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28/01/2004 | FRANCE | N°02-88111

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 janvier 2004, 02-88111


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit janvier deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de Me BLONDEL, de la société civile professionnelle BACHELLIER - POTIER de la VARDE, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois fo

rmés par :

- X... Yves,

- Y... Jacques,

- Z... Gabriel,

- A... Eliane,
...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit janvier deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de Me BLONDEL, de la société civile professionnelle BACHELLIER - POTIER de la VARDE, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Yves,

- Y... Jacques,

- Z... Gabriel,

- A... Eliane,

- LA SOCIETE SPIE TRINDEL, contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 23 octobre 2002, qui a condamné, Yves X..., pour complicité d'abus de biens sociaux, recel d'abus de crédit, trafic d'influence, escroqueries, prise illégale d'intérêts et détournement de fonds, à 3 ans d'emprisonnement et 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, Jacques Y..., pour escroquerie, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, Gabriel Z..., pour complicité d'abus de biens sociaux, présentation de comptes infidèles, escroquerie, faux et usage, à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, Eliane A..., pour recel d'escroquerie, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis, la société SPIE TRINDEL, pour recel d'escroquerie, à 1 million de francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi formé par Eliane A... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur les autres pourvois ;

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Yves X... et Jacques Y..., pris de la violation des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, ensemble violation des articles L. 242-6, L. 242-30 et L. 241-3 du Code de commerce ; violation des articles 313-1, 313-7, 313-8 et 313-10 du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que, la Cour a écarté Ies moyens tirés de la prescription de l'action publique ;

"aux motifs que, pour ce qui concerne la prévention d'abus de biens sociaux, les prévenus estiment que l'action publique se trouve éteinte par la prescription ; qu'ils font valoir à ce titre que les factures litigieuses figuraient dans les comptes annuels des sociétés en cause de sorte qu'il ne pouvait y avoir dissimulation ; qu'en effet, si pendant une très longue période, la Cour de Cassation a considéré que le point de départ de la prescription du délit d'abus de biens sociaux devait être fixé au jour où il était apparu et avait pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, la jurisprudence en son dernier état, considère que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu'en l'espèce, il est reproché à Michel B... et Franco C..., dirigeants de droit de leur société respective, d'avoir, de 1990 à 1995, commis des abus de biens sociaux en rétrocédant notamment aux sociétés Sodelta et Socopap un pourcentage du prix des marchés obtenus de la RMDE de Villard-Bonnot, dans un but de corruption et pour maintenir par ces faveurs, des relations avec des décideurs influents ; qu'en ce qui concerne la société C..., les commissions n'ont pas été versées directement aux sociétés Socopap et Sodelta, mais ont été réglées à la société B..., mandataire commun des premier et second marchés ; que ces commissions étaient mentionnées dans la comptabilité de l'entreprise et enregistrées dans les comptes 623800 (divers, publicités, publications et relations publiques) et 606800 (achats stockés) ; quant aux commissions versées par la société B..., elles sont enregistrées dans le compte de l'entreprise, dans la rubrique 622100 "commissions et courtages sur achats" ; que toutefois, si les commissions versées aux sociétés Sodelta et Socopap étaient inscrites dans la comptabilité des sociétés B... et C..., force est de constater qu'elles n'apparaissent pas de façon claire dans les comptes annuels de l'entreprise, du moins dans les informations fournies par l'entreprise à l'Assemblée Générale des actionnaires ;

qu'il en était de même du compte client débiteur d'Yves X... dans les comptes de la société C... ; les informations, limitativement énumérées par l'article 168 de la loi du 24 juillet 1966 (article L. 225-155 du code de commerce) et par l'article D. 148 du décret du 23 mars 1967 précisant le contenu du rapport de gestion fait par le Conseil d'Administration à l'Assemblée Générale des actionnaires, ne permettaient ni aux actionnaires de la société B... ni à ceux de la société C... de déceler les irrégularités et, par conséquence, de mettre en mouvement l'action publique ; que si les informations données aux actionnaires sont, en l'espèce, insuffisantes pour que ceux-ci décèlent l'existence d'infractions, il y a lieu d'examiner si les commissaires aux comptes pouvaient déceler l'existence d'abus de biens sociaux ;

