AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... et M. Y... ont publié aux éditions Albin Michel un ouvrage intitulé "L'Omerta Française" dont un chapitre est en partie consacré aux relations de connivence entre la presse et la police et aux relations avec le service des renseignements généraux du ministère de l'Intérieur ; que, s'estimant diffamé par le passage suivant, M. Z..., dit A... (M. A...), a assigné, sur le fondement des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, les deux auteurs et la société d'édition en réparation de son préjudice en relevant, notamment, les propos suivants : "Charles A... est plutôt du côté (...) du RAID (...), des brigades anti-criminalité et autres chasseurs de Moussa (...) Ce qui est sûr, c'est qu'en dix ans de "Droit de savoir", ce journaliste n'a jamais diffamé la Police nationale ou le ministère de l'Intérieur. Les "bavures" ? Quelles "bavures" ? Les flics ripoux ? Connaît pas. L'accueil dans les commissariats ? Pas un sujet ça, coco ! Les manipulations, les enquêtes orientées ? Les écoutes téléphoniques ? Les violences en garde à vue ? Les caisses noires de certains services de police qui permettent d'arrondir les fins de mois ? Mais puisqu'on vous dit que ça n'existe pas. Pas plus que les boîtes de nuit protégées par les commissaires - sur les Champs-Elysées ou ailleurs. Ou les maisons
closes protégées par d'anciens avocats proches de Mitterrand devenus ministres et que l'Intérieur ne ferme pas parce qu'on y récolte des "tuyaux" utiles. Ou les "notes blanches" du ministère mettant en cause le goût pour les petits garçons de ce journaliste chargé des affaires policières ou de cet ancien conseiller d'Alain Juppé à Matignon" (...) Même à TF1, une ou deux fois par an, il faut faire des concessions à l'information. Donc, il y a eu toute une émission du "Droit de savoir". Sur quoi ? (...) A... a sa conscience (professionnelle) pour lui : il a osé prendre tous les risques en évoquant -à l'antenne !- l'existence des RG. Il y a tout de même des limites à l'information. Une séquence instructive a ainsi disparu de l'émission. On y voyait Claude B..., le directeur des RG à la Préfecture de Police, grommeler : "Il faudra bien qu'il parle, ce pasteur, car il en sait des choses." C'est un journaliste du "Droit de savoir" qui, en faisant du footing avec Claude B..., un peu trop en confiance ce jour-là, avait obtenu ce scoop. Heureusement, Charles A... veillait au grain. Car cette fâcheuse confidence tendait à prouver que la hiérarchie de C... était plus au courant qu'elle ne l'a dit des méthodes d'enquête musclées de l'inspecteur. Après une si bonne émission, le "Droit de savoir" a bien sûr cherché à faire toute la lumière sur d'autres sujets importants". (...) "Mais quelquefois, le grand investigateur de TF1 sait réagir à chaud. En février 1994, D...
E... est assassinée. Un "Droit de savoir" lui est consacré. Mais on ne s'attarde pas sur les sujets sensibles :
marchés truqués et accords politoco-mafieux. Il faut attendre novembre 1997 pour que Charles A... s'intéresse à nouveau au sujet. Il a une raison supplémentaire, peu connue, d'être bien informé sur l'affaire : sa femme. Elle évolue tous les jours dans les coulisses de la politique varoise. A quel titre ? Elle est conseillère municipale de Hyères. Hyères ? La ville dirigée par un élu UDF folklorique et controversé qui porte des chaussures bicolores, Léopold F.... La ville où D...
E... habitait et dont elle briguait la mairie. Et de quoi s'occupe Mme Geneviève G... dans cette mairie qui a souvent fait la une de la presse locale ? Du chauffage urbain ? De l'enlèvement des ordures ménagères ? Non. Elle est déléguée à la communication et aux relations publiques" ;
Attendu que pour le débouter de sa demande, l'arrêt, après avoir constaté que M. A... était cité personnellement à sept reprises et était critiqué dans ses choix éditoriaux et dans un reportage dont il n'était pas contesté qu'il avait effectivement fait l'objet d'une coupure au montage, retient que l'ensemble des citations ne recèlent objectivement aucune attaque personnelle, une fois la polémique replacée dans son contexte, dès lors que les quatre pages litigieuses, sont, en réalité, par l'exemple de Charles A... et son émission, consacrées à la société TF1, critiquée à de nombreuses reprises par des expressions dépourvues de toute ambiguïté ;
Qu'en statuant ainsi, alors que des faits précis de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire et portant atteinte à son honneur et à sa considération professionnelle étaient directement et personnellement imputés à M. A..., la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mars 2002, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mme X..., M. Y... et la société Les Editions Albin Michel aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme X..., M. Y... et de la société Les Editions Albin Michel, les condamne in solidum à payer à M. Charles Z..., dit A..., la somme de 2 000 euros ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille quatre.