AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses cinq branches :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 27 octobre 2000), que la société Eurobail qui avait consenti plusieurs contrats de crédit-bail immobilier à la société Au Vieux Chêne Camille Picard et fils (la société), mise en redressement judiciaire le 19 juillet 1994, a demandé la condamnation personnelle de M. X..., au paiement de dommages-intérêts, lui reprochant d'avoir, en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société avec mission d'assurer la gestion de l'entreprise, commis une faute en laissant la société poursuivre son activité ;
Attendu que la société Eurobail reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de la somme de "2 180 472,76" francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1 ) que M. X..., administrateur judiciaire de la société, en sollicitant par requête du 12 janvier 1995 la prolongation de la période d'observation de cette société pour une durée de six mois, a commis une faute qui engage sa responsabilité personnelle envers la société Eurobail en faisant abstraction de la créance de la société Eurobail d'un montant de 1 950 251,49 francs en principal, correspondant à la fraction de l'indemnité de résiliation devenue exigible à compter du quatrième trimestre 1994 qui aurait dû être mentionnée dans la requête, afin que le tribunal sache que la poursuite de l'exploitation se faisait au détriment de la société Eurobail et qu'en réalité la cessation immédiate de l'activité s'imposait ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
2 ) que commet une faute engageant sa responsabilité personnelle envers le bailleur, l'administrateur judiciaire qui, en l'état de contrats de crédit-bail résiliés par l'effet du jeu d'une clause résolutoire acquise avant l'ouverture de la procédure collective maintient l'entreprise en redressement judiciaire dans les locaux sans s'assurer que celle-ci a les moyens pécuniaires de régler au bailleur les indemnités de résiliation ou plutôt d'occupation afférentes à ces locaux, au lieu de demander la cessation immédiate d'activité ; que la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si M. X... n'engageait pas sa responsabilité personnelle envers la société Eurobail en ne prenant pas toutes les dispositions utiles pour le paiement des indemnités, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
3 ) que dans ses conclusions d'appel, M. X... n'a jamais prétendu que les indemnités de résiliation dues à la société Eurobail ne constituaient pas des charges courantes d'exploitation ; qu'en considérant pourtant qu'il n'était pas établi que l'affirmation de M. X... dans sa requête - suivant laquelle il n'y avait pas de passif nouveau et les charges de l'exercice étaient réglées - était inexacte quant aux charges courantes d'exploitation, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) que M. X... dans ses conclusions n'avait pas soutenu qu'il aurait pu légitimement croire en la thèse de la nullité des contrats et en celle de la récupération des loyers, en sorte que la cour d'appel, en relevant le moyen tiré de la croyance légitime, a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
5 ) que la cour d'appel a relevé d'office, sans avoir au préalable provoqué les explications des parties, le moyen fondé sur la croyance légitime de M. X... pour dire que celui-ci n'avait pas commis de faute et a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que, dans sa requête en prolongation de la période d'observation du 12 janvier 1995, M. X... avait indiqué que "l'exploitation se poursuit de manière satisfaisante et ne génère aucun passif et que pendant la même période toutes les charges ont été strictement réglées", l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que cette affirmation ait été inexacte quant aux charges courantes d'exploitation et que si elle ne tenait manifestement pas compte du risque financier non négligeable, auquel se trouvait exposée la société de devoir acquitter une indemnité de résiliation, pour la période postérieure au 30 septembre 1994, il était toutefois rappelé que des procédures étaient toujours pendantes avec la société Eurobail et que leur issue conditionnait la présentation d'un plan de redressement ; qu'après avoir relevé que, saisi de la demande de la société Eurobail tendant à obtenir la libération des locaux, demande à laquelle la société résistait en soutenant que les contrats de crédit-bail étaient nuls, le tribunal avait rejeté la demande de cette dernière et de ses mandataires de justice, par jugement du 13 décembre 1994 dont il avait été interjeté appel, l'arrêt retient encore que M. X... pouvait légitimement croire en la thèse de la nullité des contrats de crédit-bail et en celle de la récupération des loyers et espérer une issue favorable du litige l'opposant à la société Eurobail ;
qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'objet du litige ni violé le principe de la contradiction, a pu estimer que M. X... n'avait pas commis de faute engageant sa responsabilité personnelle en adoptant le parti de la poursuite de l'exploitation et en sollicitant une prolongation de la période d'observation ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Eurobail aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille trois.