"et aux motifs encore qu'en l'espèce, l'examen de la comptabilité de la société B... montre que les commissions versées aux sociétés Socopap et Sodelta étaient enregistrées dans des comptes dont les variations d'un exercice à l'autre étaient non significatives, de sorte que le commissaire aux comptes ne pouvait déceler ces versements seulement sur la variation ou le poids du compte 622100 dans les comptes de la société B... ; que le commissaire aux comptes ne pouvait pas plus déceler les irrégularités à l'examen de la déclaration DAS.2 (déclaration fiscale) ;

qu'en effet, si sur les états établis pour la période litigieuse, les commissions versées à Socopap et Sodelpa sont inscrites avec mention "assistance commerciale", il était impossible au commissaire aux comptes de déceler l'abus de biens sociaux, les factures émises par Sodelta et Socopap comportant les mentions légales obligatoires ; qu'enfin, l'attention du commissaire aux comptes ne pouvait être attirée par l'examen de la situation fiscale des entreprises dans la mesure où il s'agissait de commissions déductibles, non portées dans le tableau de détermination du résultat fiscal qu'il est donc incontestable que les commissaires aux comptes des sociétés B... et C... ne pouvaient déceler l'existence d'abus de biens sociaux qu'il s'agisse des commissions versées à Sodelta et Socopap ou du crédit accordé par l'entreprise C... à Yves X... (virements du 30 avril 1994 et du 30 septembre 1995 correspondants aux factures datées du 30 avril 1994 et 31 mars 1995) ; que d'ailleurs, seuls les rapprochements entre les attachements de travaux et les factures adressées par la société B... effectués pour la première fois dans le rapport d'audit des comptes de la RMDE commandé par la nouvelle municipalité de Villard-Bonnot ont permis de constater les agissements délictueux ; que dans ces conditions, dès lors que les informations comptables données aux associés et, a fortiori, aux commissaires aux comptes ne permettaient pas de tirer de l'analyse intrinsèque des postes comptables la présomption d'agissements susceptibles de constituer le délit d'abus de biens sociaux, il y avait dissimulation de sorte que le point de départ de la prescription ne pouvait être le jour de la présentation des comptes annuels par lesquels les défenses litigieuses étaient mises indûment à la charge de la société, mais devait être fixé au jour où il avait pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, soit en l'espèce en mars 1997 si bien que l'exception de prescription soulevée par les prévenus sera en conséquence rejetée ;

"alors qu'à partir du moment où des commissaires aux comptes sont appelés à vérifier l'ensemble des mouvements d'une entreprise et à partir du moment où la Cour constate que les commissions en cause étaient bien mentionnées dans la comptabilité de l'entreprise et enregistrées dans les comptes 623800 et 606800, ensemble étaient enregistrées dans les comptes de l'entreprise B... dans la rubrique 622100, il appartenait au commissaire aux comptes de demander les éclaircissements nécessaires par rapport à ces inscriptions, la Cour ne pouvant se contenter de dire sans autres précisions que les inscriptions en comptabilité n'apparaissaient pas de façon claire dans les comptes annuels de l'entreprise pour faire état d'une véritable dissimulation non caractérisée par des motifs pertinents ; qu'ainsi, sur le moyen tiré de la prescription, l'arrêt tel qu'il est ne contient pas les motifs de nature à justifier la solution retenue, d'où une méconnaissance des exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"alors que d'autre part en toute hypothèse, Jacques Y... a avancé un moyen tiré de la prescription du délit d'escroquerie qui lui était reproché, moyen ainsi conçu : "Jacques Y... a été condamné par jugement du 11 avril 2000, rendu par le tribunal correctionnel de Grenoble pour avoir de janvier 1993 à juin 1995 employé de prétendues manoeuvres frauduleuses destinées à persuader de l'existence d'une fausse entreprise en l'espèce, la constitution de la société ECRVC, aux seules fins de refacturer à la RMDE des prestations entièrement sous-traitées, et l'avoir ainsi déterminé à régler à son préjudice une somme d'environ 2 000 000 francs qu'il a été condamné à lui payer à titre de dommages et intérêts ; qu'il sera constaté que cette société a été constituée le 15 décembre 1992 et que la prise en charge du marché confié par la RMDE est intervenue au cours des années 1993 et 1994 ; qu'il est constant que le délit poursuivi est instantané et que le fait générateur de la poursuite résulte d'une plainte avec constitution de partie civile en date du 9 mai 1997 si bien que la Cour devra constater la prescription affectant tous les faits intervenus antérieurement au 9 mai 1994" (cf. p. 2 des conclusions de Jacques Y...) ; qu'en ne consacrant absolument aucun motif à ce moyen péremptoire avancé par Jacques Y... s'agissant de la prescription de faits susceptibles d'être constitutifs d'une escroquerie, laquelle lui a été finalement reprochée, la Cour méconnaît de plus fort les exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale" ;

