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19/12/2001 | FRANCE | N°00-86157

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 décembre 2001, 00-86157


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf décembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ROGER, les observations de Me BLANC, de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHE et LAUGIER, de Me BLONDEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MARIN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jean,

- Y... Henri,

- Z... Pascal et Z... Lucie, venant aux droits de

Z... Germain,

- A... Jean,

- B... Michel,

- C... Yves, prévenus,

- D... Daniel, syndic ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf décembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ROGER, les observations de Me BLANC, de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle LE BRET-DESACHE et LAUGIER, de Me BLONDEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MARIN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jean,

- Y... Henri,

- Z... Pascal et Z... Lucie, venant aux droits de Z... Germain,

- A... Jean,

- B... Michel,

- C... Yves, prévenus,

- D... Daniel, syndic à la liquidation des biens de la société HENRY, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, en date du 14 septembre 2000, qui, après condamnation définitive de Germain Z..., Jean A..., Henri Y..., Jean X..., Michel B... et Yves C... notamment des chefs de faux et usage, abus de biens sociaux et complicité, a, sur renvoi après cassation, prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I-Sur les pourvois de Jean A..., Michel B... et Yves C... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

Il-Sur le pourvoi de Jean X... :

Attendu que, par arrêt du 16 novembre 2000, la cour d'appel de Poitiers ayant rectifié l'erreur matérielle contenue dans le dispositif de l'arrêt attaqué du 14 septembre 2000, il y a lieu de constater que le pourvoi de Jean X... est devenu sans objet, ainsi que ce demandeur le sollicite ;

III-Sur les pourvois des autres demandeurs :

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour Henri Y... et les consorts Z..., pris de la violation des articles 147, 150 et 151 du Code pénal ancien, de l'article 441-1 du Code pénal, de l'article 1382 du Code civil ensemble les articles 2, 3, 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Henry Y..., Pascal Z... et Lucie Z..., solidairement avec des tiers, à payer à Me D..., ès qualités de syndic à la liquidation de biens de la société Henry, une somme équivalente au montant des intérêts calculés au taux légal sur le montant de la créance détenue par la société Henry à l'encontre de la société SAR entre le 25 octobre 1988 et le 23 novembre 1988 ;

" aux motifs que " la condamnation pour faux et usage de faux ayant acquis l'autorité de la chose jugée, l'existence d'un préjudice subi par la société Henry n'est pas contestable (...) ; qu'il convient donc d'établir le quantum du préjudice inhérent à l'infraction retenue ; qu'en l'espèce, le dommage retenu à l'appui de la déclaration de culpabilité est nécessairement limité à l'incidence de la sentence sur la mise en liquidation des biens de la société Henry ; que la longue discussion instaurée sur le point de savoir si la société SAR était solvable ou non doit être écartée, car même si l'insolvabilité de cette société au moment des faits avait été réelle, ce n'est pas elle qui aurait été à l'origine du préjudice subi par la société Henry ; qu'il en est de même de celle instaurée concernant l'exécution ou non de la fausse sentence, puisque la relation de cause à effet directe entre le prononcé de la sentence, la compensation ordonnée et le dépôt de bilan est acquise (..) que cette appréciation conduit à examiner l'état de la société Henry au moment où les faits répréhensibles sont intervenus ; qu'il s'avère que la société Henry avait été mise en règlement judiciaire en juillet 1983 et avait obtenu un concordat homologué le 19 novembre 1984 ;

