AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° Q 02-31.071 et D 02-31.999 ;
Attendu que, par actes en date du 19 octobre 2000, la société BVF a fait assigner en référé d'heure à heure, Mmes X... et M. Y..., représentants du personnel et participants au mouvement de grève affectant l'entreprise, afin que l'ensemble des grévistes soient expulsés des locaux de celle-ci, qu'ils occupaient depuis le 15 octobre 2000, entretenant des feux sur le site et bloquant les accès à celui-ci au moyen de leurs véhicules, ce qui constituait selon elle un trouble manifestement illicite par entrave à la liberté du travail et à celle de l'industrie ;
Sur le premier moyen commun aux pourvois n° Q 02-31.071 et D 02-31.999 :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Metz, 3 septembre 2002) d'avoir ordonné l'expulsion de Mme X... et de M. Y... et de tous autres grévistes occupant l'usine avec le concours de la force publique et ce, sous astreinte de 1 000 francs par occupant se maintenant dans les lieux passés le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance, ordonné l'extinction des feux sous astreinte de 1 000 francs passé le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance et ordonné l'enlèvement des véhicules stationnés de façon à empêcher l'entrée et la sortie du site sous astreinte de 1 000 francs passé le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance, alors, selon le moyen :
1 / que la qualité de délégué syndical ne confère aucun pouvoir de représentation en justice de salariés grévistes de sorte qu'en recevant l'action de la société BVF dirigée contre les délégués syndicaux considérés comme représentants de la collectivité des grévistes, la cour d'appel a violé les articles L. 412-11 du Code du travail, 14 et 416 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que chacun n'est responsable que de son propre fait, de sorte que la responsabilité d'un salarié à l'occasion soit d'une grève, en raison d'actes illicites commis pendant celle-ci, soit d'un abus du droit de grève, ne peut être engagée qu'à raison de sa faute personnelle ; qu'en l'espèce, en ordonnant l'expulsion de tous les autres grévistes occupant l'usine, l'extinction des feux et l'enlèvement des véhicules stationnés de façon à empêcher l'entrée et la sortie du site sous astreinte passé un délai après la signification et Mme X... et à M. Y... de l'ordonnance entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et que, ce faisant elle a statué par voie de dispositions générale en violation de l'article 5 du Code civil ;
3 / qu'après avoir relevé la qualité de déléguée du personnel titulaire de Mme X... et la qualité de délégué suppléant de M. Y..., la cour d'appel ne pouvait statuer à leur égard en leur qualité de délégués syndicaux sans se contredire ; que de ce chef, elle n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en raison de la nécessité de mettre fin à un trouble manifestement illicite résultant de l'entrave à la liberté du travail et de l'atteinte portée à la sécurité du personnel et des biens, la cour d'appel, qui a constaté que Mme X... et M. Y..., représentants du personnel, avaient, avec l'appui de leur organisation syndicale, eu un rôle actif et déterminant dans l'organisation de la grève et l'occupation des lieux, a pu ordonner les mesures exigées par les circonstances compte tenu de la possibilité pour les dirigeants de fait du mouvement de grève de présenter les moyens de défense communs à l'ensemble du personnel ;
Sur le second moyen commun aux pourvois n° Q 02-31.071 et D 02-31.999 :
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise décidant l'expulsion de Mme X... et de M. Y... et de tous autres grévistes occupant l'usine avec le concours de la force publique sous astreinte de 1 000 francs par occupant se maintenant dans les lieux passés le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance, l'extinction des feux sous astreinte de 1 000 francs passé le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance et l'enlèvement des véhicules stationnés de façon à empêcher l'entrée et la sortie du site sous astreinte de 1 000 francs passé le délai de deux heures après la signification aux défendeurs de l'ordonnance, alors, selon le moyen :
1 / que la commission par certains salariés grévistes d'actes illicites au cours d'un mouvement de grève ne suffit pas, à elle seule, à modifier la nature de celui-ci ; que ce n'est qu'au cas où la grève entraîne ou risque d'entraîner la désorganisation de l'entreprise qu'elle dégénère en abus ; qu'en l'espèce, pour caractériser le trouble manifestement illicite retenu, la cour d'appel s'est bornée à relever des obstacles à la libre circulation sans préciser si ces obstacles avaient révélé un risque de désorganisation de l'entreprise elle-même ; que, dès lors, elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article L. 521-1 du Code du travail ;
2 / qu'il n'est constaté aucune entrave à la liberté du travail, de sorte que l'arrêt attaqué ne se trouve pas, derechef, légalement justifié au regard des dispositions susvisées ;
3 / que, dans leurs conclusions d'appel, les salariés intéressés faisaient valoir qu'il ne résultait aucunement des constatations de l'huissier que les grévistes auraient occupé les locaux ou interdit l'accès de l'entreprise aux travailleurs non-grévistes ; que les numéros d'immatriculation des véhicules dont le stationnement aurait été gênant n'étaient pas précisés, de sorte qu'il n'était pas possible de les imputer aux grévistes ; qu'ils soulignaient que la chaîne et le cadenas posés sur chacun des portails l'avaient été par la direction de l'entreprise et qu'il n'existait aucune denrée périssable dans l'établissement ; que faute d'avoir répondu à ce chef des conclusions des salariés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'aux motifs éventuellement adoptés du premier juge, que la grève avait été déclenchée sans que le délai de préavis prévu par la collection collective ait été observé, bien que la convention régulièrement établie fasse la loi des parties ;
5 / qu'une convention collective ne peut avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l'exercice du droit de grève constitutionnellement reconnu et que seule la loi peut créer un délai de préavis s'imposant à eux ; que dès lors, à admettre l'adoption d'un tel motif, il procède d'une violation de l'article L. 521-1 du Code du travail ;
Mais attendu qu'en l'espèce, la cour d'appel qui n'avait à se prononcer que sur l'expulsion des grévistes et la cessation des voies de fait par lesquelles ils interdisaient l'accès à l'entreprise, échappe aux critiques du moyen ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne Mme X... et M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille quatre.