Sur le moyen pris en sa première branche ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'instigation de Gabriel Z..., maire de Villard-Bonnot, et de Yves X..., directeur de la Régie municipale de distribution de l'énergie (RMDE), les sociétés B... et C..., attributaires des marchés pour la construction du réseau de gaz de la commune, ont affecté un certain pourcentage du montant de ces marchés au financement d'activités politiques, par le biais de la facturation de prestations fictives d'assistance commerciale aux sociétés Socopa et Sodelta ;

Attendu que, pour écarter la prescription des délits d'abus de biens sociaux et complicité reprochés, les juges constatent que les commissions versées à ces sociétés par la société C... étaient enregistrées dans les comptes 623800 "divers, publicités, publications et relations publiques" et 606800 "achats stockés" et celles versées par la société B..., étaient portées au compte 622100 "commissions et courtages sur achats" ; qu'ils énoncent que si ces commissions étaient inscrites dans la comptabilité, force est de constater qu'elles n'apparaissaient pas de façon claire dans les comptes annuels des sociétés C... et B... et que les informations prévues par les articles L. 225-115 du Code de commerce et 148 du décret du 23 mars 1967 ne permettaient pas aux actionnaires des deux sociétés de déceler les irrégularités et, par conséquent, de mettre en mouvement l'action publique ;

Qu'ils relèvent, en outre, qu'il était impossible au commissaire aux comptes de la société B... de découvrir les abus de biens sociaux, tant à l'examen de la comptabilité sociale, dès lors que les commissions étaient enregistrées dans des comptes dont les variations d'un exercice à l'autre n'étaient pas significatives, qu'à l'examen de la déclaration fiscale DAS 2, les factures émises par les sociétés Sodelta et Socopap comportant les mentions légales obligatoires ;

Qu'ils ajoutent que, seuls les rapprochements entre les attachements de travaux et les factures adressées par la société B..., effectués pour la première fois lors de l'audit des comptes de la RMDE, en mars 1997, ont permis de constater les agissements délictueux ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a caractérisé la dissimulation dans la présentation des comptes annuels des sociétés B... et C... des commissions mises indûment à leur charge ;

Sur le moyen pris en sa seconde branche ;

Attendu que Jacques Y... ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel n'a pas répondu au moyen tiré de la prescription du délit d'escroquerie qui lui est reproché, dès lors qu'il résulte tant de la prévention que de l'arrêt attaqué que les remises de fonds consommant le délit se sont poursuivies jusqu'en juin 1995, soit moins de trois ans avant le premier acte interruptif de prescription du 9 mai 1997 ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Yves X... et Jacques Y..., pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 du Code de procédure pénale et 593 du même Code, ensemble méconnaissance des exigences du principe de la réparation intégrale ;

"en ce que la Cour a condamné Yves X... et Jacques Y... à payer diverses sommes substantielles à la société RMDE au titre de l'action civile ;

