AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Lewis Beef Company Incorporation, dont le siège est ... Massassuchets (USA),
en cassation d'un arrêt rendu le 30 juin 1997 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e Chambre civile), au profit de M. Gérard X..., demeurant chez Gracie Roman, 1er étage, appartement n° 1, ..., quartier Orléans, 97150 Saint-Martin,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 27 novembre 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Tric, conseiller rapporteur, M. Tricot, conseiller, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Tric, conseiller, les observations de la SCP Lesourd, avocat de la société Lewis Beef Company Incorporation, de la SCP Tiffreau, avocat de M. X..., les conclusions de M. Feuillard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt déféré ( Basse-Terre, 30 juin 1997), que la société Lewis Beef Company incorporation (société Lewis Beef) a chargé M. X... de commercialiser ses produits surgelés auprès des restaurateurs de Saint-Martin, moyennant le paiement d'une commission sur le volume des ventes et de frais d'exploitation ; que les relations commerciales entre les parties ayant cessé, la société Lewis Beef a assigné M. X... en paiement de sommes qu'il aurait reçues de clients et conservées ; que ce dernier a soutenu que la société Lewis Beef avait commis des fautes contractuelles pour lesquelles il a demandé réparation ; qu'il a aussi demandé paiement de commissions et de frais d'exploitation ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Lewis Beef reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de traduction des documents produits en langue anglaise par M. X..., alors, selon le moyen :
1 / que dans ses conclusions signifiées le 10 janvier 1997, la société Lewis Beef avait fait valoir que M. X... avait produit trois pièces communiquées le 31 octobre 1996, dont la traduction laissait croire qu'il aurait acquis un camion frigorifique tandis que les documents rédigés en langue anglaise révélaient précisément le contraire ; qu'en rejetant la demande de traduction par l'expert des documents produits cependant que seule l'expertise eût été de nature à permettre d'établir que la traduction produite par l'appelant des documents en langue anglaise versés par lui aux débats étaient fiable et justifiait ses allégations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1315 du Code civil ;
2 / qu'en décidant que la qualité de la traduction produite par l'appelant résultait du seul fait qu'elle avait été établie par un cabinet de traducteurs de Saint-Martin, sans répondre aux conclusions de la société Lewis Beef qui soutenait que la traduction des pièces n° 23, 24 et 25, produites pour établir que l'appelant disposait d'un camion frigorifique disait précisément le contraire de ce que disaient les documents originaux en langue anglaise, la cour d'appel : - n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 1315 du Code civil, - a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement la valeur probante et la portée des pièces produites, l'arrêt relève que la société Lewis Beef ne verse aux débats aucun élément permettant de mettre en doute la qualité de leur traduction faite en français par un cabinet de traducteurs et retient qu'elles justifient de l'achat, du transport et de l'assurance d'un camion frigorifique acquis par M. X... le 10 octobre 1990 ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Lewis Beef reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de la somme de 1 019 838 francs avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1995, alors, selon le moyen :
1 / que l'aveu judiciaire fait pleine foi contre celui qui l'a fait ;
que dès lors que M. X... avait reconnu devoir à la société Lewis Beef la somme de 216 871,64 dollars US, soit la contrepartie de 1 084 358, 20 francs, cette reconnaissance constituait un aveu judiciaire qui interdisait à la cour d'appel de rejeter la demande en paiement de la société Lewis Beef ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 1356 du Code civil ;
2 / qu'en tout état de cause, la société Lewis Beef avait produit en première instance les pièces justifiant de sa demande, notamment les listages d'impayés sur lesquels les premiers juges s'étaient fondés pour l'accueillir ; qu'en rejetant sa demande pour le motif qu'aucun élément précis et détaillé n'était avancé par elle pour permettre à la cour de vérifier le quantum réclamé, la cour d'appel qui s'est mise en contradiction avec les pièces du dossier, a violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que si M. X... reconnaît être débiteur de la somme de 216 871,64 dollars US, il est créancier de la somme de 242 302,53 dollars US, soit une somme supérieure à celle qu'il doit ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Lewis Beef reproche encore à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle devait à M. X... la somme de 242 302,53 dollars US et de l'avoir condamnée à lui payer la somme de 25 430,89 dollars US au titre des commissions et frais de fonctionnement, alors, selon le moyen :