qu'aux termes de cet engagement, elle devait régler 60 % de ses dettes et des intérêts progressifs ; que le dividende sur capital échu le 19 décembre 1986 n'avait pas été réglé pour 1 980 762 francs ; que le dividende d'intérêts échus le 19 mars 1987 n'avait pas été réglé pour 500 802 francs ; que le dividende d'intérêts échus le 19 mars 1988 n'avait pas été réglé pour 734 274 francs, soit au total 3 215 838 francs ; qu'ainsi, au 31 juillet 1988, cette situation était à elle seule suffisante pour pouvoir faire envisager la résolution du concordat et la liquidation ; que, d'ailleurs, dans sa requête du 15 novembre 1988, Me E..., même s'il faisait allusion aux agissements des derniers dirigeants, motivait sa demande de résolution du concordat et d'ouverture des opérations de liquidation par le non-respect des échéances concordataires : à cette époque, il ne connaissait pas l'existence de la sentence ; que la mauvaise santé financière de la société Henry est encore corroborée par les conclusions de l'expert-comptable M. F... ; que, selon ce sachant, au 31 juillet 1988, les dettes de la société Henry excédaient de près de 6 millions la valeur réelle de son acte patrimonial, et qu'aucun élément ne permettait d'espérer que la situation ne se soit améliorée durant les sept premiers mois de 1988, de sorte que la situation résumée au 31 juillet 1988 était également obérée, ce qui était confirmé par la situation provisoire et non certifiée au 31 août 1988 ; qu'il est également établi qu'en novembre 1988 et sans que la sentence arbitrale soit prise en considération ni même connue, le CIO a retiré son concours de 2 000 KF accordé jusqu'alors à la société Henry, en considérant que la situation financière de celle-ci était trop obéré au 31 décembre 1987 ; que, toutefois, en termes économiques, puisque la créance de la société Henry sur la société SAR a disparu des suites de la compensation ordonnée et des écritures comptables qui ont suivi, il peut être admis, ainsi que l'avance Me D..., que le créancier s'est vu dans l'impossibilité de remettre à l'escompte les effets de commerce détenus sur la société SAR en contrepartie des fournitures d'aliments livrés (la société SAR était le principal client de la société Henry) de " Daillysen " les factures correspondant aux mêmes livraisons à la société SAR ou de les adresser à une société d'affacturage ; que cette privation de trésorerie constitue à l'évidence une perte de chance constituée par l'impossibilité de montrer une amélioration de la situation auprès d'organismes financiers ; que le fait de ne pas disposer d'une possibilité matérielle permettant de faire de nouvelles propositions peut être considéré comme la goutte qui a provoqué le dépôt de bilan d'une société quasi moribonde ; qu'ainsi, eu égard à la précarité financière de la société Henry, le montant du préjudice ne peut être que symbolique et sera arrêté au montant des intérêts au taux légal de la créance que détenait la société Henry à l'encontre de la société SAR entre le 25 octobre 1988, date de la fausse sentence arbitrale, et le 23 novembre 1988, date du prononcé de la résolution du concordat et de la liquidation des biens " ;

" alors que, premièrement, le préjudice résultant des délits de faux et d'usage de faux peut n'être qu'éventuel ; qu'en énonçant, pour statuer comme ils l'ont fait, que dès lors que la condamnation pour faux et usage de faux avait acquis la force de chose jugée, l'existence d'un préjudice était incontestable, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

" alors que, deuxièmement, en affirmant d'abord que la relation de cause à effet directe entre le prononcé de la sentence, la compensation et le dépôt de bilan était acquise pour énoncer, ensuite, que la situation financière de la société Henry était obérée bien avant l'existence de la sentence arbitrale, niant par là-même le lien de cause à effet existant entre la sentence et le dépôt de bilan, les juges du fond se sont déterminés aux termes de motifs contradictoires ;

" alors que, troisièmement, le préjudice résultant de la perte d'une chance doit être certain et découler directement des délits de faux et d'usage de faux ; qu'au cas d'espèce, en énonçant, pour statuer comme ils l'ont fait, que l'existence de la sentence arbitrale avait mis sa société Henry dans l'impossibilité de montrer une amélioration de la situation auprès d'organismes financiers sans rechercher, ni a fortiori énoncer, de quelles possibilités concrètes de crédits la société Henry disposait à l'époque des faits auprès d'organismes financiers, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés ;

" alors que, quatrièmement, les juges du fond ne peuvent évaluer le préjudice à une somme symbolique ; qu'en effet, le montant de la réparation devant être l'exacte mesure du préjudice subi par la victime, en prononçant une condamnation à une somme symbolique les juges du fond reconnaissent que celle-ci n'a subi aucun préjudice réparable ; qu'au cas d'espèce, en énonçant que le montant du préjudice subi par la société Henry du fait de l'existence de la sentence arbitrale ne pouvait être que symbolique, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;

" et alors que cinquièmement et en tout cas, seul un préjudice présentant un lien de cause à effet direct avec l'infraction peut donner lieu à réparation ; qu'au cas d'espèce, il est constant qu'à la suite de la sentence arbitrale, aucun paiement n'a eu lieu ;

qu'ainsi, le prétendu faux n'a pu générer de préjudice direct soit en raison d'un versement ayant pour effet une diminution de la trésorerie, soit par perte d'une chance du recouvrement du principal de la créance que la société Henry détenait sur la société SAR ; que pour avoir décidé le contraire, les juges du fond ont encore une fois violé les textes susvisés " ;

