AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Annie A..., épouse X..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 17 septembre 1998 par la cour d'appel de Douai (2e chambre), au profit :
1 / de M. Christian Z...,
2 / de Mme Jocelyne Z...,
demeurant ensemble ...,
3 / de la société Cabinet Lacroix, société anonyme, dont le siège est ...,
défendeurs à la cassation ;
La société Cabinet Lacroix défenderesse au pourvoi principal a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs aux pourvois principal et incident invoquent, chacun, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 juillet 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, M. Leclercq, conseiller, M. Viricelle, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de Mme Y..., de Me Capron, avocat des époux Z..., de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société Cabinet Lacroix, les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par Mme Y... que sur le pourvoi incident relevé par la société Cabinet Lacroix ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux branches, et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses quatre branches, les moyens étant réunis :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Douai, 17 septembre 1998) que suivant acte sous seing privé du 25 novembre 1994, Mme Y... a promis d'acheter le fonds de commerce de débit de boissons des époux Z... sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt de 500 000 francs et a remis le même jour, sous la forme d'un billet à ordre, une somme de 167 500 francs en garantie de son engagement à la société Cabinet Lacroix, constituée séquestre, qu'elle a mandatée pour présenter en son nom des dossiers de demandes de prêt à une ou plusieurs banques ; que prétendant ne pas avoir obtenu le prêt, Mme Y... a refusé de signer l'acte définitif et s'est fait restituer le billet à ordre ; que les époux Z... l'ont assignée, ainsi que la société Cabinet Lacroix, pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 167 500 francs ;
Attendu que Mme Y... et la société Cabinet Lacroix font grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande alors, selon les moyens :
1 ) que la condition suspensive d'obtention d'un prêt stipulée dans une promesse de vente, notamment d'un fonds de commerce, n'est réalisée que si une offre ferme de prêt a été faite à l'acquéreur par un organisme de crédit ; que les vendeurs ne produisaient en l'espèce aucun document établissant l'existence d'une telle offre, mais uniquement une "attestation" de la BNP du 12 janvier 1995 et un courrier de la Banque populaire du Nord (BPN) indiquant seulement le caractère "envisageable" du financement sollicité ; qu'en déclarant néanmoins que la condition suspensive d'obtention d'un prêt au profit de l'acquéreur était acquise, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1181 du Code civil ;
2 ) qu'en toute hypothèse, le juge a le devoir d'interpréter un écrit ambigu ; qu'à supposer même que "l'attestation" de la BNP du 12 janvier 1995 eût pu être considérée comme une proposition ferme de crédit faite à l'acquéreur, la juridiction du second degré ne pouvait déclarer accomplie la condition suspensive d'obtention du prêt stipulée dans la promesse de vente litigieuse, sans rechercher si le courrier postérieur adressé par la même banque le 26 janvier suivant, et faisant explicitement part à l'acquéreur du refus de sa "demande de prêt", n'entachait pas d'ambiguïté le contenu de l'attestation du 12 janvier précédent, nécessitant ainsi de déterminer sa portée réelle, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
3 ) que l'arrêt ne pouvait écarter en bloc les quatre courriers de refus de prêt, adressés à Mme Y... par le Crédit lyonnais, le Crédit du Nord, la banque Scalbert-Dupont et la BNP de Lille les 6, 10, 23 et 26 janvier 1995 en mettant en doute que le dossier alors présenté ait été celui établi par la société Cabinet Lacroix dont faisaient état les deux autres courriers des 12 et 20 janvier 1995, sans prendre en compte qu'il résultait de la loi du compromis de vente que l'étude des dossiers de prêt était réservée exclusivement au cabinet Lacroix pour le compte de Mme Y..., seulement tenue de démarches parallèles auprès des banques ; et que l'arrêt qui ne s'en explique pas est donc encore vicié pour défaut de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
4 ) que l'arrêt a insuffisamment caractérisé la faute imputée au cabinet Lacroix qui, comme il l'avait précisé dans son fax du 26 janvier 1995, ne pouvait prendre le risque d'établir un acte de cession au vu du refus de quatre banques, même si les deux courriers retenus par l'arrêt faisaient état d'une opération envisageable, eu égard à ce qu'aucune offre ferme de prêt n'était faite avant l'expiration du délai de réalisation ; que l'arrêt a donc violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'il résulte de deux correspondances émanant de la BNP et de la Banque populaire du Nord que celles-ci avaient donné leur accord à la demande de financement, au vu du dossier, complet et détaillé, que leur avait présenté la société Cabinet Lacroix, et dans les termes prévus dans la promesse ; que les juges ajoutent que les lettres de refus non motivées, adressées par la suite directement à Mme Y... et visant un dossier présenté par elle, dont le contenu est inconnu, ne remettent pas en cause l'agrément obtenu par la société Cabinet Lacroix ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a fait qu'apprécier la portée des éléments de preuve produits de part et d'autre, a légalement justifié sa décision et a pu estimer que, la condition étant accomplie, la société Cabinet Lacroix avait commis une faute en restituant le dédit à Mme Y... ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs diverses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;
Condamne Mme Y... et la société Cabinet Lacroix aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme Y... à payer aux époux Z... la somme somme de 12 000 francs ou 1 829,39 euros ; condamne la société Cabinet Lacroix à payer aux époux Z... la somme de 6 000 francs ou 914,69 euros et rejette leur demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille un.