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04/11/2002 | FRANCE | N°00-13524

France | France, Cour de cassation, Chambre mixte, 04 novembre 2002, 00-13524


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que l'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique, édictée par l'article 46 de la loi visée, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par l'article 31 de la même loi et notamment les citoyens chargés d'un service public ; qu'une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en e

xerçant des prérogatives de puissance publique ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que l'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique, édictée par l'article 46 de la loi visée, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par l'article 31 de la même loi et notamment les citoyens chargés d'un service public ; qu'une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société des éditions Albin Michel a publié, le 26 mars 1998, un livre de M. X... intitulé "La mafia des tribunaux de commerce" mettant en cause, au chapitre sept, M. Y..., administrateur judiciaire, présenté comme complice d'un juge commissaire de la juridiction consulaire de Nanterre et de trois repreneurs qualifiés d'"aigrefins" ; que s'estimant diffamé, M. Y... a fait assigner, par acte d'huissier de justice du 10 avril 1998, M. X... et la société éditrice, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'il a réitéré une assignation identique, par acte d*huissier de justice du 1er juillet 1998, à la suite de la réédition du livre ; que les défendeurs ont invoqué l'irrecevabilité de la demande, en application de l'article 46 de la loi du 29 juillet 1881, et subsidiairement la nullité de l'assignation, en application de l'article 53 de ladite loi ;

Attendu que, pour déclarer l'action irrecevable devant la juridiction civile, l'arrêt retient qu'en application de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises assument une mission de service public dans le cadre d'une activité libérale ; qu'à cette fin, de par leur statut et leur réglementation, il leur est imposé des obligations particulières et donné des pouvoirs et prérogatives propres découlant du mandat de justice qui leur est confié par l'autorité judiciaire et qui font d'eux, non pas de simples mandataires des personnes qu'ils représentent, chargés de la protection d'intérêts privés mais des organes nécessaires de la procédure collective, devant agir pour rechercher les mesures propres à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif, et, à défaut d'y parvenir, à la liquidation judiciaire de l'entreprise au mieux des intérêts de toutes les personnes intéressées et de l'intérêt public ; qu'il est le délégué nécessaire de l'autorité judiciaire dans une procédure instituée pour répondre à un besoin d'intérêt général lorsque notamment il engage des poursuites à l'encontre des dirigeants des entreprises placées sous son administration sur le fondement des articles 180 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; que

l'administrateur judiciaire est un citoyen protégé par les dispositions de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les administrateurs judiciaires ne disposent d'aucune prérogative de puissance publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que les assignations n'ayant pas visé l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881, et l'exception de nullité fondée sur ce manquement ayant été invoquée avant toute défense au fond, il y a lieu de faire application de la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 janvier 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Constate la nullité des assignations introductives d'instance, et la prescription de l'action en diffamation ;

Condamne M. Y... aux dépens exposés tant devant les juges du fond que devant la Cour de Cassation ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, siégeant en Chambre mixte, et prononcé par le premier président en son audience publique du quatre novembre deux mille deux.

LE CONSEILLER RAPPORTEUR, LE PREMIER PRESIDENT,

LE GREFFIER EN CHEF,

Moyen produit par la SCP Defrenois et Levis, avocat aux Conseils pour M. Y....

MOYEN ANNEXE à l'arrêt n° 213.P (Chambre mixte)

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'action exercée devant le juge civil par un administrateur judiciaire (Maître Y...) contre l'auteur d'un livre (Monsieur X...) et son éditeur (la société ALBIN MICHEL) en réparation du préjudice causé par des passages diffamatoires ;

AUX MOTIFS QUE le citoyen chargé d'un service public, spécialement protégé par l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, était celui investi dans une mesure quelconque d'une partie de l'autorité publique ; que dans le cadre de l'application de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises assumaient une mission de service public dans le cadre d'une activité libérale ; qu'à cette fin, de par leur statut et leur réglementation, il leur était imposé des obligations particulières et donné des pouvoirs et prérogatives propres découlant du mandat de justice qui leur était confié par l'autorité judiciaire et qui faisaient d'eux, non pas de simples mandataires des personnes qu'ils représentaient, chargés de la protection d'intérêts privés, mais des organes nécessaires de la procédure collective, devant agir pour rechercher les mesures propres à permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif, et, à défaut d'y parvenir, à la liquidation judiciaire de l'entreprise au mieux des intérêts de toutes les personnes intéressées et de l'intérêt public ; qu'ainsi, I'administrateur judiciaire pouvait engager des poursuites contre les dirigeants des entreprises placées sous son administration, notamment sur le fondement des articles 180 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'il recevait du juge-commissaire tous renseignements et documents utiles à l'accomplissement de sa mission (article 20) ; qu'il tenait informé le juge-commissaire et le procureur de la République du déroulement de la procédure (article 13) ; qu'il était sous l'autorité du juge, qui pouvait le remplacer, modifier ou mettre fin à sa mission ; qu'il pouvait demander la convocation d'une assemblée générale extraordinaire de la société ou des associés, et, en cas de besoin, convoquer lui-même cette assemblée (article 22) ; qu'il était chargé de dresser dans un rapport le bilan économique et social de l'entreprise afin de proposer soit un plan de redressement soit la liquidation judiciaire ; qu'à cet égard il pouvait, comme le procureur de la République, proposer que le tribunal subordonne l'adoption du plan de redressement au remplacement d'un ou plusieurs dirigeants ou à des mesures relatives au droit de vote (article 23) ; qu'il était ainsi le délégué nécessaire de l'autorité judiciaire dans une procédure instituée pour répondre à un besoin d'intérêt général ; que, d'autre part, la qualité de citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public était connue en jurisprudence aux administrateurs judiciaires en application des dispositions des articles 177 ancien et 432-11 du Code pénal incriminant les délits de corruption passive et de trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ; que dans le cadre de poursuites pour outrage (article 224 ancien du Code pénal), cette qualité avait également été reconnue à l'ancien syndic de faillite au motif que "les attributions conférées à celui-ci étaient de celles qui associaient à l'oeuvre de justice et constituaient une véritable délégation judiciaire" ; qu'en cela, la situation de l'administrateur était assimilable à celle de l'ancien agent de la

