AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur les pourvois n° N 98-18.159 et n° M 98-20.872 formés par l'Association pour l'information municipale, AIM, dont le siège est à la direction générale de la formation et de la communication de la mairie de Paris, ..., représentée par son liquidateur amiable M. Philippe Y..., qui reprend l'instance,
II - Sur le pourvoi n° E 98-15.300 formé par la société Union de banques à Paris, société anonyme, dont le siège est ...,
III - Sur le pourvoi n° B 98-17.436 formé par la société DEP, société anonyme, dont le siège est 124, tue Louis Z..., 92230 Genevilliers, en cassation du même arrêt rendu le 29 avril 1998 par la cour d'appel de Paris (4e chambre, section A) entre elles et au profit :
1 / de la société Kenzo, société anonyme, dont le siège est ...,
2 / de la société Kenzo parfums, société anonyme, anciennement dénommée Tamaris, société anonyme, dont le siège est ...,
3 / de la société Witness stock, société à responsabilité limitée, dont le siège était ..., en liquidation judiciaire, représentée par M. X..., mandataire liquidateur, demeurant ...,
défenderesses à la cassation ;
Pourvois n° N 98-18.159 et n° M 98-20.872 :
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, les sept moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Pourvoi n° E 98-15.300 :
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Pourvoi n° B 98-17.436 :
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 19 décembre 2000, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, Mme Petit, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de Me Copper-Royer, avocat de la société Union de banques à Paris, de la SCP Tiffreau, avocat de M. Philippe Y..., ès qualités de liquidateur de l'AIM, de la SCP Thomas-Raquin et Benabent, avocat de la société DEP, de Me Capron, avocat de la société Kenzo, les conclusions de Mme Petit, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Joint les pourvois n° M 98-20.872, N 98-18.159, E 98-15.500 et B 98-17.436 en raison de leur connexité ;
Donne acte à M. Y... de sa reprise d'instance en qualité de liquidateur amiable de l'Association pour l'information municipale ;
Attendu que selon les juges du fond M. Kenzo A... a réalisé en 1994, à l'initiative de la société Kenzo et avec l'autorisation de la mairie de Paris, une décoration florale du Pont-Neuf à Paris, qui a été photographiée par le service photographique de la mairie de Paris ; que, la même année, la société Union de banques à Paris (UBP) a commandé à la société DEP la réalisation d'un matériel publicitaire destiné au lancement d'un produit financier ; que la société DEP a acquis à cette fin les droits d'utilisation d'une photographie du Pont-Neuf fleuri auprès de la société Witness stock, mandataire de l'Association pour l'information municipale (AIM), dont l'objet est "de faire connaître au public les activités et réalisations de la municipalité de Paris" ; que la société Kenzo, agissant en tant que propriétaire de la réalisation du fleurissement du Pont-Neuf, a agi en contrefaçon contre l'UBP ; que l'arrêt attaqué (Paris, 29 avril 1998) a jugé que la société Kenzo était titulaire des droits d'auteur sur l'oeuvre de l'esprit que constituait la décoration florale du Pont-Neuf et a retenu la contrefaçon de la part de l'UBP, condamnée à payer à la société Kenzo trois millions de francs de dommages-intérêts, mais avec la garantie de l'AIM, de la société Witness stock et de la société DEP, la société Witness stock étant elle-même garantie à concurrence de 50 % par l'AIM, et la société DEP jugée intégralement fondée en son recours en garantie contre la société Witness stock et l'AIM ;
Sur le premier moyen des pourvois de l'AIM et de la société DEP :
Attendu que, contrairement à l'affirmation des pourvois, il ne résulte pas des mentions de l'arrêt attaqué que le greffier ait assisté au délibéré des magistrats ;
Que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le deuxième moyen des pourvois de l'AIM, le premier moyen du pourvoi de l'UBP et le cinquième moyen du pourvoi de la société DEP, réunis :
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir jugé que la décoration florale du Pont-Neuf constituait une oeuvre de l'esprit, sans expliquer en quoi cette réalisation aurait été l'expression de la personnalité de M. Kenzo A..., qui l'a réalisée ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que cette décoration avait été conçue par M. Kenzo A... sous la forme d'un habillage complet du monument, par l'assemblage et la combinaison de 32 000 pots de bégonias de couleur variant du blanc au rouge vif, assortis de 40 000 mètres de lierre répartis sur les parapets et piliers ;
que ce travail recélait une activité créatrice originale par le choix de la nature, des teintes et de la disposition des végétaux utilisés ; que les juges du second degré ont exactement déduit de ces constatations que le fleurissement du monument constituait une oeuvre de l'esprit au sens de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Que les critiques des pourvois ne sont donc pas fondées sur ce point ;
Sur le troisième moyen des pourvois de l'AIM, le second moyen du pourvoi de l'UBP et le sixième moyen du pourvoi de la société DEP, réunis et pris en leurs deux branches, portant sur les éléments d'appréciation du préjudice :
Attendu que les pourvois se heurtent, sur ce point, au pouvoir souverain reconnu aux juges du fond pour l'appréciation du préjudice résultant de la contrefaçon ;
Qu'ils doivent donc être rejetés ;
