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14/01/2003 | FRANCE | N°00-19774

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 14 janvier 2003, 00-19774


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, qu'étant titulaire de la marque Château Larose Perganson déposée le 2 octobre 1986 sous le n° 1 412 349 pour désigner un vin rouge d'appellation contrôlée Haut Médoc produit sur l'exploitation dont elle est propriétaire au lieudit Perganson, la société Larose Trintaudon a poursuivi le groupement foncier agricole des rouges terres de la forêt (le GFA) en contrefaçon de cette marque et annulation de mar

que concurrente, pour avoir commercialisé sous la marque Château Larose Perg...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, qu'étant titulaire de la marque Château Larose Perganson déposée le 2 octobre 1986 sous le n° 1 412 349 pour désigner un vin rouge d'appellation contrôlée Haut Médoc produit sur l'exploitation dont elle est propriétaire au lieudit Perganson, la société Larose Trintaudon a poursuivi le groupement foncier agricole des rouges terres de la forêt (le GFA) en contrefaçon de cette marque et annulation de marque concurrente, pour avoir commercialisé sous la marque Château Larose Perganson, qu'elle tenait d'un tiers, et enregistrée le 16 mai 1987 sous le n° 1 411 374, ainsi que sous la dénomination Château Perganson, du vin produit sur une exploitation en partie située au même lieudit Perganson, composée de parcelles de terres complantées de vigne et d'un ensemble de bâtiments d'habitation ; que le GFA a reconventionnellement demandé l'annulation de la marque adverse ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que le GFA fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action de la société Larose Trintaudon, d'avoir rejeté sa demande en nullité de la marque n° 1 412 349 du 2 octobre 1986, d'avoir dit nul l'enregistrement du transfert de la marque du 26 mai 1987, de l'avoir condamné pour contrefaçon et de lui avoir fait interdiction d'utiliser la marque Château Larose Perganson ainsi que de déposer une marque contenant le nom Larose, alors, selon le moyen :

1 / qu'il résulte de l'article 284-4 du Code du vin et de l'article 5 du règlement CEE 997-81 de la Commission des communautés européennes que les marques déposées pour désigner un vin bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée, et dont la validité doit s'apprécier au moment de son dépôt, ne peuvent utiliser le terme Château qu'à charge pour le déposant d'établir que le vin est récolté dans une propriété viticole du même nom, qui existe réellement et qui doit être exactement qualifié par le terme Château et dans laquelle la vinification du raisin qui y est récolté doit être effectuée ; qu'en s'abstenant de vérifier si les textes susvisés, applicables au litige, étaient respectés, au moment du dépôt de la marque du 2 octobre 1986, pour se borner à affirmer qu'en 1997 la société Larose Trintaudon exploitait des parcelles cadastrées Perganson classées en AOC Haut Médoc et qu'elle justifiait du respect, notamment des règlements CEE du 24 juillet 1989 et du 16 octobre 1996, la cour d'appel a violé par fausse application, les textes susvisés, ensemble l'article L. 711-3 b) du Code de la propriété intellectuelle ;

2 / que les juges du fond ont le devoir de préciser les éléments de preuve sur lesquels ils se fondent ; qu'en affirmant seulement que la société Larose Trintaudon justifiait du respect de la réglementation viti-vinicole, sans énoncer les éléments d'où résultait une telle preuve, ni analyser quelles avaient été en fait le modalités de l'exploitation d'où était supposé provenir le vin désigné par la marque Château Larose Perganson déposée le 2 octobre 1986, la cour d'appel a privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / que le GFA avait souligné dans ses conclusions que contrairement à ce qu'énonçait la marque Château Larose Perganson déposée le 2 octobre 1986 pour désigner un vin provenant de l'exploitation exactement dénommée Château Larose Perganson, aucune exploitation de ce genre n'existait à l'époque ; que le premier millésime du château Larose Perganson récolté par la société Larose Trintaudon ne datait en effet que de 1996 ; que cette société avait également reconnu, lors de la commercialisation de son vin, que c'était en 1996 que son actionnaire, les AGF, avait décidé de faire renaître ce cru ; que jusqu'alors les parcelles cadastrées Perganson avaient été totalement incluses dans le vignoble château propriété ; qu'aucune preuve d'une vinification séparée des vins n'était rapportée et que seul le domaine du GFA, qui abritait des vestiges et des bâtiments d'exploitation du réel château Larose Perganson pouvait être exactement qualifié de Château ; qu'en s'abstenant de se prononcer à cet égard et de décrire en fait les modalités d'exploitation du vin désigné par la marque litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 284-4 du Code des vins et 5 du règlement CEE n° 997/81 du 26 mars 1981, ensemble l'article L. 711-3 b) du Code de la propriété intellectuelle ;

