AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° Q 01-42.452 et H 01-43.917 ;
Attendu que M. X... a été engagé le 25 juin 1986, par la société Y..., devenue la société Herr, puis la société Cabinet Y..., pour exercer les fonctions de négociateur commercial pour le compte de sa filiale, la société Y... Afrique, à Abidjan (Côte-d'Ivoire) ; que, le 22 juin 1987, a été signé à Abidjan par M. X... et le dirigeant de la société Y... Afrique un contrat de travail de travailleur expatrié avec effet rétroactif au 20 septembre 1986 ; que ce contrat prévoit l'application de la loi ivoirienne ; que, le 22 septembre 1997, M. X... a été licencié pour motif économique par la société Y... Afrique ; qu'il a saisi le conseil de prud'hommes d'une instance contre la société Herr, devenue société Cabinet Y..., et la société Y... Afrique pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail ;
Sur le pourvoi principal de la société Y... Afrique et le pourvoi incident de la société Cabinet Y... :
Sur le moyen unique de chacun desdits pourvois :
Attendu que lesdites sociétés font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2001) de les avoir condamnées solidairement au paiement de dommages-intérêts pour "rupture abusive" du contrat de travail et la société Cabinet Y..., d'avoir prononcé, pour l'intégralité des chefs de décision, la solidarité avec la société Y... Afrique, alors, selon le moyen du pourvoi incident de la société Cabinet Y... :
1 / qu'il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'Etat concerné ; qu'en décidant que l'article 16-7 du Code du travail ivoirien impose à l'employeur de justifier de la suppression du poste de M. Y... et de l'état de péril qui en constitue la cause, la cour d'appel qui s'est déterminée implicitement mais nécessairement par référence aux dispositions de l'article L. 321-1 du Code du travail et à l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, sans faire état d'aucune source du droit positif étranger donnant à l'article 16-7 du Code du travail ivoirien le sens qu'elle lui attribue, a violé l'article 3 du Code civil ;
2 / qu'en décidant que la société Cabinet Y... et la société Y... Afrique étaient tenues solidairement du paiement des sommes dues au salarié, en application de la loi ivoirienne, sans faire état d'aucune disposition de ce droit étranger prévoyant la solidarité dans une telle hypothèse, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, selon le moyen du pourvoi principal de la société Y... Afrique :
1 / qu'il appartient au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l'Etat concerné ; qu'en s'étant contenté d'affirmer pour déclarer abusif le licenciement économique de M. X... au regard de l'article 16-7 du Code ivoirien, que les difficultés de trésorerie de la société Y... Afrique ne démontraient pas que son activité était en péril et qu'il n'était pas expliqué en quoi elles justifiaient la suppression de son poste, sans s'expliquer davantage sur les conditions d'application en droit ivoirien de cet article, notamment quant à la seule exigence formulée d'une restructuration, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision et violé l'article 3 du Code civil et 16-7 du Code du travail ivoirien ;
2 / que dans sa télécopie du 19 août 1997 la société Y... Herr envisageait simplement le licenciement comme une éventualité qui, dans le cas où il se réaliserait, serait à sa charge ; qu'en ayant alors affirmé que "le licenciement de M. X... était une condition mise par le repreneur de la société Y... Herr à son acceptation", la cour d'appel a dénaturé le texte de la télécopie et violé l'article 1134 du Code civil et 16-7 du Code civil ivoirien ;
Mais attendu, d'abord, que les termes de la lettre du 19 août 1997 étant exactement reproduits par l'arrêt attaqué, l'appréciation juridique de leur portée n'est pas susceptible d'être critiquée par un grief de dénaturation ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté que, par la lettre précitée du 19 août 1997, la société Herr, devenue la société Cabinet Y..., s'était engagée, à l'égard du repreneur de la société Y... Afrique, à supporter le coût du licenciement de M. X... si ledit repreneur estimait qu'il ne pouvait garder ce dernier à son service ;
qu'elle a fait, par là même, ressortir que le licenciement du salarié dépendait uniquement de la volonté du repreneur de la société Y... Afrique et, partant, d'une condition purement potestative dont la réalisation n'était pas subordonnée à l'existence des motifs du licenciement économique tels qu'exigés par l'article 16-7 du Code du travail ivoirien ;
Attendu, enfin, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que celui-ci a été rendu, en toutes ses dispositions, en application de la loi ivoirienne, de sorte qu'il échappe aux critiques de la seconde branche du moyen du pourvoi incident de la société Cabinet Y... ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le pourvoi principal de M. X... :
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt d'avoir retenu qu'il ne pouvait se prévaloir de la qualité de salarié pendant la période d'octobre 1989 à juillet 1992 au cours de laquelle son contrat de travail a été suspendu et de n'avoir pas pris en considération cette période pour évaluer ses droits en matière d'indemnité de licenciement ainsi que le préjudice résultant de la "rupture abusive" de son contrat de travail, alors, selon le moyen, que la nomination d'un salarié aux fonctions sociales d'une autre société distincte de celle de l'employeur n'a pas pour effet de suspendre le contrat de travail en cours ; que la cour d'appel, qui n'a relevé aucun élément de nature à caractériser la suspension du contrat de travail en cours pendant la période d'octobre 1989 à juillet 1992 entre les sociétés Y... Afrique et Y... Herr et M. X..., a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 15.3 à 15.8 du Code du travail de Côte-d'Ivoire ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que l'activité d'agent commercial avait été exercée, pendant la période d'octobre 1989 à juillet 1992, par la société Moma que M. X... avait constituée à cette fin et dont il était le dirigeant et que cette activité ainsi effectuée à titre libéral par la société Moma avait été réglée à cette dernière par la société Y... Afrique, la cour d'appel, qui a fait application de la loi ivoirienne et à laquelle il n'est pas reproché une dénaturation du sens clair et précis de cette loi, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le salarié fait, encore, grief à l'arrêt d'avoir fixé l'indemnité de licenciement, le salaire du mois de décembre incluant la prime annuelle pour l'année 1997, l'indemnité compensatrice de congés payés et les dommages-intérêts pour "rupture abusive", sur la base du salaire des 12 mois d'activité ayant précédé le licenciement d'un montant de 212 050 francs soit un salaire global mensuel moyen de 17 670 francs, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 31-1 du Code du travail ivoirien que par salaire, il faut entendre le salaire de base et tous les avantages payés directement ou indirectement en espèces ou en nature par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier ; que M. pallier soutenait que son salaire s'élevait à 30 000 francs par mois ;
que la cour d'appel, qui s'est contentée d'affirmer que pour la période du 1er septembre 1996 au 31 août 1997, M. X... avait perçu 212 050 francs sans préciser les éléments retenus pour déterminer cette somme, a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ;
Mais attendu que la cour d'appel a fixé les sommes dues au salarié au titre précité, en application de l'article 39 de la convention collective interprofessionnelle ivoirienne de 1997, en fonction du salaire de base qui, selon l'article 31-1 du Code du travail ivoirien, n'inclut pas les avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature ; qu'elle a, ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les troisième et quatrième moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi :
REJETTE le pourvoi principal de M. X..., le pourvoi principal de la société Y... Afrique et le pourvoi incident de la société Cabinet Y... ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille trois.