AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jean-Pierre X..., demeurant Mas Neuf, route d'Eyguières, 13200 Arles,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 avril 1997 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile - section B), au profit de la société d'expertise comptable Sofidelta, dont le siège est 27, rue du Président Wilson, 13200 Arles,
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 juillet 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Boinot, conseiller référendaire rapporteur, M. Leclercq, conseiller, M. Viricelle, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boinot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. X..., de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Sofidelta, les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 avril 1997), que M. X... a chargé la société Sofidelta, cabinet d'expertise comptable, d'établir sa comptabilité et de faire sa déclaration de revenus au titre des bénéfices agricoles ; qu'en 1988, la société Sofidelta a déposé tardivement la déclaration de revenus de M. X..., omettant au surplus d'y joindre l'attestation délivrée par le Centre de gestion agréé permettant de bénéficier d'un abattement ; que, la même année, M. X... a fait l'objet d'un contrôle fiscal qui a révélé que, pour les exercices 1985 et 1986, les amortissements linéaires avaient été mal calculés, leur montant étant soit excessif, soit insuffisant, et qui a également abouti à deux redressements au titre de la taxe à la valeur ajoutée ; que M. X... a alors assigné la société Sofidelta en indemnisation du préjudice résultant des fautes commises par son co-contractant dans l'exécution de sa mission ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de ne pas avoir condamné la société Sofidelta à lui payer la somme correspondant à la pénalité pour retard due par lui à l'administration fiscale en raison du dépôt tardif de la déclaration de revenus pour l'année 1987, alors, selon le moyen :
1 ) que, tenu de respecter l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties, le juge doit s'abstenir de mettre en doute une circonstance de fait admise par ces dernières ; que M. X... sollicitait en cause d'appel la condamnation de la société Sofidelta au paiement de la somme correspondant aux intérêts de retard et à la pénalité exigés par l'administration fiscale du fait du dépôt tardif de la déclaration de revenus 1987 ; que, dans ses écritures, la société Sofidelta a reconnu cette sanction fiscale, précisant même sa nature
-majoration de 10 %- ; qu'en reprochant à M. X... de ne pas justifier de cette pénalité et en déboutant celui-ci de sa demande de ce seul fait, le juge d'appel a mis en doute un fait reconnu par les deux parties, méconnu l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que, tenu de faire respecter en toute circonstance le principe du contradictoire, le juge doit solliciter les explications des parties sur les moyens de droit qu'il soulève d'office ; que le juge d'appel a mis en doute la réalité du paiement de la pénalité de retard due au titre de l'exercice 1987 quand bien même la société Sofidelta ne contestait pas l'effectivité d'un tel paiement ; qu'en soulevant d'office le moyen pris d'un défaut de paiement sans inviter M. X... à présenter ses observations, le juge d'appel a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, si la société Sofidelta a reconnu que l'année 1987 avait donné lieu à l'application d'une pénalité de retard, l'arrêt relève que M. X... ne justifiait pas du paiement de cette pénalité de retard ; que la cour d'appel, qui n'a pas de la sorte soulevé d'office un moyen de droit, a pu décider de ne lui allouer aucune somme de ce chef ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande d'indemnisation au titre des amortissements insuffisants établis par la société Sofidelta relativement aux lots de plastique et aux frigidaires pour les exercices 1985 et 1986, alors, selon le moyen :
1 ) que tout comptable doit respecter le principe élémentaire de l'amortissement minimal obligatoire en vertu duquel la somme des amortissements effectivement pratiqués par l'entreprise depuis la création ou l'acquisition d'une immobilisation donnée ne peut être inférieure à la clôture de chaque exercice au montant cumulé des amortissements calculés selon le mode linéaire et répartis sur sa durée normale d'utilisation (article 39 B du Code général des impôts) ; que, si le montant cumulé des amortissements ainsi constatés à la clôture d'un exercice est inférieur au montant minimal requis, la fraction manquante des amortissements est dite "irrégulièrement différée" et ne peut plus être déduite par l'entreprise ; que, pour les exercices 1985 et 1986 et en