4 / qu'il appartenait à la juridiction saisie d'apprécier si le vin désigné par la marque déposée le 2 octobre 1986 provenait bien d'une exploitation réellement et exactement qualifiée par le terme de Château, de sorte qu'en se référant au contraire à ce que la jurisprudence de la cour d'appel de Bordeaux tenait pour justifiant l'existence d'un château, la cour d'appel a derechef privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

5 / que contrairement à ce qu'énonce le jugement entrepris, la seule circonstance que le vin désigné par la marque soit récolté sur des terres provenant du domaine d'un château vendu séparément, n'est pas suffisante pour justifier l'emploi du terme Château en l'absence notamment d'une vinification propre et autonome du vin désigné par la marque ; qu'en se bornant à confirmer le jugement, la cour d'appel a violé l'article 284-4 du Code des vins et l'article 5 du règlement CEE n° 997/81 du 26 mars 1981, ensemble l'article L. 711-3 b) du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel ayant constaté par motifs non critiqués qu'il n'était pas contesté que le vin commercialisé sous la dénomination Château Larose Perganson bénéficie de l'appellation d'origine contrôlée Haut Médoc, le moyen formule des griefs nouveaux et mélangés de fait et de droit ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que ce vin provenait d'une exploitation agricole existant réellement, et qu'il résultait de la vinification de raisins récoltés dans les vignes faisant partie de cette exploitation, la cour d'appel a statué par décision motivée ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches, ne peut être accueilli en sa quatrième branche ;

Sur les deuxième et quatrième moyens, pris en leur diverses branches :

Attendu que le GFA fait encore grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :

1 / que la preuve du nom donné à une bâtisse peut être librement rapportée par tous moyens, de sorte que les juges du fond ont le devoir de se prononcer sur l'ensemble des éléments invoqués à cet égard ; qu'en se bornant au contraire à relever que les actes de vente du GFA désignaient le bâtiment sous le nom de Château Perganson, sans examiner l'ensemble des autres éléments de preuve invoqués par le GFA qui soulignait ainsi que la société Larose Trintaudon avait elle-même copié l'image de son château en reprenant le nom Château Larose Perganson et que ce nom était enfin confirmé tant par une lettre du maire de la commune attestant qu'il était propriétaire du Château Larose Perganson que par les nombreux extraits du dictionnaire des crus de Bordeaux qui comportaient la gravure de son château et son nom, la cour d'appel a violé l'article 1353 du Code civil ;

2 / qu'en sa qualité de propriétaire exclusif des vestiges et des bâtiments d'exploitation du Château Larose Perganson, le GFA, ainsi qu'il le faisait valoir dans ses conclusions d'appel, avait le droit d'user du nom de cette bâtisse, que ne pouvait s'approprier la société Larose Trintaudon, dont la marque du 2 octobre 1986 avait eu pour seul objet d'empêcher de commercialiser son vin par le nom de son Château, mais qui ne pouvait davantage tromper le public en lui faisant accroire que le vin pour la désignation duquel il avait été prématurément déposé, provenait de l'exploitation abritant le Château Larose Perganson qui lui appartenait ; qu'en se bornant à examiner les actes de vente du GFA sans égard pour les autres éléments de preuve invoqués qui, au même titre que les actes de vente, étaient légalement de nature à établir l'existence de la dénomination du château , la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-3 b) et c) du Code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 544 du Code civil ;

3 / que le propriétaire de parcelles de terres complantées en vigne peut légitimement utiliser le nom de son terroir quand bien même ce nom ne serait pas repris par les mentions du cadastre et sans qu'il puisse être dénié de son droit par le dépôt antérieur d'une marque par le propriétaire d'autres parcelles du domaine qui a été démembré ; qu'en se bornant à relever que les parcelles étaient cadastrées Perganson et que Larose était le patronyme du fondateur du domaine viticole qui a été démembré entre les parties, sans égard pour ses propres constatations selon lesquelles le domaine était dénommé Château Larose Perganson, ce qui excluait que l'usage de ce nom englobant "Larose" puisse être interdit au GFA, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