1 / qu'il est établi par la télécopie du 23 août 1993, annotée de la main de M. X... lui-même et versée aux débats, que sur la réduction du pourcentage de sa commission proposée par la société Lewis Beef, il l'a fixée à 5 % ; qu'il s'ensuit que M. X... ne pouvait calculer les sommes prétendument dues sur une commission au taux de 7 % ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 / qu'il est établi par les courriers adressés à M. X... et versés aux débats que, dès juin 1993, la société a proposé une réduction du taux de la commission et des frais d'exploitation sans que M. X... n'élève jamais la moindre protestation ; qu'il s'ensuit que l'acceptation pendant près de deux ans par M. X..., sans aucune protestation de sa part, de la réduction de la somme initialement convenue entre les parties au titre d'indemnités des frais d'exploitation équivaut à un accord tacite sur cette réduction ; que, dès lors, c'est en contradiction avec les éléments du dossier que la cour d'appel a affirmé que la société Lewis avait unilatéralement diminué l'indemnité allouée au titre de frais d'exploitation, méconnaissant ainsi la convention des parties et violant l'article 1134 Code civil ;
3 / que dans ses écritures du 3 mai 1996, la société Lewis Beef faisait valoir que M. X... avait donné son accord à la réduction de l'indemnité prévue au titre des frais d'exploitation et qu'il avait reçu et utilisé des sommes qui lui avaient été versées à ce titre jusqu'au 18 janvier 1995 sans élever aucune protestation ; qu'en omettant de rechercher si le silence de M. X... pendant près de deux ans, après que la réduction des frais d'exploitation lui eut été notifiée, et l'utilisation par lui sans protestation des fonds versés n'équivalaient pas à une acceptation tacite de la réduction proposée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
4 / qu'aucun accord n'a été signé entre la société Lewis Beef et M. X... le 5 janvier 1994 prévoyant le versement de 1 250 dollars US au titre des dépenses d'exploitation et une commission de 7 % sur les ventes versée tous les deux mois ; que le document en date du 5 janvier 1994 établi par la société Lewis Beef est seulement une attestation ou un certificat à toutes fins" qui n'avait nullement pour objet d'entériner un accord des parties quant à leurs relations d'affaires mais était destiné à des tiers ; qu'en affirmant que ce document constituait l'accord des parties régissant lesdites relations et a fortiori les relations depuis 1992, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement la valeur probante des pièces produites, l'arrêt retient qu'il résulte d'un côté des courriers échangés que la commission convenue dès le début des relations entre les deux parties était de 7 % sur les ventes, et de l'autre côté, d'un document daté du 5 janvier 1994, émanant de M. Y..., trésorier de la société Lewis Beef, que M. X... recevait encore à cette date une commission de 7 % et 1250 dollars par semaine, malgré les tentatives de la société pour réduire unilatéralement le taux de la commission et la réduction effective de moitié de l'indemnisation des frais d'exploitation ; qu'ainsi, abstraction faite du motif erroné critiqué par la quatrième branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Lewis Beef fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu'en faisant droit à la demande de M. X... au seul motif qu'il versait aux débats les chiffres d'affaires réalisés au titre des années 1992, 1993, 1994 et 1995, sans analyser aucune des pièces produites par ce dernier ni s'expliquer sur les calculs effectués, cependant que la société Lewis Beef contestait la créance alléguée par M. X..., la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la société Lewis avait expressément, dans ses conclusions du 13 janvier 1993 ( 1997 ?), contesté le chiffre d'affaires et les commissions réclamées sur ce chiffre ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions et violé l'article 1134 du Code civil ;
