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13/11/2003 | FRANCE | N°01-00376

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 novembre 2003, 01-00376


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 14 novembre 1997, M. X..., président du conseil d'administration de la société Etablissements X... et compagnie (la société X...), a cédé la quasi-totalité des actions composant le capital de cette société à la société Compagnie agricole de la Crau (la société La Crau) à l'égard de laquelle il a contracté le même jour une obligation de garantie de passif cautionnée par la société Crédit du Nord ;

que le 29 janvier 1998, le conseil d'administration de la société X... a révoqué M. X...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 14 novembre 1997, M. X..., président du conseil d'administration de la société Etablissements X... et compagnie (la société X...), a cédé la quasi-totalité des actions composant le capital de cette société à la société Compagnie agricole de la Crau (la société La Crau) à l'égard de laquelle il a contracté le même jour une obligation de garantie de passif cautionnée par la société Crédit du Nord ; que le 29 janvier 1998, le conseil d'administration de la société X... a révoqué M. X... de ses fonctions de président ; que M. X..., invoquant le caractère abusif de sa révocation, a demandé que les sociétés X... et La Crau soient condamnées à lui payer des dommages-intérêts ; que la société La Crau a demandé que M. X... et la société Crédit du Nord soient condamnés à lui payer diverses sommes au titre de la garantie de passif et du remboursement de dépenses personnelles ;

Sur le second moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que les sociétés X... et La Crau font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes alors, selon le moyen :

1 / que les juges ne peuvent dénaturer les clauses claires et précises d'un contrat ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 1-4 du contrat de garantie du 14 novembre 1997 consacré aux états financiers que M. X... a garanti que "Les provisions figurant auxdits états financiers sont suffisantes pour couvrir les charges et les risques auxquels les sociétés sont exposées en ce compris notamment tous les engagements vis-à-vis de ses clients, fournisseurs, prestataires de services, salariés" ;

qu'aux termes de l'article 2-1 du même contrat M. X... s'est engagé à indemniser les sociétés de tous les dommages, préjudices, pertes et responsabilités résultant de tout fait, événement ou circonstance ayant sa cause ou son origine à une date antérieure à la date des cessions et qui se révélerait ne pas être en conformité avec les déclarations et garanties énoncées au contrat ; qu'il s'est avéré que les provisions figurant auxdits états financiers relatives aux commissions à payer aux VRP sur les encaissements de septembre 1997 et les créances clients en attente ont révélé une insuffisance de 493 759 francs, suite notamment à l'application d'un taux de charge erroné ; que le préjudice de 493 759 francs avait bien sa cause dans un fait ou événement antérieur aux cessions, soit dans l'insuffisance de provision dans les états financiers ; qu'en affirmant néanmoins que la rémunération des VRP, leurs commissions en attente et non provisionnées, le chiffrage erroné des charges sociales n'entraient nullement dans le champ d'application des critères retenus par les parties pour faire jouer la garantie, la cour d'appel a manifestement dénaturé ledit contrat de garantie, en violation de l'article 1134 du Code civil ;

2 / que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis d'un contrat ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 1-3 du contrat de garantie du 14 novembre 1997 intitulé "Respect des lois et obligations" que les Etablissements X... et compagnie ont régulièrement accompli toutes les formalités légales ou réglementaires obligatoires et plus généralement sont en conformité avec toutes les lois, règlements et obligations quelconques qui leur sont applicables ; qu'aux termes de l'article 2-1 du même contrat, M. X... s'est engagé à indemniser les sociétés de tous les dommages, préjudices, pertes et responsabilités résultant de tout fait, événement ou circonstance ayant sa cause ou son origine à une date antérieure à la date des cessions et qui se révélerait ne pas être en conformité avec les déclarations et garanties énoncées au présent contrat ; qu'ainsi M. X... s'est-il engagé à rembourser le préjudice résultant de toute violation de la loi, antérieure aux cessions ;

qu'il s'est avéré que jusqu'en septembre 1997 la société Etablissements X... a payé les dépenses personnelles de l'un de ses dirigeants pour une somme totale de 67 105 francs, en violation manifeste de la loi ; qu'en affirmant néanmoins que les dépenses personnelles du dirigeant ne rentraient nullement dans le champ d'application des critères retenus par les parties pour faire jouer la garantie et qu'il n'avait jamais été prévu que M. X... puisse avoir à rembourser des dépenses qui lui auraient été personnelles, quand le paiement par la société de dépenses personnelles de ses dirigeants constitue une violation manifeste de la loi, la cour d'appel a dénaturé l'article 1134 du Code civil ;