"aux motifs qu'au vu des éléments du dossier, des pièces justificatives produites et des explications des parties, la Cour dispose des éléments suffisants pour fixer le préjudice subi par la société RMDE au titre de la corruption, au titre de l'escroquerie concernant la villa de Flayosc, au titre de l'escroquerie concernant la deuxième tranche des travaux du réseau de redistribution et au titre de l'escroquerie concernant la première tranche et les détournements sur salaires ;

"alors que d'une part, la censure qui ne manquera pas d'être prononcée sur le fondement du premier moyen, entraînera, par voie de conséquence, l'annulation des condamnations civiles pour perte de fondement juridique ;

"et alors que d'autre part, le juge ne peut se contenter d'une référence aux éléments du dossier, aux pièces justificatives produites et aux explications des parties sans en dire davantage et sans analyser, fut-ce succinctement lesdits éléments, lesdites pièces et sans expliciter, également fut-ce succinctement, les explications des parties ; qu'ainsi la Cour viole les textes et principes cités au moyens" ;

Attendu qu'en évaluant comme elle l'a fait la réparation du préjudice résultant pour la RMDE des délits dont les prévenus ont été déclarés coupables, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, les indemnités propres à réparer le dommage né des infractions ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Gabriel Z..., pris de la violation des articles 437-2 et 437-3 de la loi du 24 juillet 1966, 313-1, 441-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gabriel Z... coupable de complicité d'abus de biens sociaux, de présentation de comptes annuels inexacts, de faux et usage de faux en écriture privée et d'escroquerie, et l'a condamné pénalement à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et à la privation de ses droits civils, civiques et familiaux pour 5 ans et, civilement, à payer solidairement avec la société Spie Trindel et Yves X... la somme de 619 593,20 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 4 500 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure civile ;

"aux motifs qu'il est établi sans conteste possible que, sur la demande expresse de Gabriel Z..., avec l'aide effective d'Yves X..., nommé directeur de la RMDE à cette fin, les sociétés B... et C..., attributaires des marchés de construction du réseau de gaz, avaient un pourcentage non négligeable (2 %) du prix de ces marchés au financement du parti communiste, par le biais de la facturation fictive des bureaux d'études Socopap et Sodelpa ; que Gabriel Z..., en sa qualité de président liquidateur de la SEML TVBG, connaissait parfaitement la déconfiture de cette dernière et n'ignorait nullement l'existence d'une créance conséquente de la société Spie Trindel, qui réalisait les installations techniques ; que c'est donc volontairement qu'il avait omis de faire figurer cette créance au passif de la SEML pour permettre aux actionnaires, dont la commune de Villard-Bonnot et les sociétés attributaires de la première tranche de travaux, de récupérer leur apport en capital ; que c'est également volontairement et en toute connaissance de cause, au mépris des règles régissant la commune, qu'il a signé une convention tripartite stipulant garantie de reprise du passif ; qu'il est avéré que les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 1993 ne donnaient pas une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine à l'expiration de cette période ; qu'en effet, il avait volontairement omis d'inscrire au passif une dette fournisseur de 2 603 444 francs ;

qu'il ne peut être contesté que la RMDE de Villard-Bonnot a subi un préjudice à la suite des infractions commises par les prévenus au titre de l'escroquerie concernant la première tranche de travaux du réseau de télédistribution : 610 593,20 euros (Yves X..., Gabriel Z..., Spie Trindel) ;

"alors que le prévenu faisait valoir que la RMDE, partie civile, était elle-même, par l'intermédiaire de son président Yves X..., à l'origine du transfert des actifs de TVGB-CABLE au profit de ladite partie civile ; que ces actifs se retrouvaient dans le bilan de la RMDE, ce qu'un examen du bilan de la RMDE aurait permis de confirmer ; que la partie civile ne pouvait dès lors ni prétendre ignorer la situation dont elle était à l'origine, ni prétendre avoir subi un préjudice dont l'existence n'avait jamais été alléguée ; qu'en s'abstenant de répondre à ces arguments essentiels et péremptoires de la défense, la cour d'appel a privé sa décision des motifs propres à la justifier" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour la société Spie Trindel, pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 321-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la société Spie Trindel a été déclarée coupable de recel de bien obtenu à l'aide d'une escroquerie et condamnée à une amende et à des réparations civiles ;

