AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Utopia productions, société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 7 octobre 1998 par la cour d'appel de Paris (4e chambre civile - section A), au profit :
1 / de la société Idenek, société anonyme, ex Paris cité productions, dont le siège est ...,
2 / de la société Banque monétaire et financière, société anonyme, dont le siège est 91, cours des Roches, 77186 Noisiel,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 20 novembre 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Sémériva, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, conseiller, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Utopia productions, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Idenek, les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la société Utopia productions de son désistement de pourvoi à l'égard de la Banque monétaire et financière ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 1998), que la société Utopia productions, qui, afin de financer la production d'une oeuvre cinématographique, avait recouru à des avances consenties par la société Paris cité productions, aux droits de laquelle est la société Idenek, a été condamnée à payer à cette dernière diverses sommes assises sur l'entier montant des recettes nettes par producteur ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Utopia productions fait grief à l'arrêt d'avoir arrêté comme il a fait le montant des condamnations prononcées à son encontre, alors, selon le moyen :
1 / que le contrat passé le 7 février 1989 entre la société Utopia productions ("le producteur") et la société Paris cité productions ("l'investisseur") aux droits de laquelle vient la société Idenek, précise que, par contrat en date du 8 novembre 1998, les parties avaient décidé de produire ensemble le film et la série "Le Radeau de la Méduse" ; devant les besoins urgents de financement..., il a été décidé de modifier le contrat et de le remplacer par le présent contrat d'investissement, afin de permettre la fin de la production... et de maintenir au bénéfice des différents créanciers du film et de la série leurs garanties, l'investisseur a décidé de maintenir et d'augmenter dans les termes des présentes le montant de son investissement dans le film et la série et de renoncer aux avantages de la co-production, libérant ainsi le soutien financier ; que, selon l'article 4, l'investisseur a remis dès avant ce jour au producteur la somme de 4 875 000 francs ; il remettra en plus la somme de 925 000 francs ; qu'aux termes de l'article 5, "Récupération, rémunération, délégation : "1 / en récupération de ses avances, frais et autres dépenses arrêtées à la somme de 6 750 000 francs HT, augmentée de la TVA, l'investisseur recevra les recettes suivantes : 100 % des recettes nettes part producteur (RNPP) à provenir de l'exploitation commerciale du film en salles... de l'ensemble des recettes nettes provenant de l'exploitation télévisuelle du film et de la série par voie hertzienne, satellite et/ou câble... 2 / en rémunération de son investissement, l'investisseur recevra : a) avant amortissement du coût du film et de la série, 17 % de l'ensemble des RNPP au titre de l'exploitation par tous moyens et sur tous supports... et en tous lieux du film et de la série ; b) après amortissement : 22 % de l'ensemble des RNPP au titre de l'exploitation... du film et de la série ;
2 / que ce contrat constitue, non pas un prêt, mais un contrat aléatoire dont les effets quant aux avantages et aux pertes dépendent pour les parties d'un événement incertain, l'existence et le montant des RNPP ; qu'en relevant que la somme de 6 500 000 francs était une somme prêtée par la société Idenek à la société Utopia productions, et que la société Idenek avait donc droit, en rémunération de son placement, à 17 % du montant de l'ensemble des RNPP, y compris de celles ayant permis le remboursement de la somme prêtée, la cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile en qualifiant inexactement le contrat du 7 février 1989 ;
3 / qu'en retenant que la société Idenek avait droit à telle rémunération, la cour d'appel a ajouté à l'article 5 du contrat des dispositions qu'il ne comporte pas, v1134 du Code civil ;
4 / que, dans ses conclusions du 22 juillet 1996, la société Utopia productions, faisaient siens les motifs des premiers juges selon lesquels les stipulations de l'article 5 du contrat ne pouvaient s'interpréter comme attribuant à la société Idenek, dès la première recette et jusqu'à remboursement des avances, une somme supérieure à 100 % des recettes ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions de la société Utopia productions, qui n'avaient pas pour conséquence de priver la société Idenek de la rémunération de son investissement, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, relevant qu'aux termes du contrat l'investisseur avait droit à la récupération de la somme investie sur 100 % des recettes nettes part producteur, puis à la rémunération de son investissement par prélèvement de 17 % de l'ensemble du montant de ces recettes, a, répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées par lesquelles le producteur contestait l'assiette de la rémunération, fait application de la loi du contrat en retenant que la clause litigieuse ne mentionnait pas que cette rémunération ne devait se réaliser qu'une fois les avances récupérées et ainsi légalement justifié sa décision selon laquelle cette assiette était constituée par l'ensemble de ces recettes ; que le moyen, inopérant en sa première branche, en ce qu'il invoque l'incidence d'un aléa qui ne s'est pas réalisé, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société Utopia productions reproche à la cour d'appel d'avoir dit que les sommes de 762 928,28 francs HT et de 442 768,16 francs HT, au paiement desquelles elle l'a condamnée, produiront intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 1993, lesdits intérêts échus et dus pour plus d'une année entière produisant eux-mêmes des intérêts à la date de la demande, le 16 juin 1997, alors, selon le moyen :
1 / que, dans ses conclusions, la société Idenek demandait de "dire et juger que les sommes susvisées porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 mai 1994" ; qu'en fixant le point de départ des intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 1993, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'aux termes de l'article 1153 du Code civil, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne sont dus que du jour de la sommation de payer ou d'un autre acte équivalent, telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante ; que les lettres du 20 décembre 1993 ne sont pas recommandées et constituent, selon leur intitulé même, de simples factures ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a, de plus, dénaturé ces lettres, violant ainsi les articles 1134 et 1153 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que dans le cours de ses conclusions, la société Idenek, qui n'était pas tenue de formuler ses prétentions en forme de dispositif, demandait le bénéfice d'intérêts moratoires à compter du 19 février 1993, de sorte qu'en fixant ce point de départ à une date postérieure, la cour d'appel n'a pas méconnu les termes du litige ;
Attendu, en second lieu, qu'en fixant le point de départ des intérêts moratoires à la date d'envoi de factures dont elle constatait qu'elles étaient adressées par voie recommandée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Utopia productions aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Utopia productions à payer à la société Idenek la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille deux.