3 / qu'en rejetant les pièces produites par la société Lewis Beef pour les seuls motifs ci-dessus rapportés, cependant que, outre les photocopies des chèques produites à la fois par la société Lewis Beef et par M. X... qui établissaient incontestablement la réalité de certains règlements, la société Lewis Beef avait, pour sa part, produit d'autres photocopies de chèques également établis au bénéfice de M. X... et tirés sur les mêmes établissements bancaires pour prouver la réalité des autres règlements non pris en compte par ce dernier, chèques que M. X... ne contestait d'ailleurs pas avoir reçus, la cour d'appel qui a, en définitive, refusé d'examiner les éléments de preuve régulièrement versés aux débats, a - violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile - violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les conclusions invoquées et qui n'était pas tenue de donner le détail des chiffres d'affaires résultant des pièces communiquées ni de donner d'explication particulière dès lors que la société Lewis Beef ne disait pas en quoi ces chiffres étaient discutables, a considéré, dans l'exercice de son pouvoir souverain, qu'il n'était pas possible de vérifier à quoi correspondaient les chèques produits ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le cinquième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que la société Lewis Beef reproche enfin à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement des sommes que lui devait M. X..., alors, selon le moyen :
1 / que le fait que les dates de livraison n'eussent prétendument pas été respectées et que la qualité de la viande eût prétendument été inférieure à celle commandée n'exclut pas que des livraisons de marchandises eussent été faites et que M. X... en devait le prix ; que ces motifs inopérants ne donnent aucune base légale à l'arrêt au regard de l'article 1134 du Code civil ;
2 / que dans ses conclusions, la société Lewis Beef faisait valoir qu'elle avait toujours confié à la compagnie American Airlines les produits commandés dans les temps convenus, que les retards de vols de cette compagnie ne pouvaient lui être imputés et que M. X..., qui n'avait jamais formulé de réclamations, n'établissait pas sa responsabilité dans lesdits retards ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen des conclusions et de rechercher si la totalité des retards allégués était imputable à la société Lewis Beef, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que la société Lewis Beef soutenait encore, sans être contredite, qu'il était convenu avec M. X... que, dans l'hypothèse de retards des vols d'American Airlines, les produits ne devaient pas être livrés et un avoir devait être établi ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen et de rechercher si, en raison des dits retards, aucune livraison n'avait été effectuée et des avoirs avaient été établis venant en déduction de la demande de paiement, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que la société Lewis Beef soulignait, toujours dans ses conclusions délaissées par les juges d'appel, que le département d'agriculture des Etats-Unis interdisait l'embarquement à destination de l'étranger des marchandises périssables douteuses ; qu'en ne recherchant pas si, indépendamment de l'estampille, les marchandises à destination de l'étranger subissaient un contrôle systématique et si le fait qu'elles aient pu quitter le territoire américain n'était pas la preuve qu'au départ elles étaient saines, en sorte que l'absence d'estampille n'est * ait constitutive d'aucune faute imputable à la société Lewis Beef justifiant le non paiement par M. X... des marchandises reçues et livrées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
5 / qu'aucune des pièces versées aux débats par M. X..., notamment les pièces 23, 25 et 26 n'établissait que celui-ci eût été propriétaire d'un camion frigorifique ; qu'en affirmant en se fondant sur les pièces produites, que M. X... était propriétaire d'un camion frigorifique depuis le 10 octobre 1990, cependant que lesdites pièces établissaient seulement que celui-ci avait acquis un camion sans mentionner l'existence d'un équipement frigorifique et tout en relevant que M. X... indiquait dans une lettre du 13 septembre 1993 qu'il avait acheté cette année-là une camionnette, mais qu'il aurait tout de même besoin d'un van, ce qui était une reconnaissance qu'il ne disposait toujours pas d'un véhicule doté d'un équipement frigorifique à cette date, la cour d'appel a dénaturé ces pièces et a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que le moyen critique des motifs surabondants dès lors que la société Lewis Beef demandait la confirmation du jugement entrepris et que la cour d'appel a admis sa créance à concurrence de 216 671,64 dollars US tout en prononçant la compensation de cette somme avec celle que la société Lewis Beef devait à M. X... ; qu'il ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Lewis Beef Company Incorporation aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille deux.