procédure collective et justifierait, dans les mêmes conditions, qu'il soit fait application des dispositions de l'article 433-5 du Code pénal réprimant désormais cette infraction ; que la notion de "citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public" devait être appréciée de la même manière, qu'il s'agisse de pénaliser spécialement une personne en raison du mandat qu'elle exerçait, ou de lui ménager une protection particulière du fait même de ce mandat ; que le législateur avait voulu, par l'incrimination de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881, que l'on ne puisse porter indûment atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne participant à l'autorité publique ; qu'en l'occurrence, c'était l'autorité judiciaire qui se trouvait affectée par l'image négative résultant des propos diffamatoires dirigés contre son mandataire ; qu'il fallait donc considérer que l'administrateur judiciaire était un citoyen protégé par les dispositions de l'article 31 de la loi sur la presse ; que Maître Y... avait été mis en cause dans le livre de Monsieur X... et à travers les propos incriminés non pas à titre personnel mais en qualité d'administrateur judiciaire ; que l'article 46 de la loi du 29 juillet 1881 interdisait d'exercer, dans ce cas, I'action civile résultant du délit de diffamation séparément de l'action publique ; que l'action devant le juge civil était donc irrecevable (arrêt p. 4 à 6) ;

ALORS QUE seule une personne investie d'une portion de la puissance publique peut être considérée comme chargée d'un service public au sens de la loi sur la presse ; que l'administrateur judiciaire, qui tient ses pouvoirs de la loi et non du juge, n'accomplit que des actes de gestion privée, et n'est investi d'aucune parcelle de la puissance publique, en l'absence de tout pouvoir coercitif ou de décision envers le débiteur soumis à son administration, le pouvoir d'engager des poursuites indemnitaires ou en vue de l'application de sanctions civiles ou pénales ne constituant pas

une prérogative de puissance publique, mais résultant au contraire de l'encadrement exceptionnel, par la loi sur les procédures collectives, d'actions ouvertes en droit commun à tout intéressé ; que la cour, en statuant comme elle l'a fait, a ainsi violé les articles 31 et 46 de la loi du 29 juillet 1881, par fausse application.

LE GREFFIER EN CHEF.


Synthèse
Formation : Chambre mixte
Numéro d'arrêt : 00-13524
Date de la décision : 04/11/2002
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Chambre mixte

Analyses

PRESSE - Diffamation - Personnes et corps protégés - Citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public - Prérogatives de puissance publique - Administrateur judiciaire (non) .

PRESSE (rubrique appartenant à la nomenclature pénale) - Diffamation - Personnes et corps protégés - Citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public - Prérogatives de puissance publique - Mandataire judiciaire à la liquidation (non)

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Diffamation envers des citoyens particuliers - Citoyens chargés d'un service public - Administrateur judiciaire (non)

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Diffamation - Diffamation envers des citoyens particuliers - Citoyens chargés d'un service public - Mandataire judiciaire à la liquidation (non)

L'interdiction d'exercer l'action civile séparément de l'action publique édictée par l'article 46 de la loi du 29 juillet 1881, ne concerne que la diffamation commise envers les personnes protégées par l'article 31 de la même loi et notamment les citoyens chargés d'un service public ; une telle qualité est reconnue à celui qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer irrecevable l'action des administrateurs et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises devant la juridiction civile, retient qu'en application de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires ils assument une mission de service public dans le cadre d'une activité libérale alors que ceux-ci ne disposent d'aucune prérogative de puissance publique (arrêts n°s 1, 2 et 3).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 46, art. 31
Loi 85-98 du 25 janvier 1985

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 janvier 2000

A RAPPROCHER : Chambre criminelle, 2001-01-30, Bulletin criminel 2001, n° 27, p. 72 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. ch. mixte., 04 nov. 2002, pourvoi n°00-13524, Bull. civ. 2002 MIXTE N° 6 p. 13
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2002 MIXTE N° 6 p. 13

Composition du Tribunal
Président : Premier président :M. Canivet
Avocat général : M. de Gouttes.
Rapporteur ?: Plusieurs conseillers rapporteurs :Mme Aubert.
Avocat(s) : la SCP Defrenois et Levis, la SCP Piwnica et Molinié (arrêts nos 2 et 3), M. Blanc (arrêt n° 2) M. Blondel (arrêt n° 3).

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2002:00.13524
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