4 / qu'en s'abstenant de rechercher si le dépôt, le 2 octobre 1986, de la marque Château Larose Perganson n'avait pas frauduleusement porté atteinte au droit du GFA d'utiliser le nom de son terroir pour désigner les vins qu'il y récolte, dès lors qu'il n'avait pas eu pour objet de désigner réellement la production viticole de la société Larose Trintaudon -dont il est constaté qu'elle n'a commercialisé le premier millésime 1996 de son cru qu'en septembre 1998- mais d'empêcher abusivement le GFA d'user du nom de son domaine pour la commercialisation de sa production et éliminer toute concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 544 du Code civil, ensemble l'article L. 711-3 c) du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en décidant que le nom de ce château était non pas Larose Perganson, mais seulement Château Perganson, la cour d'appel a souverainement apprécié les éléments de preuve soumis à son examen pour en déduire les droits du GFA sur la dénomination litigieuse ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt se borne à interdire l'usage du terme Larose, adjoint ou non à celui de Perganson, et non celui du toponyme Perganson lui-même, correspondant au terroir de production ;

D'où il suit que les moyens, qui ne sont pas fondés en leurs deux premières branches, sont inopérants en leurs deux dernières branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que le GFA fait encore le même grief à l'arrêt attaqué, alors, selon le moyen :

1 / que la société Larose Trintaudon revendiquait le droit exclusif d'utiliser le mot Larose en se prévalant uniquement de sa marque Château Larose Perganson à l'exclusion d'une marque Larose Trintaudon qui correspond au nom d'un autre domaine dont elle est le successeur exclusif et qui a été créé par le propriétaire du domaine de Château Larose Perganson ; qu'en déduisant au contraire d'office que la contestation des parties portait sur la marque Larose Trintaudon, la cour d'appel a violé les articles 4 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en se bornant, au surplus, à rappeler d'une manière générale la prééminence du droit du premier déposant d'une marque qui l'exploite en l'absence de preuve d'un usage constant et prolongé du signe, notamment au regard des conclusions de la société intimée, sans autrement s'expliquer sur l'usage du signe dont la contrefaçon était invoquée, ni indiquer en quoi lesdites conclusions démontraient l'absence d'un tel usage, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel ayant constaté que le litige portait sur l'imitation de la marque Château Larose Perganson, n'a pas dénaturé les termes du litige, ni méconnu les règles du contradictoire, en citant incidemment la marque Larose Trintaudon à l'occasion de son examen du caractère patronymique du terme Larose ;

Et attendu d'autre part, qu'après voir exactement rappelé le droit de priorité attaché à un dépôt de marque, c'est par une appréciation motivée que la cour d'appel a estimé, face à des références historiques concurrentielles, que l'usage prolongé et constant du terme litigieux n'était pas démontré ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le cinquième moyen :

Vu l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;

Attendu qu'en condamnant le GFA pour contrefaçon de la marque Château Larose Perganson, aux motifs adoptés qu'il a fait usage de la dénomination Château Perganson comportant le terme le plus remarquable Perganson et ne comprenant pas d'autre vocable susceptible d'attirer l'attention, tout en déboutant la société Larose Trintaudon de sa demande tendant à voir interdire au GFA de déposer une marque contenant le toponyme Perganson, et sans caractériser aucune fraude imputable au GFA, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré le Groupement foncier agricole des Rouges Terres de la Forêt coupable de contrefaçon de la marque Château Larose Perganson, dont est titulaire la société Larose Trintaudon, pour avoir vendu du vin sous la dénomination Château Perganson, l'arrêt rendu le 6 juin 2000, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la société Larose Trintaudon aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Larose Trintaudon ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille trois.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 00-19774
Date de la décision : 14/01/2003
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers (1re Chambre, Section A), 06 juin 2000


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 14 jan. 2003, pourvoi n°00-19774


Composition du Tribunal
Président : Président : M. DUMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2003:00.19774
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