La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/04/2004 | FRANCE | N°03-CRD057

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 05 avril 2004, 03-CRD057


La Commission Nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, a rendu la décision suivante :

Statuant sur le recours formé par :

- M. Benoit X...

contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 1er juillet 2003, qui a alloué à M. X... une indemnité de 5000 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;

Les débats ayant eu lieu en audience publique le 6 février 2004, le demandeur et ses avocats ne s'y étant pas opposé ;

Vu les dossiers de la procédure

de réparation et de la procédure pénale ;

Vu les conclusions de Me Cocusse et celles de Me Pat...

La Commission Nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, a rendu la décision suivante :

Statuant sur le recours formé par :

- M. Benoit X...

contre la décision du premier président de la cour d'appel de Paris en date du 1er juillet 2003, qui a alloué à M. X... une indemnité de 5000 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;

Les débats ayant eu lieu en audience publique le 6 février 2004, le demandeur et ses avocats ne s'y étant pas opposé ;

Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;

Vu les conclusions de Me Cocusse et celles de Me Patte avocats de M. X... ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;

Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;

Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur et à l'agent judiciaire du Trésor, un mois avant l'audience ;

Sur le rapport de M. le président et rapporteur Bizot, les observations de Me Cocusse et de Me Patte, avocats de M. X..., celles de Me Couturier Heller avocat de l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Finielz ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;

LA COMMISSION :

Attendu que par décision du 1er juillet 2003, le premier président de la cour d'appel de Paris a alloué à M. X... une somme de 5000 euros en réparation du préjudice moral à raison d'une détention provisoire de deux mois et un jour effectuée du 29 mai 1999 au 30 juillet 1999 et l'a débouté de sa demande en réparation du préjudice matériel ;

Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision, tendant à l'augmentation de la somme réparant le préjudice moral et à l'allocation d'un indemnité réparant le préjudice matériel ;

Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ;

Que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, causé par la privation de liberté ;

Attendu que M. X..., après avoir rappelé les circonstances ayant abouti à sa condamnation pénale et à la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office dont il a fait l'objet et procédé à une analyse des motifs de l'ordonnance déférée, réclame une indemnité globale de 457.700 euros ; qu'il fait valoir en substance qu'il a perdu toute chance de retrouver un emploi compte tenu de son âge, du retentissement médiatique de l'affaire "et du poids de la prise en considération de sa détention dans la décision d'un éventuel employeur" et que cette perte est un élément du préjudice moral lié, du moins en partie à la détention avec une répercussion économique considérable ; qu'il convient de prendre en considération l'aggravation de son état de santé et l'évolution de sa situation familiale, ainsi que le caractère exceptionnel, voire inédit à l'époque, de l'incarcération d'un magistrat, entourée d'une publicité également exceptionnelle sans comparaison avec celle de l'annonce de la décision de relaxe ; que, sur la base de son revenu annuel d'alors (400.000 frs) il a ainsi perdu, pour onze années de carrière, une somme de 670.700 euros ; qu'il estime dès lors "raisonnable" de scinder l'indemnité qu'il réclame en une moitié pour "atteinte à sa réputation ayant entraîné de graves conséquences conjugales, familiales et sociales, non réparées par le jugement de relaxe" et une moitié pour la "perte totale de chance de retrouver un emploi public ou privé du fait de son incarcération, outre les frais de toute nature qu'il a dû exposer pour les nécessités de sa défense" ;

Attendu que l'Agent Judiciaire du Trésor demande à la Commission de rejeter le recours, et fait valoir que, comme l'a retenu à juste titre le premier président, le préjudice économique de M. X... n'est pas en relation avec la détention mais avec la sanction disciplinaire prise, un an après sa remise en liberté, par le Conseil supérieur de la magistrature ( C.S.M. ) et que la souffrance due à l'impossibilité de retrouver un emploi et à l'isolement professionnel est la conséquences des poursuites et non de la détention ; qu'en ce qui concerne les frais de défense, aucun justificatif n'est fourni permettant de connaître ceux des frais directement liés à la détention ; qu'il convient enfin d'approuver la décision déférée quant au préjudice moral, excluant les difficultés de santé et conjugales comme sans lien avec la détention et fixant l'indemnité suivant les critères d'appréciation fondés exactement sur l'âge, sur les éléments de personnalité et sur l'environnement familial et social ;

Attendu que le Procureur Général près la Cour de Cassation conclut à la confirmation de la décision déférée ; qu'il fait observer que les difficultés de recherche d'emploi de M. X... trouvent leur origine non dans la détention mais dans les poursuites pénales et disciplinaires dont il a fait l'objet, ainsi qu'il ressort des attestations produites et souligne notamment la décision de suspension provisoire prise par le Conseil supérieur de la magistrature dès le 27 avril 1999, antérieurement à la mise en examen et en détention ; que les remarques de M. X... sur les mesures prises par le juge d'instruction et sur la décision de relaxe, ne relèvent pas du champ d'intervention de la Commission ; que les frais d'avocat en relation avec la détention ne sont pas justifiés ; qu' enfin qu'au titre du préjudice moral, ni l'état de santé de M. X..., ni son divorce ne sont en relation causale démontrée avec la détention et que ce préjudice a été suffisamment évalué par le premier président, qui a justement pris en compte à ce titre l'écho médiatique donné à l'affaire ;

Sur la réparation du préjudice matériel :