"aux motifs que les créances de la société Spie Trindel concernaient uniquement la SEML TVBGC et non la Régie Municipale ; à ce titre, elles devaient être imputées au passif de la SEML ce qui aurait conduit à un actif net négatif de 2 209 276 francs ; que seule une créance de 2 173 154,34 francs avait fait l'objet d'une facturation au 4 mars 1993 et d'une réclamation de la société Spie Trindel ; conformément au principe de responsabilité des actionnaires (article 73 de la loi du 24 juillet 1996), les apports en capital devaient couvrir tout ou partie du passif de liquidation de sorte que, en l'espèce, aucun boni n'aurait pu être réparti (dans l'hypothèse d'un bilan sincère) dans la mesure où subsistaient des créances impayées ; il est également établi, nonobstant les affirmations contraires de la société Spie Trindel, que la SEML TVBGC, faute de fonds propres et de financement, n'avait ni à la date de transfert de la concession de la RMDE (20 mai 1992) ni à la date d'approbation des comptes de liquidation (30 juin 1993) jamais payé aucun des travaux ou équipements réalisés par la société Spie Trindel (ni les comptes du 1er exercice - ni ceux du second exercice

- ni les comptes de liquidation ne font état de règlements à Spie Trindel) ; les factures Spie Trindel relatives à la période du 13 janvier 1992 au 24 avril 1992 adressées au maître d'oeuvre, la société VIT COM ont, faute de paiement, été annulées par avoirs et transférées à la RMED par le biais du financement par crédit bail France Bail ; en l'absence de résiliation de la concession à la SEML et de contrat entre RMED et Spie Trindel, ces factures d'un montant total de 2 676 509,76 francs outre intérêts devaient obligatoirement figurer au passif de la SEML arrêté au 31 décembre 1992 ainsi qu'aux comptes de liquidation ; or, la société Spie Trindel qui connaissait parfaitement l'existence de cette créance (mise en demeure d'avril 1993) et qui connaissait également la totale déconfiture de la SEML (non paiement des factures antérieures, - annulation de celle-ci - reprise par la RMDE avec financement France Bail) avait tout intérêt de participer au montage financier à seules fins de se voir rembourser les fonds apportés à la SEML et se faire régler l'ensemble des travaux effectués ; c'est donc en toute connaissance de cause que la société Spie Trindel a approuvé les comptes de 1992 ainsi que les comptes de liquidation, sur lesquels avaient été volontairement omises les créances impayées de 2 676 509,76 francs outre intérêts et a, ce faisant, récupéré frauduleusement son apport en capital ; c'est également en toute connaissance de cause qu'elle a, en aparté, conclu avec la commune de Villard-Bonnot et la RMDE une convention tripartite pour obtenir le remboursement par RMDE de cette créance qui était devenue irrécouvrable ; en effet, sur ce dernier point, la société Spie Trindel, filiale de la société Spie Batignolles, ne pouvait ignorer que faute de convention de cession, il n'appartenait pas à la régie d'honorer la dette contractée par la SEML, qui aurait dû figurer au passif de la SEML et priver par là même les actionnaires de tout espoir de récupérer leur accord, et que le maire n'avait pas faute de délibération du conseil municipal, aucune qualité pour engager sa commune en garantissant la créance ;

"alors qu'ayant constaté d'une part que la concession de la réalisation, l'exploitation et la gestion du réseau câblé de la commune de Villard-Bonnot avait été régulièrement transférée, par une convention conclue le 20 mai 1992, de la SEML, précédent concessionnaire, à la régie municipale, RMDE, que la SEML décidait le 11 juin 1992 sa dissolution anticipée, et que le 1er septembre 1992, la RMDE décidait de charger la société Spie Trindel de poursuivre ses travaux, d'autre part, que des travaux avaient été initialement facturés à la SEML, pour un montant de 3 968 236 francs et réglés, la cour d'appel, en jugeant que la créance de 2 173 154,34 francs (devenue tout compris 3 094 1325 francs) ayant fait l'objet d'une facturation au 4 mars 1993 et d'une réclamation de Spie Trindel constituait une dette de la SEML et aurait dû figurer à son passif arrêté au 31 décembre 1992 ainsi qu'à ses comptes de liquidation sans avoir constaté que les travaux correspondant à cette créance auraient été exécutés avant le transfert de la concession de la SEML à la RMDE, n'a pas donné une base légale à sa décision ;

