AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 30 avril 2002), que M. X..., expert-comptable, a cédé son droit de présentation de sa clientèle à la société Boutleux-Nabos, devenue la société Alliance comptabilité expertise (société ACE), dont il est associé ;
que lors d'une assemblée générale, destinée à approuver les comptes de la société, la diminution du solde du compte d'associé figurant, avec un solde positif, au nom de M. X..., dans les comptes de la société, a été proposée en raison du défaut de paiement de sommes dues par certains de ses clients au jour de la cession et non recouvrées depuis lors ; que M. X... s'est opposé à cette réduction et a, ensuite, assigné la société Boutleux-Nabos ainsi que M. Y... en paiement du solde de son compte d'associé ; que ceux-ci ont demandé, reconventionnellement, la condamnation de M. X... au paiement d'honoraires au titre de travaux comptables accomplis pour M. X... dans le cadre d'activités personnelles ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que M. Y... et la société ACE font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer à M. X... la somme de 794 479 francs (121 117,54 euros) et rejeté l'ensemble de leurs demandes, alors selon le moyen :
1 / que sauf stipulation contraire, la convention de présentation de clientèle laisse au cédant la propriété des créances antérieures à la cession dont il assume l'obligation de recouvrement ;
qu'en l'espèce il résulte de propres constatations d'une part, que le cédant et le cessionnaire ont convenu que seules les créances postérieures à la cession de clientèle seraient la propriété de la SARL, d'autre part, que le cessionnaire n'a souscrit aucune obligation de recouvrement des créances antérieures demeurées la propriété de M. X... ; qu'en estimant dès lors que le recouvrement des créances du cédant s'effectuait dans le seul intérêt du cessionnaire, la cour d'appel aurait violé les articles 1122, 1128 et 1690 du Code civil ;
2 / qu'en estimant que le recouvrement des créances de M. X... s'effectuait dans le seul intérêt du cessionnaire, bien que le contrat de présentation de clientèle du 29 juin stipulait que la société Boutleux-Nabos serait uniquement propriétaires des créances postérieures à la cession, la cour d'appel a dénaturé la convention en violation de l'article 1134 du Code civil ;
3 / que la subrogation conventionnelle doit être expresse et opérée au plus tard au moment du paiement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne constate pas la concomitance du paiement par rapport à la transmission des droits et obligations de M. X... à la société ACE ; que le prix stipulé par les parties à la convention du 29 juin 1993 ne concernait que la clientèle et le matériel et non les droits et obligations de M. X... antérieurs à la cession ; qu'en estimant que le recouvrement des créances de M. X... s'effectuait dans le seul intérêt de l'entreprise, alors qu'il ne caractérisait pas l'existence d'une subrogation conventionnelle, l'arrêt manque de base légale au regard des articles 1249 et 1250 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'un compte d'associé est une dette qu'une société reconnaît avoir à l'encontre de l'un de ses porteurs de parts ; qu'après avoir observé qu'aucune disposition de la convention de cession ne concernait les sommes dues par les clients de M. X... au jour de la cession et que les deux parties à l'acte étaient, en leur qualité de professionnels de l'expertise comptable, parfaitement informées des conséquences des écritures portées dans les comptes sociaux d'une entreprise, la cour d'appel a, exactement et sans dénaturer la convention passée entre elles, considéré qu'en portant au compte d'associé de M. X..., une somme égale à celle qu'il devait percevoir de ses clients pour des travaux réalisés avant la cession, la société Boutleux-Nabos avait reconnu avoir une dette à l'égard de M. X... et que, dès lors, le recouvrement des créances nées avant la cession ne s'effectuait plus que dans le seul intérêt de l'entreprise ;
Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que M. Y... et la société ACE avaient soutenu devant la cour d'appel que les conditions de la subrogation conventionnelle n'étaient en l'espèce pas réunies ; que le moyen est donc nouveau et mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, est mal fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Y... et la société ACE font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'un compte courant d'associé n'est remboursable à tout moment que lorsque les parties n'ont pas entendu aménager ses modalités de remboursement par une convention particulière ; que MM. Y... et X... ont dérogé au principe du paiement immédiat du compte d'associé de M. X... auprès de la société en s'entendant sur un mécanisme en vertu duquel le solde du compte d'associé variait, au crédit comme au débit, en fonction du paiement ou de l'absence de paiement des créances demeurées la propriété de M. X... ; qu'en estimant que la société ACE ne pouvait débiter le compte d'associé des impayés et devait en régler intégralement le solde la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1156 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, d'un côté, qu'il ne résulte d'aucune convention entre les parties qu'il existe un lien entre la somme portée au crédit du compte d'associé de M. X... et la possibilité de recouvrement des créances que ce dernier détenait sur ses clients au jour de la cession et, de l'autre côté, qu'il ne résulte pas des nombreuses pièces produites au débat qu'il ait existé une relation dans le cadre du fonctionnement du compte d'associé de M. X... entre les retraits effectués par celui-ci et les recouvrements obtenus par la société Boutleux-Nabos ; qu'appréciant ainsi souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel en a exactement déduit que la société ne pouvait diminuer le solde du compte d'associé du montant des créances qu'elle n'était pas parvenue à recouvrer et des impayés de certains clients antérieurs à la cession ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que M. Y... et la société ACE font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'il incombe au créancier de prouver le montant de sa créance par tous moyens ; qu'après avoir reconnu que la société ACE établissait la preuve de la réalisation des travaux de comptabilité pour la Résidence des Pêcheries, dont M. X... était l'un des copropriétaires et le syndic, la cour d'appel ne pouvait pas, sans inverser la charge de la preuve, estimer qu'il incombait également à la société d'établir que M. X... avait conservé par devers lui des sommes dont il n'était pas créancier ; qu'en se prononçant de la sorte le cour d'appel a violé les articles 1239 et 1315 du Code civil ;
Mais attendu que, répondant au moyen selon lequel la société ACE avait accompli des travaux de comptabilité pour le compte de la Résidence des Pêcheries, sans que ces travaux aient été payés à la société par le syndicat, M. X... ayant directement encaissé le règlement de ceux-ci, la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu, sans inverser la charge de la preuve, considérer qu'aucune pièce ne démontrait que M. X... avait conservé par devers lui les fonds qui devaient revenir à la société ;
d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... et la société Alliance comptabilité expertise aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Y... et la société Alliance comptabilité expertise à payer à M. X... la somme globale de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille quatre.