Attendu, sur la perte de chance, qu'au vu des pièces produites, le lien de causalité certain entre la détention provisoire subie par M. X... et, d'une part la mesure disciplinaire de mise à la retraite d'office prise à son encontre par le Conseil supérieur de la magistrature, d'autre part les difficultés rencontrées par le requérant pour retrouver un emploi rémunéré à l'issue des poursuites pénales et disciplinaires, n'est pas établi ; qu'en effet , comme l'a retenu à juste titre le premier président, d'abord les motifs de la décision du Conseil supérieur de la magistrature ne font nullement état de l'incarcération de M. X..., ensuite les attestations des avocats que le requérant a démarchés, notamment dans la région parisienne, ne permettent pas d'affirmer que l'incarcération a pu constituer en elle-même aux yeux de ces personnes un obstacle à sa recherche d'un emploi ni même qu'elle ait concouru à l'insuccès de cette recherche ; qu'il convient donc d'approuver l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande d'indemnisation de ce chef ;

Attendu, sur les frais de défense, que la réparation du préjudice résultant du paiement de tels frais , notamment des honoraires d'avocat, n'est due qu'à raison des sommes payées au titre des prestations directement liées à la privation de liberté ; qu'il appartient au requérant d'en justifier par la production de factures ou du compte nécessairement établi par son défenseur avant tout paiement définitif en application de l'article 245 du décret n 91-1197 du 27 novembre 1991 détaillant les prestations fournies au titre de son placement en détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences effectuées pour faire cesser cette situation par des demandes de mise en liberté ; qu'en l'espèce, aucune des pièces versées ne satisfait à ces exigences de preuve ; que cette demande, qui, au surplus n'est pas spécialement et distinctement chiffrée, ne peut donc être accueillie ;

Attendu qu'en définitive, le recours de M. X... au titre de la réparation du préjudice matériel causé par la détention ne peut qu'être rejeté ;

Sur la réparation du préjudice moral :

Attendu que c'est à tort que le premier président, pour évaluer l'étendue du préjudice moral, a retenu comme circonstance de nature à en diminuer l'importance, les risques sur sa situation personnelle que M. X... aurait pris en raison de la nature des relations qu'il avait nouées avec des personnes impliquées dans des comportements délictueux et l'incompatibilité de son mode de vie avec les devoirs de son état de magistrat, dès lors que, le requérant ayant été relaxé des poursuites des chefs de corruption active et passive et d'entrave à l'exercice de la justice, cette circonstance n'est pas de nature à diminuer la souffrance morale directement causée par l'incarcération ;

Attendu par ailleurs que ne peut donner lieu à réparation le préjudice moral résultant de la publication d'articles de presse concernant le requérant sans que soit justifiée la relation directe entre ce préjudice et la mesure de détention provisoire qu'il a subie, même si ces articles relatent son arrestation, sa mise en examen, son incarcération et s'ils portent atteinte à la présomption d'innocence ; que de même ne peut être pris en compte, en l'absence d'un lien de causalité direct entre le préjudice subi et la détention provisoire, le préjudice moral résultant de la nature des poursuites pénales engagées contre le requérant et de la mise en cause corrélative de sa moralité ; qu'ainsi, au regard des justifications produites, c'est à tort que le premier président a retenu pour apprécier l'étendue de ce préjudice les énonciations de l'ordonnance de placement en détention faisant état de l'écho médiatique donné à l'affaire pour justifier l'existence d'un trouble à l'ordre public motivant le placement en détention provisoire ;

Attendu qu'en revanche, au regard des pièces produites et des circonstances, notamment les mesures disciplinaires successives d'interdiction temporaire de fonctions puis de mise à la retraite d'office qui ont été infligées au requérant par le Conseil supérieur de la magistrature les 27 avril 1999 et 24 juillet 2000, le premier président a justement refusé de tenir compte, comme ne résultant pas directement de la privation de liberté, la souffrance morale invoquée par M. X... au titre de son isolement social et de ses difficultés à retrouver un emploi à l'issue de sa détention, ainsi que l'apparition et l'évolution de la maladie dont il souffre depuis août 2002 et ses difficultés d'ordre conjugal ou familial ;

Attendu qu'au moment de son incarcération, M. X... était âgé de 53 ans ; qu'il n'avait jamais connu d'antécédents de cette nature ; qu'il était marié ; que magistrat de l'ordre judiciaire, il avait exercé longtemps des fonctions de juge d'instruction ; qu'il a été détenu durant onze jours au secret à la maison d'arrêt de Compiègne puis jusqu'à sa libération dans le quartier réservé aux détenus nécessitant une protection spéciale de la maison d'arrêt de la Santé à Paris ; que dans ces conditions, ainsi qu'il ressort des documents produits, M. X... a subi un choc psychologique carcéral qui peut être qualifié d'important ; qu'ainsi, compte tenu de la durée de la détention, le préjudice moral d'une gravité particulière qu'il a subi sera intégralement réparé par une indemnité de 9.500 euros ;

PAR CES MOTIFS

Accueille le recours de M. Benoit X... du chef du préjudice moral, et statuant à nouveau sur ce chef de demande,

Alloue à M. Benoit X... la somme de 9.500 euros en réparation du préjudice moral.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.

Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique par la Commission Nationale de réparation des détentions, le 5 avril 2004 où étaient présents :

M. Bizot, président et rapporteur, Mme Karsenty, Mme Nesi, M. Finielz avocat général et Mme Grosjean, greffier.

En foi de quoi la présente décision a été signée par le président et le greffier.


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 03-CRD057
Date de la décision : 05/04/2004

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juillet 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 05 avr. 2004, pourvoi n°03-CRD057


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bizot
Avocat général : Avocat général : M. Finielz
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Bizot

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.CRD057
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award