méconnaissance de ce principe, la société Sofidelta, ignorant le plan d'amortissement linéaire établi relativement aux lots de plastique et aux frigidaires et déjà mis en oeuvre les années précédentes, a appliqué des taux inférieurs à ceux prévus dans ce plan d'amortissement (20 % au lieu de 33,33 % pour les plastiques, 10 % au lieu de 20 % pour les frigidaires) sous-évaluant ainsi les annuités d'amortissement et faisant définitivement perdre à M. X... le droit de déduire une partie des amortissements normalement prévus ; que la cour d'appel a exonéré la société Sofidelta de toute responsabilité au motif que le choix du taux d'amortissement ne dépend d'aucune règle stricte dont la transgression pourrait ressortir d'une faute professionnelle ; qu'en exonérant l'expert comptable par ce seul motif, le juge d'appel a manifestement confondu l'opération de calcul d'une annuité d'amortissement soumise à la règle de l'amortissement minimal et seule concernée par la demande de M. X... au titre des amortissements insuffisants avec l'opération de détermination initiale du taux d'amortissement devant être appliqué à une immobilisation et concernée par la seule demande relative aux amortissements excessifs ne faisant au demeurant l'objet d'aucune discussion en cause d'appel, la société Sofidelta n'ayant développé aucun moyen relatif à cette question avant clôture de l'instruction ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a ignoré la méconnaissance flagrante du principe de l'amortissement minimal dont s'est rendue coupable la société Sofidelta et violé les articles 1147 du Code civil et 39 B du Code général des impôts ;
2 ) que le juge doit respecter l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties exprimées dans leurs conclusions et doit s'abstenir de dénaturer ces dernières ; que, s'agissant des amortissements insuffisants, M. X... arguait d'une méconnaissance par la société Sofidelta de la règle de l'amortissement minimal relative par définition à la seule opération de calcul des annuités d'amortissement et réclamait à ce titre une indemnisation d'un montant de 25 000 francs ; qu'il faisait ainsi état d'une erreur dans le calcul de certaines annuités et non dans le choix initial du taux d'amortissement ;
qu'estimant manifestement que la contestation portait sur la détermination initiale d'un taux non retenu par l'administration fiscale, le juge d'appel a confondu la demande relative aux amortissements excessifs (détermination d'un taux d'amortissement excessif), accueillie par le premier juge et non contestée par la société Sofidelta en cause d'appel et la demande relative aux amortissements insuffisants (évaluation insuffisante d'une annuité d'amortissement pour les plastiques et les frigos), seule objet du litige en cause d'appel et au titre de laquelle M. X... réclamait une indemnisation à hauteur de 25 000 francs ; que, ce faisant, le juge a méconnu l'objet du litige, statué extra petita, dénaturé les conclusions de M. X... et violé les articles 1134 du Code civil, 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu qu'en application de l'article 39-1-2 du Code général des impôts, le taux linéaire est fonction de la durée normale d'utilisation de l'équipement, elle-même déterminée d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation, la cour d'appel, statuant dans les limites du litige, a justement décidé qu'il n'existait aucune règle stricte de fixation de ces amortissements ;
Et attendu, en second lieu, que le moyen ne précise pas en quoi la cour d'appel aurait dénaturé les conclusions de M. X... ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande relative aux amortissements excessifs et tendant à la condamnation de la société Sofidelta au paiement des intérêts de retard dus au titre des exercices 1985 et 1986, alors, selon le moyen :
1 ) que seules les conclusions au fond étant susceptibles de saisir le juge des moyens et prétentions des parties, le juge d'appel n'est pas régulièrement saisi des prétentions formulées par l'appelant dans son acte d'appel si elles ne sont pas reprises dans ses conclusions ; qu'en l'absence de conclusions développant les moyens et prétentions des parties, la cour d'appel n'est saisie d'aucun moyen et ne peut que rejeter le recours ; que, dans ses écritures déposées le 2 août 1993, seules écritures déposées avant clôture de l'instruction, la société Sofidelta n'a développé aucun moyen relatif aux amortissements excessifs (choix d'un taux jugé excessif par l'Administration) ; que la société Sofidelta s'est bornée à discuter de la question des amortissements insuffisants (calcul des annuités d'amortissement en application du principe de l'amortissement minimal) ; que la cour d'appel ne se