AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société civile immobilière (SCI) Bellevue, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 novembre 1998 par la cour d'appel de Lyon (1re et 2e chambres civiles, réunies), au profit :
1 / de M. Roger D..., demeurant ... Martin,
2 / de M. Ludwig Y...,
3 / de Mme Christine Y...,
demeurant ensemble ... Martin,
4 / de la société civile immobilière (SCI) Le Président, dont le siège est ...,
5 / de la société civile professionnelle (SCP) Jean-Paul E..., Dominique B..., Jean-Marie Z..., dont le siège est ..., venant aux droits de la société civile professionnelle Josette Tarabella, Henri C... et Jean-Paul E...,
6 / du Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Mirasol, sis ... Martin, représenté par son syndic en exercice, M. Claude F..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 17 octobre 2001, où étaient présents : Mlle Fossereau, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Philippot, conseiller rapporteur, MM. Toitot, Bourrelly, Mme Stephan, MM. Peyrat, Guerrini, Dupertuys, Assié, Mme Gabet, conseillers, M. Betoulle, Mme Nési, conseillers référendaires, M. Guérin, avocat général, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Philippot, conseiller, les observations de la SCP Baraduc et Duhamel, avocat de la société civile immobilière Bellevue, de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société civile professionnelle Jean-Paul E..., Dominique B..., Jean-Marie Z..., venant aux droits de la société civile professionnelle Josette Tarabella, Henri C... et Jean-Paul E..., de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat des époux Y..., de Me Odent, avocat de M. D... et du Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Mirasol, les conclusions de M. Guérin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 novembre 1998), statuant sur renvoi après cassation (Civ 3, 12 février 1997, B n° 34), que les époux Y... ont vendu à la société civile immobilière (la SCI) Le Président, des terrains constituant deux lots du lotissement Brusa dont le cahier des charges a été approuvé le 17 janvier 1952, pour un prix dont le solde a été converti en obligation de livrer plusieurs appartements ; que la SCI Le Président et les époux Y... ont cédé à la SCI Bellevue leurs biens et droits immobiliers respectifs ; qu'un permis de construire a été obtenu pour l'implantation d'un immeuble unique sur les deux lots ; que M. D..., propriétaire d'un lot de l'immeuble en copropriété faisant partie du lotissement et le syndicat des copropriétaires de cet immeuble, ont assigné les deux SCI afin d'obtenir l'arrêt des travaux et la mise en conformité des constructions avec les règles contractuelles du lotissement ; que la SCI Bellevue, exerçant l'action estimatoire, a demandé la condamnation des époux Y... et de la SCI Le Président à lui restituer une partie du prix de la vente et à lui payer des dommages-intérêts ; qu'elle a également sollicité la condamnation de la société civile professionnelle de notaires Tarabella-Peyre-Rondreux, aux droits de laquelle vient la société civile de notaires Rondreux-Haxaire-Drappier, chargée de rédiger les actes de cession, à des dommages-intérêts ;
Attendu que la SCI Bellevue fait grief à l'arrêt de la débouter de son action en garantie des vices cachés et de sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen, que l'existence ignorée d'une procédure judiciaire ayant pour objet d'interdire la construction envisagée sur le terrain vendu est un vice caché de nature à rendre le terrain impropre à l'usage auquel le promoteur acquéreur le destine ; qu'en l'espèce, la SCI Bellevue faisait valoir que les vendeurs lui avaient certes révélé l'existence d'une requête en annulation du permis de construire devant le tribunal administratif, mais lui avaient caché l'existence d'une procédure judiciaire tendant à interdire la construction envisagée en raison des dispositions du lotissement s'y opposant ; qu'en s'abstenant néanmoins de rechercher si le terrain vendu était, de ce fait, affecté d'un vice caché le rendant impropre à l'usage auquel la SCI Bellevue le destinait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1641 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que dès la conclusion des promesses de vente du 28 février 1990, de la SCI Le Président à M. A..., et du 30 mars 1990, des époux Y... à M. A..., celui-ci, qui deviendra gérant de la SCI Bellevue, avait été informé des difficultés qui résultaient de l'existence d'un lotissement et des règles qui en découlaient, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Sur le second moyen :
Attendu que la SCI Bellevue fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande à l'encontre de la SCP Tarabella-Peyre-Rondreux, notaires associés alors, selon le moyen, que le notaire doit, au titre de son devoir de conseil, attirer l'attention de son client sur les risques relatifs à l'opération envisagée, notamment en raison d'une incertitude jurisprudentielle ou d'actions en justice en cours, en rendant compte de ses conseils dans l'acte lui-même et en des termes suffisamment explicites ; que les compétences personnelles du client ou l'assistance d'un tiers ne dispensent ni n'allègent le devoir de conseil du conseil du notaire, qui a un caractère absolu ; qu'en l'espèce, M. C..., notaire, a écrit dans l'acte de vente des deux terrains : "ces deux terrains ayant formé respectivement les lots trois et deux d'un Iotissement devenu caduc n'ayant pas été renouvelé conformément à la loi" ; que la formule péremptoire ainsi employée dans l'acte, sans réserve ni nuance, signifiait clairement qu'en raison de leur caducité les règles du lotissement ne trouvaient plus à s'appliquer, notamment celle qui imposait que les constructions soient implantées à quatre mètres des limites séparatives de chaque lot, en sorte que la SCI Bellevue ne pouvait être empêchée par les règles relatives au lotissement qualifié de "caduc" de construire un seul immeuble sur les deux lots achetés ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le caractère affirmatif, péremptoire, sans réserve ni nuance de la formule rédigée par le notaire, muette notamment sur les conséquences que les recours pendants pouvaient avoir et sur la jurisprudence relative à l'article L. 315-2-1 du Code de l'urbanisme qui était à l'époque incertaine, avaient conduit l'acheteur italien, M. Pancrazio A..., gérant de la SCI Bellevue à prêter moins d'importance aux divers documents simplement classés en annexe de
l'acte de vente (consultation du CRIDON, permis de construire, recours contre le permis de construire) ou seulement indiqués ou annexés dans la promesse de vente et non repris dans l'acte de vente (recours contre le permis de construire, contact avec l'avocat du vendeur (!), décharge de responsabilité, affirmation de prise en charge personnelle, note des architectes), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, qu'il avait été mentionné dans la promesse de vente qu'un recours contre le permis de construire avait été exercé, que l'acheteur avait déclaré en avoir eu connaissance pour avoir pris contact avec l'avocat de la société venderesse et qu'il acquérait quand même l'immeuble, faisant son affaire personnelle des conséquences pouvant en résulter, et qu'avaient été annexés à l'acte de vente la consultation du "Centre de recherches, d'information et de documentation notariales" (CRIDON) analysant les risques, le certificat d'urbanisme, le permis de construire et le recours contre ce permis déposé devant le tribunal administratif, la cour d'appel, qui en a déduit que le notaire avait avisé des difficultés liées à l'application de l'article L. 315-2-1 du Code de l'urbanisme son client, professionnel de l'immobilier, qui avait accepté de contracter, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière Bellevue aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société civile immobilière Bellevue à payer à M. D... et au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Mirasol, ensemble, la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros, la somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros aux époux X... et la somme de 10 000 francs ou 1 524,49 euros à la société Jean-Paul E..., Dominique B... et Jean-Marie Z... ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société civile immobilière Bellevue ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du vingt et un novembre deux mille un par Mlle Fossereau, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.