3 / que les juges sont tenus de répondre aux moyens invoqués par les parties et d'examiner tous les documents produits à leur soutien ; qu'en l'espèce, les sociétés soutenaient que toutes les sommes réclamées étaient certaines et d'ailleurs certifiées par le commissaire aux comptes et l'expert-comptable ; qu'elles produisaient les attestations du cabinet Mazars et Guerard Turquin ainsi que du cabinet d'expertise comptable Union fiduciaire ; qu'en affirmant néanmoins que les sommes réclamées par les société étaient incertaines et non certifiées par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, sans nullement examiner les pièces produites par lesdites sociétés, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la convention de garantie, que les sommes réclamées n'entraient pas dans le domaine de l'obligation du cédant, la cour d'appel n'était pas tenue de se prononcer sur les pièces attestant de l'exactitude de ces sommes ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que les sociétés X... et La Crau font grief à l'arrêt de les avoir condamnées à payer à M. X... la somme de 1 000 000 francs à titre de dommages-intérêts pour révocation abusive de sa fonction de président du conseil d'administration alors, selon le moyen :

1 / que la révocation du président de conseil d'administration peut intervenir à tout moment, sans préavis, ni précision de motifs et ne peut donner lieu à des dommages-intérêts que si elle revêt un caractère abusif eu égard aux circonstances dans lesquelles elle est intervenue ;

que les juges ne peuvent examiner que les circonstances dans lesquelles sa révocation est intervenue pour vérifier si elles ont porté atteinte à l'honneur de celui-ci ou si elle a été décidée sans respecter le principe de la contradiction ; que pour considérer la révocation de M. X... abusive, la cour d'appel a relevé que la révocation était intervenue quatre mois seulement après le projet de cession, qu'il était compréhensible que M. X... ait mal supporté la limitation de ses pouvoirs et que la société ne pouvait invoquer le désintéressement de M. X... de ses fonctions dès lors qu'elle reconnaissait qu'il avait formé le directeur général adjoint ;

qu'en se déterminant ainsi par une appréciation des griefs faits par la société au président, et non par les circonstances propres aux conditions de la révocation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 225-47 du Code de commerce ;

2 / que les circonstances de la révocation du président, laquelle peut intervenir à tout moment, ne peuvent être considérées comme brutales que si le principe de la contradiction n'a pas été respecté ; qu'en l'espèce, la société établissait que la révocation de M. X... n'était nullement intervenue dans des circonstances brutales, dès lors que c'était à l'initiative de M. X... lui-même que l'assemblée générale (le conseil d'administration) du 29 janvier 1998 avait été convoquée et qu'il y était assisté de son conseil ; qu'en affirmant néanmoins que ces deux éléments étaient sans incidence sur le caractère abusif ou non de la révocation, quand ils établissaient au contraire le respect manifeste du principe de la contradiction et partant l'absence de brutalité de la révocation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 110 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 225-47 du Code de commerce ;

3 / que les juges sont tenus de motiver leur décision et de préciser les éléments sur lesquels ils la fondent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est pourtant contentée d'affirmer "qu'il était suffisamment établi que La Crau a dépêché sur place un certain M. Y..., époux de la secrétaire générale du groupe, pour dénigrer le président auprès des salariés" ; qu'en statuant ainsi sans préciser sur quels éléments elle se fondait pour l'établir, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / que les juges ne peuvent dénaturer les écrits clairs et précis soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, il résultait d'attestations versées aux débats par M. X..., de MM. Z..., A... et B... que M. Y..., mari de la secrétaire générale du groupe, serait intervenu début janvier 1998 dans l'entreprise en informant les salariés qu'il "fallait oublier M. X... et que le nouveau patron c'était lui" ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait de ces attestations que la société La Crau avait dépêché M. Y... pour dénigrer le président auprès des salariés, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par une décision motivée exempte de dénaturation, que la société La Crau avait dépêché sur place M. Y..., époux de la secrétaire générale du groupe, pour dénigrer le président auprès des salariés, ce dont il résultait que la révocation de celui-ci avait été accompagnée de circonstances portant atteinte à sa réputation, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches du moyen, a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur les cinquième et sixième branches du moyen :

Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article L. 225-47 du Code de commerce ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que seul peut être réparé le préjudice trouvant sa cause dans le fait qui donne lieu à responsabilité ;

Attendu que pour confirmer le jugement ayant condamné les sociétés X... et La Crau à payer à M. X... la somme de 1 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir relevé que ce dernier ne peut évaluer son préjudice à 6 000 000 francs en excipant essentiellement d'une perte de revenus et qu'il ne peut prétendre qu'il serait resté président pendant dix ans, retient que la perte d'une chance a été justement appréciée par les premiers juges ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice constitué par la perte d'une chance de conserver les fonctions est sans lien avec les fautes commises lors de la révocation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Etablissements X... et compagnie et la société Compagnie agricole de la Crau à payer à M. X... 1 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 20 octobre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette sa demande ainsi que celles de la société Crédit du Nord, de la société Etablissement X... et compagnie et de la société Compagnie agricole de la Crau ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille trois.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 01-00376
Date de la décision : 13/11/2003
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (3e Chambre, Section B), 20 octobre 2000


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 13 nov. 2003, pourvoi n°01-00376


Composition du Tribunal
Président : Président : M. TRICOT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:01.00376
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