AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que par délibération du 13 octobre 1999, le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Grasse a inséré, dans son règlement intérieur, un article 12-2 réglant certaines modalités d'enchères dans les ventes à la barre du Tribunal, relatives aux conflits en matière d'enchères, aux pouvoirs spéciaux pour enchérir et à la consignation obligatoire pour enchérir ; que le conseil de l'ordre a, par délibération du 15 mars 2000, rejeté la demande d'annulation de ces dispositions formée par la SCP Draillard, avocat à ce barreau ; que l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 juin 2000) a rejeté le recours formé contre cette décision ;
Sur les deux premiers moyens réunis, pris en leurs diverses branches, tels qu'énoncés au mémoire en demande et reproduits en annexe :
Attendu que l'arrêt retient que les dispositions litigieuses résultant, d'une part, du paragraphe 2 de l'article 12-2, aux termes duquel l'avocat ne peut porter l'enchère pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants, et, d'autre part, du paragraphe 7 du même article aux termes duquel lorsqu'un avocat s'est rendu adjudicataire pour le compte d'une personne, il ne peut accepter de former une surenchère au nom d'une autre personne sur cette adjudication, à défaut d'accord écrit de l'adjudicataire initial, étaient complétées par la disposition, explicitant et justifiant l'interdiction de principe, selon laquelle l'avocat ne peut notamment pas porter d'enchères pour des personnes qui sont en conflit d'intérêts ; qu'il relève ensuite qu'en restreignant le nombre de mandats au cas où existe par nature un risque de conflit d'intérêts, le conseil de l'ordre n'a pas appliqué de manière erronée un principe général contenu dans l'article 155 du décret du 27 novembre 1991, et qu'il n'a pas été commis d'erreur sur l'exactitude matérielle des faits ou de leur qualification juridique, les droits des enchérisseurs étant en eux mêmes concurrents, tandis que le cas de l'avocat poursuivant demeure réservé par le règlement intérieur compte tenu de la rédaction de l'article 12-2 pris dans son ensemble, dès lors que celui-ci ne peut être assimilé au "porteur d'enchères" après l'ouverture de celle-ci et n'a précisément le bénéfice de l'adjudication qu'en l'absence d'enchère ; que la cour d'appel en ayant déduit à bon droit que les dispositions critiquées ne recelaient pas d'abus de pouvoir ni d'illégalité, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le troisième moyen pris en sa première branche :
Vu l'article 707 du Code de procédure civile, ensemble les articles 17 et 19 de la loi du 31 décembre 1971 et 155 du décret du 27 novembre 1991 ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, l'avocat dernier enchérisseur est tenu, dans les trois jours de l'adjudication, de déclarer l'adjudicataire et, soit de fournir son acceptation, soit de représenter son pouvoir ;
Attendu que pour rejeter le recours, en ce qu'il portait sur le paragraphe 4 de l'article 12-2 disposant que même en présence de son client à l'audience, l'avocat doit être muni d'un pouvoir spécial de ce dernier pour enchérir et d'instructions écrites précisant le montant maximum en lettres et en chiffres de l'enchère autorisée, l'arrêt retient que cette disposition ne fait que reprendre l'obligation qui est faite à l'avocat par l'article 707 du Code de procédure civile, d'être en possession d'un pouvoir de porter les enchères et qu'elle ne saurait donc porter atteinte à la liberté des enchères et à l'honneur de l'avocat ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, en ajoutant à l'article 707 du Code de procédure civile des exigences qu'il ne comportait pas, porté atteinte au principe de la liberté des enchères et violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen pris en sa première branche :
Vu les articles 13 et 21 de la Constitution du 4 octobre 1958, ensemble les articles 17 et 19 de la loi du 31 décembre 1971 ;
Attendu que pour rejeter le recours, en ce qu'il portait sur le paragraphe 5 de l'article 12-2 disposant qu'à moins qu'il soit chargé d'enchérir pour une personne publique ou un organisme public, l'avocat doit se faire remettre préalablement, par chèque de banque ou caution bancaire spéciale, une consignation tenant compte des frais préalables, des droits de mutation, des frais de publicité foncière et des émoluments, l'arrêt retient que cette disposition a été prévue pour protéger les avocats contre les conséquences d'une défaillance du mandant et que les articles 702 à 711 du Code de procédure civile n'ayant pas réglementé la matière sauf à interdire l'enchérissement pour des personnes notoirement insolvables, la mesure contestée ne contient aucune illégalité pour violation de la loi ni d'erreur quant à ses motifs, puisque la liberté des enchères ne se trouve pas entravée par une telle modalité limitée à des frais que l'enchérisseur doit par définition être en mesure de payer, outre le prix de vente et qu'il n'existe pas non plus de détournement de pouvoir, puisque l'intérêt général suppose la solvabilité des personnes publiques et justifie d'autre part la garantie de solvabilité exigée de tout autre enchérisseur ;
Attendu cependant qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartient aux pouvoirs législatif ou réglementaire de décider de la nature des garanties dont l'enchérisseur doit justifier pour participer à l'adjudication en vue de garantir les intérêts des parties, la cour d'appel qui a conféré à l'ordre professionnel une compétence qu'il n'avait pas, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des troisième et quatrième moyens :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties le 23 juin 2000 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours formé contre la délibération du conseil de l'ordre adoptant les paragraphes 4 et 5 de l'article 12-2 du règlement intérieur ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Draillard ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille deux.