AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Alcatel réseaux d'entreprise, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 27 mai 1999 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile, section B), au profit du Comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société Alcatel réseaux d'entreprise, domicilié en sa délégation régionale ...,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 30 octobre 2001, où étaient présents : M. Chagny, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Lanquetin, conseiller rapporteur, M. Bailly, conseiller, Mme Trassoudaine-Verger, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Lanquetin, conseiller, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que fin 1997, début 1998 la société Alcatel Réseaux d'entreprise (ARE) qui dispose, sous couvert d'une direction régionale Sud-Est d'un établissement régional dont le siège est à Marseille, a mis au point un système d'astreinte du personnel technique amené à intervenir en urgence en cas de difficultés affectant les équipements de ses clients ; qu'en date du 1er mars 1998, elle a émis une note de service intitulée "Charte nationale d'astreinte ARE, organisation et indemnisation de l'astreinte" ; que le secrétaire du Comité d'hygiène de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) de la région Sud-Est de la société ARE a mis cette question à l'ordre du jour de la réunion de cette instance prévue le 24 mars 1998 et a désigné le cabinet Alpha Conseil en qualité d'expert chargé d'une étude sur les conditions de travail concernant les techniciens d'astreinte ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 mai 1999) de l'avoir déboutée de sa demande tendant à l'annulation de la désignation de l'expert, le cabinet Alpha Conseil, alors, selon le moyen :
1 / que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé qu'en cas de projet important modifiant les conditions de travail ; qu'en l'espèce, il résulte des propres énonciations de la cour d'appel, d'une part, que l'organisation du CTN a pu réduire le nombre des interventions avec déplacements puisque certaines sont réalisées à distance ; qu'en outre, le nombre des interventions a stagné en 1997 et 1998 et que le système est fondé sur le volontariat, d'autre part, qu'il n'est pas explicite que les conditions des astreintes et des déplacements ne sont pas notablement modifiées par la charte ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas caractérisé que la charte modifiait de façon importante les conditions de travail et que l'arrêt n'est pas justifié au regard de l'article L. 236-9 du Code du travail ;
2 / que le CHSCT ne peut recourir à l'expertise prévue par l'article L. 236-9 du Code du travail que pour traiter d'une question technique précise qui échappe à la compétence de ses membres ; qu'en l'espèce, il appartenait à la cour d'appel de vérifier et de caractériser que la mission de l'expert tendant à "étudier les conséquences du projet de modification du régime des astreintes sur les conditions de travail des techniciens" était suffisamment précise et si elle ne constituait pas en fait une délégation d'attribution illégitime du CHSCT et de caractériser la difficulté technique à laquelle celui-ci s'était heurté pour justifier cette mesure ; que l'arrêt manque de base légale au regard des articles L. 236-9 et R. 236-14 du Code du travail ;
3 / que, en cas de contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise prévue par l'article L. 236-9 du Code du travail, il appartient à la cour d'appel d'apprécier au jour où elle statue, si l'expertise reste justifiée au regard des conditions posées par ce texte ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la charte litigieuse datée du 1er mars 1998 a été appliquée en avril 1998 et qu'il en ressort que le nombre des interventions n'avait pas augmenté et que celles avec déplacements avait même été réduites ; qu'il s'ensuit que, au jour où statuait la cour d'appel, la charte n'était plus un projet et qu'elle n'avait pas modifié de façon importante les conditions de travail ; qu'en autorisant néanmoins l'expertise aux prétextes inopérants et infondés que l'effet réel de l'astreinte sur les conditions de travail des salariés volontaires n'était pas précisé ; qu'en raison des déplacements les risques encourus étaient susceptibles d'être multipliés et que le juge des référés saisi avait rendu son ordonnance de référé non expressément assortie de l'exécution provisoire, la cour d'appel a violé les articles L. 236-2, alinéa 7, L. 236-9, R. 236-14 du Code du travail et 489 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'au surplus, il appartenait à la cour d'appel de rechercher si l'expert désigné, dont il est constant qu'il n'avait pas exécuté sa mission, n'avait, dès le 30 novembre 1998, pas reçu et encaissé un chèque d'acompte sur honoraires de la part de l'employeur et obtenu les éléments d'information pour commencer ses diligences dès le 27 novembre 1998, et de vérifier si, comme le soutenait la demanderesse, les risques de fatigue supplémentaire, soulignés par le médecin du travail n'étaient pas anéantis par l'amélioration de l'organisation et des conditions d'astreinte, en sorte que, compte tenu de ces éléments, l'expertise non exécutée ne s'imposait toujours pas au jour où elle statuait ; que l'arrêt manque de base légale aux regards des articles L. 236-9 et R. 236-14 du Code du travail ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 236-9 du Code du travail que la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise ne peut concerner que le point de savoir si le projet litigieux est un projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail ;
Et attendu que la cour d'appel a constaté que le projet de l'employeur avait été mis en oeuvre postérieurement à la réunion du CHCST ayant désigné l'expert et que ce projet de "redéfinition et harmonisation" de l'organisation de l'astreinte était présenté par l'employeur lui-même comme la conséquence de trois changements qualifiés d'importants dans la structure de l'entreprise et le service proposé aux clients, qu'il comportait notamment l'augmentation du nombre des périodes d'astreintes et que le médecin du travail avait souligné les risques entraînés par la modification des conditions de travail tenant à la fatigue supplémentaire due à la suppression des repos compensateurs et au nombre d'astreintes importantes ; qu'en l'état de ces constatations elle a pu décider que le projet en cause était un projet important au sens de l'article L. 236-9 du Code du travail justifiant le recours à l'expertise ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Alcatel réseaux d'entreprise aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille un.