appel a énoncé qu'il n'y avait pas lieu de lui allouer une somme quelconque au titre de la privation, qu'il avait acceptée, des droits minimaux reconnus aux salariés par le Code du travail et les conventions collectives ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait l'existence d'un contrat de travail au bénéfice du salarié, dissimulé sous l'apparence de contrats de location de véhicules et de transport, de sorte que le salarié avait été privé des avantages attachés à un contrat de travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, au regard du texte susvisé ;
Sur le quatrième moyen :
Vu l'article L. 223-11 du Code du travail ;
Attendu que pour limiter la demande d'indemnité compensatrice de congés payés du salarié, l'arrêt retient que seule doit être prise en considération, pour le calcul de cette indemnité, l'année de référence, l'indemnité compensatrice de congés payés n'étant pas cumulable avec le salaire perçu des années précédentes ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que le salarié n'avait pas pris ses congés payés pendant plusieurs années et qu'il avait été empêché de les prendre du fait de son employeur, ce dont il résultait nécessairement un préjudice ouvrant droit au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen et sur le deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, autrement composée ;
Condamne la société Sorelait aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Sorelait à payer à M. X..., la somme de 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille quatre.