AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Rennes, 16 mai 2001) que M. X..., propriétaire du navire "Castor", et son assureur, Les Mutuelles du Mans, ont assigné devant le tribunal de grande instance de Nantes M. Y..., propriétaire du navire "Gavroche III" et son assureur, la société Assurances du Crédit Mutuel ; qu'ils ont soutenu que ce navire, déposé à sec sur un terre-plein du Port de Crouesty par la société Sagemor, concessionnaire et gérante du port, avait été renversé sous l'effet d'un fort coup de vent, endommageant le "Castor" stationné à ses côtés ; que M. Y... et son assureur ont eux-mêmes assigné la Sagemor, en garantie de toutes leurs condamnations ; que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'incompétence de la juridiction judiciaire soulevée par la Sagemor devant le juge de la mise en état ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que M. Y... et son assureur soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi, au motif que l'arrêt attaqué s'est borné à rejeter une exception d'incompétence sans mettre fin à l'instance ;
Mais attendu que le pourvoi, qui invoque l'excès de pouvoir du juge judiciaire, caractérisé par la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, est immédiatement recevable devant la Cour de Cassation ;
Sur le moyen unique pris en ses trois branches :
Attendu que la société Sagemor fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par elle alors, selon le moyen :
1 / que le juge doit en toutes circonstances observer le principe du contradictoire ; qu'en soulevant d'office le moyen selon lequel le concessionnaire d'un port est nécessairement concessionnaire de l'outillage public portuaire, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / subsidiairement que la société Sagemor faisait valoir que le déplacement à terre du bateau de M. Y... n'avait pas été effectué à l'aide d'un outillage public ; qu'en estimant que M. Y... avait été usager du service de l'outillage portuaire sans préciser l'outillage qui aurait été utilisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 4 de la loi du 28 pluviose an VIII ;
3 / que les litiges relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public relèvent de la compétence des juridictions administratives ; que la cour d'appel a constaté que le déplacement du bateau de M. Y... avait pour objet exclusif de permettre l'exécution, selon un nouveau mode, du contrat d'occupation de domaine public bénéficiant à ce dernier ; qu'en estimant néanmoins que l'action de M. Y... et de la compagnie Assurances du Crédit Mutuel à l'encontre de la société Sagemor relevait de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, ensemble l'article L. 84 du Code du domaine de l'Etat ;
Mais attendu que le motif pris de ce que le concessionnaire d'un port est nécessairement concessionnaire de l'outillage public était déjà formulé par l'ordonnance frappée d'appel ; que la cour d'appel, après avoir constaté qu'il y avait eu exécution imprudente de l'opération de dépose sur un terre-plein présentant le caractère d'un outillage public, a retenu que le litige ne provenait pas d'un contrat comportant occupation du domaine public, mais de l'exécution, dans le cadre d'un contrat de manutention, d'une prestation fournie à l'usager d'un service public industriel et commercial, ce dont il résultait que le juge judiciaire était compétent pour en connaître ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans ses deux premières branches, est inopérant dans la troisième ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sagemor aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Sagemor à payer la somme globale de 2 500 euros à M. Y... et à la compagnie ACM ; rejette la demande de la société Sagemor ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf décembre deux mille trois.