AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2002), que le propriétaire de locaux donnés à bail à la société La Mélusine, dans lesquels celle-ci exploitait un fonds de commerce de menuiserie industrielle, ayant exercé le droit de délaissement prévu par l'article L. 123-9 du Code de l'urbanisme, le département des Hauts-de-Seine, nouveau propriétaire, a assigné cette société en fixation des indemnités revenant à celle-ci ; que de précédentes décisions ayant, conformément à l'accord des parties, sursis à statuer sur la fixation des indemnités de licenciement des salariés dans l'attente de connaître le nombre de licenciements qui pourraient trouver leur origine dans l'éviction de cette société, celle-ci, après avoir licencié la totalité de ses salariés, a assigné le département en remboursement des indemnités de licenciement ;
Attendu que la société La Mélusine fait grief à l'arrêt de la débouter de cette demande, alors, selon le moyen :
1 / que l'indemnité d'expropriation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain subi par l'exproprié du fait de l'expropriation ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté qu'à la suite de l'expropriation dont elle avait fait l'objet, la société La Mélusine avait cessé toute activité et ne s'était pas réinstallée ; qu'en se contentant d'affirmer, pour débouter la société La Mélusine de sa demande tendant à la condamnation du département des Hauts-de-Seine à lui payer les indemnités de rupture qu'elle avait versées à ses salariés, qu'il n'était pas démontré que le licenciement de l'ensemble des salariés de la société La Mélusine résultait directement de la procédure d'expropriation sans même constater que celui-ci aurait été dû à d'autres causes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation ;
2 / que dans son mémoire d'appel, la société La Mélusine, qui avait invoqué une absence de trésorerie pour se réinstaller, avait fait valoir que, pour pourvoir à la réinstallation d'une structure telle que la sienne qui nécessitait le démontage et le remontage de machines lourdes, celle-ci avait besoin de disposer de la totalité de l'indemnité d'expropriation ; qu'en déduisant l'absence de lien de causalité entre l'expropriation et la cessation de l'activité de la société La Mélusine ainsi que le licenciement de l'ensemble de son personnel du seul fait que cette société n'avait pas donné suite à l'offre du département des Hauts-de-Seine de procéder à un versement partiel ni sollicité un acompte sans même rechercher si, pour se réinstaller, la société La Mélusine n'avait pas besoin immédiatement de la totalité des sommes qui lui avaient été accordées par le juge de l'expropriation, y compris de l'indemnité de déménagement consignée à tort, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation ;
3 / que les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée et ne s'imposent pas au juge du fond ; qu'en considérant que la société La Mélusine ne pouvait "à nouveau" remettre en cause le bien-fondé de la consignation de l'indemnité d'expropriation par le département des Hauts-de-Seine du seul fait que, dans son arrêt du 14 novembre 2000, la cour d'appel avait validé l'ordonnance de référé du 20 avril 2000 ayant ordonné l'expulsion de la société La Mélusine quinze jours après la déconsignation de l'indemnité de déménagement et reconnu le bien-fondé de la consignation pour le surplus à raison des inscriptions et nantissements, la cour d'appel a violé l'article 488 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction; qu'il ne peut retenir à l'appui de sa décision un moyen qu'il a relevé d'office, sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations ; que, dans ses conclusions en réplique, le département des Hauts-de-Seine s'était contenté de soutenir que, dans le cadre de la procédure indemnitaire, la société La Mélusine avait manifesté la volonté de se réinstaller ; qu'il n'a jamais prétendu que les décisions ayant fixé le montant des indemnités d'expropriation à revenir à la société La Mélusine démontraient que celle-ci avait trouvé des locaux dans lesquels elle envisageait de faire des travaux de réinstallation, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre n'avoir pu trouver des locaux pour se réinstaller ; qu'en relevant ce moyen d'office, sans inviter les parties à s'expliquer contradictoirement sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
5 ) qu'il ne résultait ni de la décision du juge de l'expropriation du 10 décembre 1998 ni de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 23 novembre 1999 que la société La Mélusine avait trouvé des locaux lui permettant de se réinstaller ; que ces décisions s'étaient bornées à fixer le montant de certains frais de réinstallation en fonction des postes exigés par l'activité spécifique de cette société, à surseoir à statuer et à accorder une provision en ce qui concerne les frais de réinstallation électrique nécessaires à l'exploitation de cette activité ; qu'en affirmant que ces décisions démontraient que la société La Mélusine avait trouvé des locaux dans lesquels elle envisageait de faire des travaux de réinstallation, la cour d'appel a dénaturé lesdites décisions et violé l'article 1351 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé, sans dénaturer les décisions du 10 décembre 1998 et 23 janvier 1999 ni relever de moyen d'office, que la société La Mélusine, qui avait trouvé des locaux dans lesquels elle envisageait de faire des travaux de réinstallation, avait sollicité, outre l'indemnité d'éviction, des indemnités complémentaires pour travaux et qu'une indemnité de déménagement lui avait été accordée, la cour d'appel a retenu que cette société ne pouvait arguer d'une absence de trésorerie pour se réinstaller alors qu'elle pouvait demander le versement d'un acompte au département comme le lui permettaient les dispositions de l'article R. 13-69, alinéa 1er, du Code de l'expropriation ou, à tout le moins répondre positivement à l'offre qui lui était faite du versement partiel de l'indemnité ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant exactement relevé, sans violer l'article 488 du nouveau Code de procédure civile, que la société La Mélusine ne pouvait remettre en cause le bien-fondé de la consignation de l'indemnité par le département, reconnu par une précédente décision rendue en application de l'article R. 13-39 du Code de l'expropriation, dès lors que si la juridiction de l'expropriation, saisie sur ce fondement, statue comme en matière de référé, elle se prononce sur le fond du droit et sa décision a, au principal, l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel, qui a pu en déduire que la cessation d'activité de la société La Mélusine et le licenciement de son personnel n'avaient pas de lien direct avec l'expropriation, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Mélusine aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société La Mélusine ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille trois.