AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 novembre 1999), que la société Kraft Jacobs Suchard France a déclaré à l'importation jusqu'à la fin de l'année 1992 des produits en provenance de Suisse, dénommés Toblerone, sous la position tarifaire 18.06.32.00.09 G avec le code additionnel 7202, tenant compte de ce que ce produit contenait moins de 6 % de matières grasses provenant du lait ;
qu'elle a par la suite modifié le code additionnel, en retenant le code 7862, sur la base d'une nouvelle liste analytique du produit par le fabriquant, se traduisant par une augmentation des matières grasses du lait déclarées de 5,95 % à 6,10 %, ce qui a eu pour conséquence une liquidation de droits et taxes douaniers moindres ; que des analyses pratiquées par les douanes anglaises ayant fait apparaître que le produit Toblerone relevait en réalité du code 7202, les douanes françaises ont procédé à leur tour à une analyse de ce produit, selon la méthode déterminée par le règlement CEE n° 415487 de la Commission du 22 décembre 1987, sur des échantillons importés en France par la société Kraft Jacobs Suchard France et prélevés par procès-verbal de constat du 23 février 1993, qui a mis en évidence que le dosage moyen de la matière grasse butyrique était inférieur à 6 % ; que le directeur général des Douanes a fixé le montant des droits éludés, au titre des importations effectuées entre le 7 janvier 1993 et le 22 février 1994, et cité la société importatrice devant le tribunal d'instance en paiement de ces droits ; que celle-ci a contesté la méthode d'analyse de la composition du produit utilisée par les douanes, et revendiqué le bénéfice du règlement CE n° 203/98 de la Commission du 26 janvier 1998 qui a modifié la méthode d'analyse utilisée pour déterminer la teneur en matières grasses provenant du lait ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Kraft Jacobs Suchard France fait grief à l'arrêt de sa condamnation à paiement, alors, selon le moyen, qu'un règlement communautaire douanier plus favorable, du fait de son caractère mixte (fiscal et pénal) a un effet rétroactif aussi bien au regard de l'action publique qu'au regard de l'action fiscale ; que la qualité de la juridiction saisie est sans influence sur la nature du règlement ; que le règlement communautaire douanier mixte de 1998 qui instaurait une méthode d'analyse scientifiquement plus exacte, conduisant à reconnaître un taux d'imposition plus favorable, devait être applicable aux impositions des années 1992 et 1993 ; qu'en se bornant à refuser l'application d'une "loi plus douce", au seul prétexte qu'une juridiction civile et non répressive avait été saisie par l'administration des douanes, la cour d'appel a violé l'article 121-1 du Code pénal ;
Mais attendu que l'action en paiement de droits de douanes a le caractère d'une action civile et est indépendante de l'action pour l'application des sanctions fiscales, que peut exercer l'administration des Douanes sur le fondement de l'article 343-2 du Code des douanes, qui a, elle seulement, le caractère d'une action publique ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'action diligentée par l'administration des Douanes, tendant à obtenir exclusivement le paiement des droits réellement dus par l'importateur, était civile, et dit, en conséquence, que le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce était inapplicable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Kraft Jacobs Suchard France fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'une loi est interprétative si elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ; que le règlement de 1998 n'a nullement modifié le principe du paiement des droits d'importation sur le chocolat, ni le taux d'imposition basé sur la teneur en graisse du lait contenu dans le chocolat, mais seulement changé la méthode d'analyse critiquée, en permettant de connaître, en raison d'une méthode scientifiquement exacte, la véritable teneur en graisse ; que ce texte qui ne voulait pas innover mais avait pour seul but de préconiser une méthode scientifiquement exacte avait un caractère interprétatif le rendant applicable aux situations antérieures à sa date d'entrée en vigueur ; que la cour d'appel ne pouvait méconnaître le caractère interprétatif du règlement de 1998 sans violer l'article 2 du Code civil ;
Mais attendu qu'une loi ne peut être considérée comme interprétative qu'autant qu'elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse ; qu'ayant relevé que le règlement n° 203/98 du 26 janvier 1998 avait modifié le règlement n° 4154/87 du 22 décembre 1987 en ce qui concerne la méthode d'analyse utilisée pour déterminer la teneur en matières grasses provenant du lait, pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques en la matière, la cour d'appel, qui a ainsi mis en évidence l'innovation apportée par le nouveau texte, a, à bon droit, dit que celui-ci n'avait pas de caractère interprétatif ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Kraft Jacobs Suchard France reproche encore à l'arrêt sa condamnation à paiement alors, selon le moyen, que la date d'entrée en vigueur d'un règlement n'interdit pas l'application immédiate (à partir du jour de l'entrée en vigueur) de ce règlement ; que le règlement du 26 janvier 1998, qui remplaçait le règlement du 22 décembre 1987, pouvait seul permettre d'évaluer exactement la qualité du produit importé en fonction de la teneur en matière grasse provenant du lait et en conséquence le montant des droits dus par l'importateur ; que la cour d'appel ne pouvait refuser de faire application de ce texte qui seul permettait de constater l'exacte teneur en matière grasse, sans violer l'article 2 du Code civil et le règlement communautaire du 26 janvier 1998 ;
Mais attendu que le principe de la sécurité juridique s'oppose à ce qu'un règlement soit appliqué rétroactivement à des faits nés sous le régime antérieur, cela indépendamment des effets favorables ou défavorables qu'une telle application pourrait avoir pour l'intéressé, sauf en raison d'une indication claire, soit dans ses termes, soit dans ses objectifs, permettant de conclure que ce règlement dispose autrement que pour l'avenir seul ; qu'ayant relevé, d'une part, que le règlement CE n° 203/98 du 26 janvier 1998 dispose en son article 2 qu'il entre en vigueur le 21e jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes, d'autre part, que, par ce texte et les objectifs qu'il poursuit, la Commission avait uniquement entendu modifier pour l'avenir une méthode d'analyse qui ne correspondait plus à l'état d'avancement de la recherche scientifique, c'est à bon droit que la cour d'appel a dit que ce règlement ne s'appliquait pas aux opérations d'importation antérieures placées sous le régime du règlement communautaire du 22 décembre 1987 ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Kraft Jacobs Suchard France fait enfin grief à l'arrêt de sa condamnation à paiement alors, selon le moyen, que tout citoyen doit pouvoir croire légitimement en la justice d'un règlement déterminant le montant d'une imposition qui lui est réclamée ;
qu'il n'est pas contesté que la méthode préconisée par le règlement de 1987 conduisant à des résultats inexacts, un nouveau règlement a été pris en 1998 permettant de déterminer en raison d'une méthode d'analyse scientifiquement plus exacte la véritable position ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer applicable, pour déterminer les droits de douanes dus par un importateur, le règlement de 1987 dont l'application conduisait à établir des droits fondés sur une base inexacte, sans méconnaître le principe communautaire de confiance légitime ;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement relevé que le principe du respect de la confiance légitime a pour objet de protéger les ressortissants communautaires contre des changements exagérément brutaux de la réglementation économique, et que tel n'était pas le cas de la société Kraft Jacobs Suchard France qui ne se prévalait pas d'une situation acquise qui aurait été bouleversée par une brusque modification de la réglementation résultant du règlement n° 203/98, lequel lui est tout au contraire favorable pour l'avenir ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Kraft Jacobs Suchard France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Kraft Jacobs Suchard France à payer à M. X... général des douanes et droits indirects la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille deux.