"alors qu'en énonçant que la concession attribuée à la SEML n'avait pas été résiliée tout en constatant qu'elle avait été transférée de cette société à la RMDE, la cour d'appel s'est encore contredite ;

"alors que la cour d'appel a aussi statué par des motifs contradictoires en jugeant que l'imputation au passif de la SEML de la créance de la société Spie Trindel aurait conduit à un actif négatif de 2 209 276 francs, ce qui aurait privé les actionnaires de tout espoir de récupérer leur apport, sans tenir compte de ce que la valeur des travaux acquise à la faveur de cette dette aurait alors dû figurer à l'actif, les deux écritures s'équilibrant donc ;

"alors qu'en se fondant sur le mode de comptabilisation des travaux de génie civil réalisés par Spie Trindel après avoir constaté que ces travaux avaient été attribués aux entreprises B...-C...-Mo nin, la cour d'appel s'est à nouveau contredite ;

"alors qu'elle a aussi fait de même, enfin, en relevant que la RMDE avait payé une deuxième fois les travaux de génie civil par le paiement des loyers France Bail après avoir constaté que l'opération avait été financée au moyen d'un crédit-bail, d'où il suit que le rachat de l'actif de la SEML avait été pris en charge par l'établissement financier en contrepartie des loyers qu'il percevrait ensuite" ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour la société Spie Trindel, pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 313-1 et 321-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que la société Spie Trindel a été déclarée coupable de recel de bien obtenu à l'aide d'une escroquerie et condamnée à une amende et à des réparations civiles ;

"aux motifs qu'il apparaît que l'ensemble de ces manoeuvres (dissimulation de la créance de Spie Trindel d'un montant de 2 173 154,34 francs - approbation des comptes de liquidation de la SEML avec un résultat déficitaire de 134 793,19 francs, autorisation de cession des actifs à la RMDE pour 1 011 542,52 francs, montant avoisinant la quasi totalité du capital social - convention tripartite) n'avaient eu pour seul but que de rembourser à l'ensemble des actionnaires de la SEML, dont la société Spie Trindel leur apport en capital et de faire prendre en charge par la RMDE, de façon occulte (aucune convention de cession et aucune autorisation du Conseil d'Administration) une créance fournisseur d'un actionnaire de la SEML Il est donc reproché à Gabriel Z... et à Yves X... une escroquerie au préjudice de la Régie Municipale d'Electricité et à la société Spie Trindel un recel d'escroquerie en encaissant une somme de 3 094 133 francs correspondant à une dette de la SEML TVBGC, intérêts compris, et une somme de 130 109 francs correspondant au remboursement de son apport en capital dans la SEML TVBGC ;

"alors que l'escroquerie n'est constituée qu'en cas de remise au préjudice de la victime ou d'un tiers ; qu'en déclarant les prévenus coupables d'escroquerie au préjudice de la RMDE, et la société Spie Trindel coupable du recel de ce délit, sans avoir constaté l'existence d'une remise préjudiciable, laquelle ne pouvait consister dans le paiement par la RMDE de travaux dont elle acquérait ainsi en contrepartie la valeur, et qui étaient réalisés dans le cadre de la concession qui lui avait été attribuée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

CONDAMNE Yves X..., Gabriel Z..., Jacques Y..., Eliane A... et la société Spie Trindel solidairement à verser à la Régie municipale de distribution d'énergie de Villard-Bonnot la somme de trois mille euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Pibouleau conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Challe conseiller rapporteur, M. Roger conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 02-88111
Date de la décision : 28/01/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, 23 octobre 2002


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 jan. 2004, pourvoi n°02-88111


Composition du Tribunal
Président : Président : M. PIBOULEAU conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:02.88111
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