AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que Domingo X..., salarié de la société AMEX propreté, devenue la société ISS Abilis SA, est décédé subitement pendant son travail le 11 avril 1996 ; que la caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge le décès à titre d'accident du travail ; que la cour d'appel (Versailles, 11 décembre 2001) a accueilli la demande de Mme X... de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ;
Sur les moyens uniques des pourvois principal et incident :
Attendu que la société ISS Abilis SA et la CPAM font grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué alors, selon les moyens :
1 ) que l'employeur ou la caisse doivent détruire la présomption d'imputabilité posée par l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale en rapportant la preuve que la lésion survenue au temps et au lieu du travail a une cause totalement étrangère au travail ; qu'en imposant à l'employeur de prouver également que les conditions normales de travail n'avaient pas "décompensé ou aggravé" un état pathologique préexistant, la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ;
2 ) qu'en retenant que l'employeur ne rapportait pas la preuve que les conditions de travail normales au moment du décès n'avaient pas décompensé ou aggravé un état pathologique préexistant de M. X..., après avoir pourtant constaté que l'expert désigné avait expressément conclu que le décès constituait "la manifestation spontanée d'un état pathologique préexistant non influencé par les conditions du travail du 11 avril 1996", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ;
3 ) que dans son rapport du 10 juin 1999, l'expert formulait des conclusions claires et sans équivoques aux termes desquelles le décès de Domingo X..., qu'il s'agisse d'un accident vasculaire cérébral ou d'un accident cardiaque était du uniquement à un état pathologique préexistant et n'avait pas été influencé par les conditions de travail du 11 avril 1996 ni d'ailleurs par le travail ayant précédé le décès ; que les conclusions faisaient ressortir sans équivoque l'absence de lien entre le décès et le travail ; qu'en énonçant néanmoins que les conclusions de l'expert ne permettaient pas de dire que le décès avait une cause entièrement étrangère au travail, les juges du fond en ont dénaturé les termes et violé l'article 1134 du Code civil ;
4 ) qu'il appartient au juge, saisi d'une difficulté d'ordre médical dont dépend la solution du litige et qui estime que les conclusions de l'expert technique, bien qu'ayant respecté les termes de sa mission, ne l'éclairent pas suffisamment, d'ordonner un complément d'expertise ;
qu'en l'espèce, l'expert se conformant à la mission qui lui était impartie par les juges du fond, a estimé qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le décès de Domingo X... et les conditions de travail du 11 avril 1996 ; que la cour d'appel, qui a souhaité aller au-delà de la mission ainsi fixée en s'interrogeant sur le point de savoir si le décès avait eu une cause entièrement étrangère au travail, devait solliciter auprès de l'expert les précisions et explications complémentaires qui ne lui avaient pas été demandées au départ, et ce, même en l'absence de la demande des parties ; qu'en s'abstenant de demander ce complément d'expertise, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1 et L. 141-2 du Code de la sécurité sociale ;
5 ) que les juges du fond sont tenus d'analyser, fussent succinctement, l'ensemble des éléments de preuve soumis à leur appréciation ; que la caisse primaire d'assurance maladie versait aux débats le rapport de l'enquêteur aux termes duquel M. Y..., responsable de la société Technip, lui avait notamment déclaré qu'aucune tâche ou travail pénible n'avait été commandé à la société Amex dans les jours qui avaient précédé le décès, ni avait remarqué un changement de comportement chez Domingo X... dans les semaines ou les jours qui avaient précédé son décès ; que le décès de l'assuré avait donc une cause étrangère au travail ; qu'en décidant le contraire, sans préciser en quoi la pièce susvisée ne pouvait emporter sa conviction, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait soumis à son examen, sans les dénaturer, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'ordonner un complément d'expertise, a estimé que l'employeur et la caisse ne rapportaient pas la preuve de l'absence de tout lien entre le travail et le décès de Domingo X... ; qu'elle en a exactement déduit que la présomption d'imputabilité du décès au travail n'était pas détruite et que le décès de Domingo X... devait être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ;
D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Condamne la société Iss Abilis France et la CPAM des Hauts-de-Seine aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la CPAM des Hauts-de-Seine ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille quatre.