Sur le moyen unique de cassation proposé pour D... Daniel, pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a alloué à Me D..., syndic à la liquidation des biens de la société Henry, en réparation du préjudice que lui avaient causé les infractions de faux et usage de faux, une somme équivalente au montant des intérêts au taux légal sur la créance détenue par la société Henry sur la SAR entre le 25 octobre et le 23 novembre 1988 ;

" aux motifs que la condamnation pour faux et usage de faux ayant acquis autorité de chose jugée, l'existence d'un préjudice subi par la société Henry n'était pas contestable ; que la Cour de Cassation, le 11 janvier 1996, avait sanctionné la cour d'appel de Rennes en relevant qu'elle ne pouvait ignorer que dans son premier arrêt, elle avait admis que la fausse sentence arbitrale, ayant donné lieu à extinction de la créance de la société Henry par compensation, avait contribué à sa mise en liquidation des biens ; que la relation de causalité entre le prononcé de la sentence arbitrale, la compensation ordonnée et le dépôt de bilan était acquise ; que puisque la créance de la société Henry sur la SAR avait disparu des suites de la compensation ordonnée et des écritures comptables en ayant suivi, le créancier s'était vu dans l'impossibilité de remettre à l'escompte les effet détenus sur la SAR ; que cette privation de trésorerie avait provoqué le dépôt de bilan de la société Henry ;

" alors que le juge doit ordonner l'exacte réparation du dommage découlant de l'infraction poursuivie ; qu'en fixant au montant des intérêts au taux légal de la créance détenue par la société Henry sur la SAR entre le 25 octobre et le 23 novembre 1988 le montant du préjudice lié à la fausse sentence arbitrale, tout en constatant que l'existence d'un lien de causalité entre la fausse sentence arbitrale, l'extinction de la créance de la société Henry par compensation et sa mise en liquidation des biens avait été définitivement reconnue, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, par arrêt de la cour d'appel de Rennes du 3 juillet 1990, les prévenus ont été définitivement déclarés coupables de faux, complicité et usage de faux, pour avoir fabriqué une sentence arbitrale condamnant la société Henry à payer à la société avicole de la Roussière (SAR), la somme de 4 976 376 francs, sous prétexte de fournitures non conformes, et ordonnant la compensation de cette dette avec la " créance " de 3 000 000 francs que la première société détenait sur la seconde ; que, par ailleurs, cette décision a retenu que la fausse sentence arbitrale, en date du 27 octobre 1988, qui avait aussitôt donné lieu, le 4 novembre suivant, à l'enregistrement dans la comptabilité de la société Henry d'un débit de 4 976 376 francs, était l'une des manifestations du concert frauduleux qui avait permis, au détriment de cette société, d'opérer dans la trésorerie des ponctions telles que sa situation, déjà difficile, était devenue désespérée, contribuant ainsi à sa mise en liquidation des biens, prononcée le 23 novembre 1988 ;

Attendu que la cour d'appel de Poitiers, statuant sur renvoi de cassation sur les seuls intérêts civils, énonce que le préjudice subi par la société Henry consiste dans l'incidence de la sentence arbitrale du 25 octobre 1988 sur sa liquidation de biens prononcée le 23 novembre 1988 ; qu'elle retient notamment que, si la situation de la société Henry était compromise dès le 31 juillet 1988, celle-ci, du fait de la sentence arbitrale et de ses suites s'est trouvée dans l'impossibilité de remettre à l'escompte des effets de commerce sur la SAR et que cette privation de trésorerie qui en a été la conséquence, s'analyse en une perte de chance, constituée par l'impossibilité de faire état d'une amélioration de la situation auprès d'organismes financiers et par le fait de ne pouvoir disposer d'une possibilité matérieIle de présenter de nouvelles propositions, qui ont entraîné le dépôt du bilan ; que les juges concluent que le préjudice est égal au montant des intérêts au taux légal de la créance que détenait la société Henry sur la SAR entre le 25 octobre 1988 et le 23 novembre 1988 ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la consistance du préjudice résultant des infractions retenues à la charge des prévenus ainsi que le montant de l'indemnisation propre à réparer le dommage, a justifié sa décision ;

Que, dès lors, les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

I-Sur le pourvoi de Jean X... :

Dit n'y avoir lieu à statuer ;

II-Sur les autres pourvois :

Les REJETTE ;

Dit n'y avoir lieu à application, au profit de Daniel D..., es-qualités, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Pibouleau conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Roger conseiller rapporteur, Mme Desgrange conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Marin ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 00-86157
Date de la décision : 19/12/2001
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 14 septembre 2000


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 déc. 2001, pourvoi n°00-86157


Composition du Tribunal
Président : Président : M. PIBOULEAU conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2001:00.86157
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