AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq décembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me CHOUCROYet de Me Le PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Gilles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en date du 6 septembre 2000, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'escroquerie, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 313-1 nouveau du Code pénal, 405 ancien du Code pénal, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit caractérisé le délit d'escroquerie portant sur la cession de la créance Balladins pour 14 986,30 francs ;
"aux motifs qu'il est exact qu'au 31 juillet 1992, seul le chèque de 14 986,30 francs avait été remis à l'encaissement ;
"que le même jour, la même facture Balladins du fait du prévenu seul, a fait l'objet :
- de la remise pour encaissement au Crédit Agricole ;
- de la cession de créance de la BPC ;
"que le remise de fonds ou obtention de découvert a, par conséquent, été obtenue par Gilles X..., de la BPC alors que cette créance était éteinte par le paiement antérieur du débiteur ; que ce "crédit" était imaginaire ;
"alors qu'aux termes de l'arrêt de renvoi qui délimitait la saisine des juges du fond, l'escroquerie poursuivie aurait été commise le 2 juillet 1992, date de la remise par Gilles X..., de bordereaux de cession de créances de la loi Dailly sur lesquels étaient inscrites des créances qui auraient été éteintes par des paiements antérieurs du débiteur, qu'en se référant à la date du 31 juillet 1992 portée par la banque sur ces bordereaux qu'elle avait retournés par courrier au prévenu, pour affirmer qu'à cette date, la créance constatée par la facture Balladins, était éteinte par le paiement du débiteur, la Cour, qui a ainsi illégalement repoussé la date de l'escroquerie poursuivie afin de pouvoir admettre l'antériorité des prétendues manoeuvres par rapport à la date à laquelle la banque s'était engagée envers la société du prévenu a, ce faisant , violé tant l'article 388 du Code de procédure pénale, que les textes visés au moyen qui répriment l'escroquerie" ;
Attendu que, pour déclarer Gilles X... coupable d'escroquerie, l'arrêt attaqué énonce que, pour obtenir de la banque une ouverture de crédit, celui-ci lui a remis, le 2 juillet 1992, un bordereau de cession de créances "loi Dailly", sur lequel figurait une facture déjà réglée par chèque ; que les juges ajoutent que la cession de créance a pris effet le 31 juillet 1992 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a caractérisé, sans excéder sa saisine, le délit d'escroquerie, dès lors que la remise des fonds est intervenue après les manoeuvres frauduleuses perpétrées le 2 juillet 1992 ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 408 ancien du Code pénal en vigueur au moment des faits, 314-1 nouveau du Code pénal, 2 et 4 de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse aux conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gilles X... coupable d'abus de confiance ;
"aux motifs que la convention de cession de créances en vigueur du 9 juillet 1991 disposait (article 6) que, dans le cas où le client procéderait lui-même à l'encaissement, il le ferait en qualité de mandataire de la banque (BPC) et s'obligeait à reverser immédiatement à celle-ci tous les encaissements reçus ;
"que les cessions (article 2) s'opéraient sur simple remise par le client d'un bordereau intitulé "acte de cession de créances" et que (article 3) le bordereau était daté par la banque ;
"qu'il est constant que Gilles X... a remis lesdits bordereaux et les factures le 2 juillet 1992 ;
"que les conséquences de cette remise sont la cession des créances opérée à cette date, conséquence de droit que Gilles X... connaissait et ne pouvait prétendre ignorer ou avoir oubliées ;
"que c'est au 21 juillet 1992 que la cession a pris effet, même si lors du dépôt des bordereaux, aucune date n'a été inscrite par la BPC, cette absence de date n'ayant aucun effet entre les parties au regard de la matérialité du fait lui-même non contesté, seul intéressant dans l'analyse de la caractérisation de l'infraction ;
"que la remise à l'encaissement, postérieurement à cette date, sur le compte Crédit Agricole des chèques de règlements, alors que la BPC cessionnaire était devenue propriétaire desdites créances, à la connaissance de Gilles X..., à la fois déposant et signataire des bordereaux Dailly et des bordereaux de remise de chèques au Crédit Agricole, à l'époque directeur financier et gérant de ILV, caractérise le détournement de fonds au préjudice de son propriétaire, la BPC ;
"que la condition préalable de "contrat" est établie par la convention elle-même ;
"qu'il y a lieu à la requalification proposée par la partie civile d'escroquerie en abus de confiance pour les deux factures Rivaud Bail de 112 756,06 francs et Dumez Construction de 71 474,29 francs ;
"que l'intention coupable résulte de la conscience qu'a eue Gilles X... ;
"de céder une créance dont il percevait dans le même temps le règlement ;
"d'encaisser des règlements alors qu'en tant que mandataire de la banque, il savait avoir la charge de faire inscrire leurs montants sur le compte ouvert dans les livres du mandant (BPC) ;
"alors que, d'une part, en application de l'article 408 ancien du Code pénal en vigueur au moment des faits poursuivis commis, selon l'arrêt de renvoi, en juillet 1992, comme de l'article 314-1 nouveau du Code pénal, le délit d'abus de confiance n'est pas constitué du seul fait d'une quelconque violation d'une obligation contractuelle incombant au prévenu, celui-ci devant avoir détourné des fonds, des valeurs ou un bien qui lui ont été remis et qu'il a acceptés, à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé, l'article 408 ancien du Code pénal exigeant au surplus qu'une telle remise ait été effectuée en exécution d'un des contrats que ce texte énumérait limitativement ; que, dès lors, en l'espèce où il résulte des constatations des juges du fond que les sommes prétendument détournées par le prévenu, lui avaient été remises par les débiteurs de la société qu'il dirigeait en règlement des créances professionnelles de cette dernière, les juges du fond ont fait une application erronée des textes précités en déclarant Gilles X... coupable d'abus de confiance parce qu'il aurait méconnu l'obligation qu'il avait contractée envers sa banque, de lui remettre les sommes provenant de ces règlements ;
"alors que, d'autre part, la Cour a violé les articles 2 et 4 de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 en prétendant, au prix d'une évidente contradiction, que la cession des créances remises par le prévenu à sa banque le 2 juillet 1992, avait pris effet à cette date avant d'affirmer sans même rechercher à le justifier, que ladite cession de créances avait pris effet le 21 juillet 1992, le prévenu ayant expliqué, dans ses conclusions laissées sans réponse, qu'en vertu des textes susvisés, la cession avait pris effet entre les parties le 31 juillet 1992 et donc postérieurement aux prétendus détournements des créances, puisque la banque, qui ne contestait pas ce fait, avait porté cette date sur les bordereaux de cession de créances" ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Gilles X... a transmis, le 2 juillet 1992, à la banque deux bordereaux de cession de créances, se rapportant à quatre factures d'un montant total de 280 690,62 francs et que la banque a porté, sur ces bordereaux, la date du 31 juillet 1992, et non du 21 juillet 1992 comme indiqué dans l'arrêt en suite d'une erreur purement matérielle ; que les juges ajoutent que ces créances ont été réglées directement à Gilles X... après le 31 juillet 1992 et que celui-ci a détourné ces sommes dont il a fait bénéficier un autre établissement de crédit ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, le délit d'abus de confiance au regard des dispositions des articles 408 ancien et 314-1 du Code pénal, dès lors qu'après la cession de créances, le cédant devient le mandataire de la banque et est tenu, à ce titre, de reverser à son mandant les sommes perçues ;
Qu'ainsi, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Pibouleau conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;