AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Mireille B..., épouse D..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 5 mai 1998 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile), au profit :
1 / de la commune d'Yvoire, représentée par son maire en exercice, domicilié en sa mairie 74140 Yvoire,
2 / du département de la Haute-Savoie, représenté par M. le président du conseil général, domicilié 1rue du 30e régiment d'infanterie, 74000 Annecy,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 décembre 2000, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Renard-Payen, conseiller rapporteur, MM. Ancel, Durieux, Mme Bénas, MM. Guerin, Sempère, Bargue, Gridel, conseillers, Mmes Barberot, Cassuto-Teyteaud, Catry, conseillers référendaires, Mme Petit, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Renard-Payen, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de Mme B..., épouse D..., de la SCP Nicolay et de Lanouvelle, avocat de la commune d'Yvoire et du département de la Haute-Savoie, les conclusions de Mme Petit, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme D... est propriétaire, sur le territoire de la commune d'Yvoire, en bordure du A... Léman, de deux parcelles cadastrées A 405 et A 406 ; qu'une partie de cette dernière a été cédée en 1928 par sa grand-mère Mme C..., à M. Z..., avec obligation pour l'acquéreur de réaliser certains travaux, notamment un enrochement en vue de la création d'un port ; que ce port devait, selon l'acte de cession, rester en indivision, M. Z... en assurant l'entretien ; que l'accord passé sous la condition d'obtention par l'acquéreur d'une permission d'occupation du domaine public, fut "notifié" le 21 avril 1933, après réalisation de cette condition en 1928, la permission étant renouvelée régulièrement, au bénéfice de M. Y..., acquéreur de la propriété de M. Z..., que, le 20 février 1989, le département de la Haute-Savoie a acquis le fonds par préemption et en a confié la gestion, le 22 août 1989, à la commune d'Yvoire, cette dernière convention stipulant que le terrain, incorporé au domaine public départemental, devait être entretenu en espaces verts ouverts au public ; que l'arrêté du 17 novembre 1989 renouvelant pour 10 ans l'autorisation d'occupation du domaine public, a été annulé le 19 juin 1992, et les installations portuaires démolies ; que Mme D... a alors fait assigner la commune et le département en paiement de 128 995,20 francs pour ce dernier et 737 296 francs in solidum entre les deux collectivités, la première somme étant réclamée au titre de son préjudice (travaux d'entretien du port non réalisés et privation de jouissance) antérieur au 8 avril 1992 et de celui postérieur à
cette date (perte de la digue, perte des produits retirés de la location des emplacements à bateaux, envasement et perte d'usage de son port personnel, préjudice moral et perte de valeur de sa propriété) ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses diverses branches, tel qu'il est énoncé au mémoire ampliatif et reproduit en annexe, qui est préalable :
Attendu que Mme D... fait grief à la cour d'appel d'avoir déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;
Mais attendu, d'une part, que le litige ne portant que sur le terrain siège de l'installation portuaire cédé à M. Z..., puis acquis par le département, et non sur le droit de propriété de la parcelle A 406, l'erreur de la cour d'appel, qui attribue à la collectivité précitée la propriété de la totalité de cette parcelle, alors qu'elle n'est propriétaire que d'une partie de celle-ci, relevée par la première branche du moyen, est sans incidence sur la solution du litige ;
Attendu, sur les deuxième et troisième branches, que la cour d'appel, sans dénaturer les actes de cession de 1928 et 1933, a, par une interprétation de la volonté des parties que l'ambiguïté de ces actes rendait nécessaire, jugé par une décision motivée que le terme d'"indivision" qu'ils comportaient résultait d'un abus de langage et qu'ils avaient, en réalité, créé une servitude conventionnelle au profit de Mme D... ;
Attendu, sur la quatrième branche, qu'en relevant que le litige devait être examiné en considération de ce que le département et la commune représentaient l'Administration, la cour d'appel a fait ressortir que l'inclusion de la parcelle dans la domaine public départemental, à la suite de son acquisition par cette collectivité, impliquait le droit de démolition des ouvrages édifiés sur le domaine public de l'Etat qui lui était contigu, dès lors que l'autorisation d'occupation de ce domaine était révoquée ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel, constatant que Mme D..., titulaire d'un simple droit d'usage sur les installations portuaires, ne pouvait se prévaloir d'une voie de fait, a, par là-même, répondu aux conclusions portant sur l'existence d'un tel agissement ;
D'où il suit que le moyen est inopérant en sa première branche et non fondé dans les autres ;
Sur le troisième moyen, qui est également préalable :
Attendu que Mme D... reproche encore à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, que si elle concluait, par ailleurs, à l'existence d'une voie de fait pour inviter le juge judiciaire à connaître de la partie du litige née de la destruction, par la commune d'Yvoire, des installations portuaires dont elle bénéficiait, Mme D... demandait également à être indemnisée du préjudice tenant au défaut d'entretien de ces installations et à la perte de jouissance de celles-ci en exposant que lorsqu'il avait acquis, par acte des 20 et 24 février 1989, le fonds attenant au sien, le département de la Haute-Savoie s'était corrélativement obligé, envers elle, en sa qualité d'ayant cause à titre particulier de M. X... Rovira, lequel tenait ses droits de M. Z..., à entretenir, nettoyer et curer le port, ainsi qu'à respecter les installations portuaires ; qu'à cet égard, le litige qui était soumis aux juges du fond avait trait aux conséquences de l'inexécution, par le département, d'un contrat de droit privé, et devait donc, comme tel, être tranché par le juge judiciaire ; qu'en se déclarant incompétente pour en connaître, la cour d'appel a violé la loi des 16, 24 août 1790 ;
Mais attendu que le contrat de droit privé invoqué par le moyen ne pouvant concerner que la parcelle vendue et non celle portant emprise sur le domaine public où étaient situées les installations portuaires, la cour d'appel, qui a relevé que les premiers juges avaient jugé à tort que le litige devait être examiné à travers les seuls rapports de droit privé, s'est reconnue à bon droit incompétente pour en connaître ;
Et sur le premier moyen :
Attendu que le rejet des autres moyens rend ce moyen inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme B..., épouse D... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la commune d'Yvoire et du département de la Haute-Savoie ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille un.