trouvait dès lors saisie d'aucun recours sur la question spécifique des amortissements excessifs et ne pouvait, en conséquence, que confirmer le jugement ayant alloué à ce titre à M. X... une indemnisation égale aux intérêts de retard résultant du redressement fiscal pour les exercices 1985 et 1986 (29 029 + 1 413) ; qu'en infirmant le jugement sur ce point, le juge d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine et violé les articles 4, 5 et 954, alinéas 1 et 3, du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que le juge ne peut répondre à des conclusions déposées après clôture de l'instruction et de ce fait irrecevables sans statuer ultra petita ; que la société Sofidelta n'a formulé un moyen relatif à la question des amortissements excessifs que dans ses écritures du 17 février 1997 jugées irrecevables par la cour d'appel ; qu'en infirmant néanmoins le jugement entrepris en ce que celui-ci avait fait droit à la demande de M. X... au titre des amortissements excessifs et lui avait alloué une somme égale aux intérêts de retard dus au titre des exercices 1985 et 1986, le juge d'appel a répondu à des conclusions irrecevables, statué ultra petita et violé les articles 4, 5 et 783 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en déboutant M. X... de sa demande en paiement d'une indemnité fondée sur le fait que les amortissements perdus ne seraient pas récupérables et qu'ils ne peuvent être compensés par des amortissements au titre des exercices suivants, la cour d'appel a statué sur la demande de M. X... au vu des éléments régulièrement produits aux débats ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir mis à sa charge une taxe à la valeur ajoutée afférente à un service facturé à une collectivité locale, alors, selon le moyen :
1 ) que seules les conclusions au fond étant susceptibles de saisir le juge des moyens des parties, le juge d'appel n'est pas régulièrement saisi des prétentions formulées par l'appelant dans son acte d'appel si elles ne sont pas reprises dans ses conclusions ; qu'en l'absence de conclusions développant les moyens et prétentions de l'appelant, la cour d'appel n'est saisie d'aucun moyen et ne peut que rejeter le recours ; que, dans ses écritures du 2 août 1993, seules écritures déposées avant l'ordonnance de clôture du 29 janvier 1997, la société Sofidelta, appelante, a consacré ses moyens aux questions spécifiques du dépôt tardif de la déclaration 1987, des amortissements irrégulièrement différés ainsi que des pénalités prononcées par l'administration fiscale ; qu'aucun moyen n'ayant été consacré à la question de la taxe à la valeur ajoutée, la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande de réformation du jugement sur cette question spécifique ; qu'en infirmant néanmoins le jugement entrepris en ce que celui-ci avait fait entièrement droit aux demandes de M. X... relativement à la taxe à la valeur ajoutée, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine et violé les articles 4, 5 et 954, alinéas 1 et 3, du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que le juge ne peut répondre à des conclusions déposées après la clôture de l'instruction et de ce fait irrecevables sans statuer ultra petita ; que la société Sofidelta n'a développé un moyen relatif à la taxe à la valeur ajoutée inhérente à la prestation de service fournie par M. X... auprès d'une collectivité locale que dans ses conclusions ampliatives déposées le 17 février 1997 soit après le prononcé de l'ordonnance de clôture (29 janvier 1997) et déclarées irrecevables par la cour d'appel ; que la société Sofidelta y exposait que M. X... ne l'avait pas sollicitée afin de le conseiller dans la rédaction de sa facture et qu'elle ne pouvait ainsi être tenue pour responsable ; que le juge d'appel a répondu à ce moyen et a lui-même relevé que n'étant intervenue qu'après la rédaction de la facture lors de l'établissement de la déclaration de revenus, la société Sofidelta ne pouvait être tenue pour responsable d'une facturation exempte de taxe à la valeur ajoutée ; qu'en tenant compte d'écritures postérieures à la clôture de l'instruction et déclarées à ce titre irrecevables, le juge d'appel a statué ultra petita et violé les articles 4, 5 et 783 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'en déboutant M. X... de sa demande en paiement d'une somme correspondant à une taxe à la valeur ajoutée non facturée à une collectivité locale, la cour d'appel a statué sur la demande de M. X... au vu des éléments régulièrement produits aux débats ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. X... à payer à la société Sofidelta la somme de 14 000 francs ou 2 134,29 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille un.