Sur le quatrième moyen des pourvois de l'AIM, pris en ses deux branches :
Attendu que l'AIM fait encore grief à la cour d'appel de l'avoir condamnée à garantir la société DEP, elle-même tenue de garantir l'UBP, sans répondre à ses conclusions et en imputant à la société DEP, faussement qualifiée d'agence de publicité, un manquement à une obligation de vérifier l'autorisation des auteurs de la photographie litigieuse ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que la société DEP s'intitulait "Atelier de communication" et avait acquis de la société Witness stock les droits d'utilisation du cliché représentant le Pont-Neuf décoré dans des conditions faisant apparaître sa fonction de conseil en publicité ; que, répondant aux conclusions, les juges du second degré ont exactement déduit de ces constatations qu'il appartenait à la société DEP, en tant que professionnel de la publicité, de s'enquérir de la régularité de la cession des droits sur la photographie litigieuse ;
Que ce moyen n'est pas davantage fondé ;
Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi de la société DEP, réunis et pris en leurs diverses branches, tels qu'ils sont énoncés dans le mémoire en demande, et reproduits en annexe :
Attendu que la cour d'appel a retenu, d'une part la faute de la société DEP en tant qu'agence de publicité, à l'égard de l'UBP, et d'autre part, celle de la société Witness stock à l'égard de la société DEP, déclarée intégralement fondée en son recours en garantie ; que dès lors les critiques du pourvoi de la société DEP sont inopérantes ;
Sur le cinquième moyen des pourvois de l'AIM :
Attendu que l'AIM critique aussi l'arrêt attaqué pour l'avoir condamnée à garantir l'UBP, au prix d'une dénaturation des termes du litige, l'UBP n'ayant pas demandé cette garantie ;
Mais attendu que les juges d'appel ont relevé que l'UBP avait, dans ses conclusions, soutenu que l'AIM était, par son fait, à l'origine du dommage, qu'elle lui devait la garantie d'une jouissance paisible des droits acquis et en déduisait qu'elle devait être condamnée à lui payer toutes les sommes mises à sa charge ; d'où il suit que la cour d'appel a statué sur la demande dont elle était saisie, sans méconnaître l'objet du litige ;
Que ce moyen doit également être écarté ;
Sur le sixième moyen des pourvois de l'AIM, pris en ses sept branches :
Attendu que pour critiquer sa condamnation à garantir intégralement l'UBP et la société DEP, l'AIM invoque encore le moyen suivant : 1) la cour d'appel aurait dû rechercher si Witness stock pouvait engager l'AIM en cédant un cliché que l'AIM ne lui avait pas remis et dont elle n'était pas propriétaire, 2) et 6) contradiction de motifs et défaut de réponse aux conclusions faisant valoir que la cession du cliché par la société Witness stock à la société DEP avait eu lieu à l'insu de l'AIM, 3) la cour d'appel, qui a retenu une obligation de délivrance à la charge de l'AIM, aurait dû relever l'existence d'une cession du cliché de l'AIM à Witness stock, 4) et 5), la cour d'appel n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles il appartenait à la société Witness stock d'exiger de l'AIM la preuve qu'elle disposait des droits sur la photographie, 7) la cour d'appel a omis de préciser si la condamnation de l'AIM à garantir l'UBP avec les sociétés SEP et Witness stock était conjointe, solidaire ou in solidum, et n'a pas constaté que l'AIM aurait contribué à l'entier dommage ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que le contrat de mandat liant l'AIM à la société Witness stock donnait à cette société tous pouvoirs pour négocier les droits de reproduction des photographies dont l'AIM était propriétaire et dont elle assurait détenir les droits des personnes physiques représentées ; que dès lors les juges du second degré ont pu décider que, s'agissant des droits de l'auteur de l'oeuvre représentée et non de personnes physiques, la garantie de l'AIM, due pour la délivrance d'une photographie libre de droits devait être limitée à la moitié, l'agence de photographie ayant l'obligation d'exiger de l'AIM la preuve de l'autorisation de l'auteur de l'oeuvre reproduite ; que, répondant aux conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a, sur ce point encore, légalement justifié sa décision, sans avoir à préciser la nature de la condamnation de l'AIM, du fait des condamnations successives prononcées sur le fondement des recours en garantie ;
Et sur le septième moyen des pourvois de l'AIM, pris en ses deux branches :
Attendu que l'AIM dirige enfin ses pourvois contre sa condamnation à garantir intégralement l'UBP et la société DEP, alors que n'aurait pas été précisé le lien de causalité direct entre les fautes retenues et les préjudices, et alors que la faute retenue à la charge de la société DEP aurait dû exclure une garantie intégrale ;
Mais attendu que la cour d'appel a caractérisé la faute mise à la charge de l'AIM, pour n'avoir pas vérifié les droits dont elle pouvait disposer sur la reproduction de l'oeuvre, et le préjudice qui en était résulté directement pour l'UBP et la société DEP, la faute retenue à l'encontre de cette dernière n'excluant pas la garantie de l'AIM ;
Que ce moyen doit également être rejeté ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. Y..., ès qualités, la société DEP et la société Union de banques à Paris aux dépens afférents à leur pourvoi respectif ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés DEP, UBP, Kenzo et de M. Y..., ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille un.