AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Foncia l'immobilière, société anonyme dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 22 janvier 1998 par la cour d'appel de Grenoble (Chambre commerciale), au profit de la société Central Immobilière cabinet, société anonyme dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 mai 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Champalaune, conseiller référendaire rapporteur, M. Poullain, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché et Laugier, avocat de la société Foncia l'immobilière, de la SCP Baraduc et Duhamel, avocat de la société Central Immobilière cabinet, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier et le second moyens, pris en leurs diverses branches et réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 22 janvier 1998), que, locataire de locaux commerciaux situés sur deux étages à Vienne, la société Foncia l'immobilière (société Foncia) a, le 24 janvier 1994, cédé sa branche d'activités "transactions immobilières" à la société Immobilière cabinet central (société ICC), que, le même jour, les parties ont conclu une convention de collaboration en vertu de laquelle la société Foncia mettait les locaux du rez-de-chaussée à la disposition de la société ICC ;
que la société ICC a acquis les locaux du rez-de-chaussée ; que la société Foncia a acquis, le 21 décembre 1994, ceux du premier étage ;
qu'un litige est survenu entre ces sociétés concernant le droit d'apposer des affiches sur les parties extérieures des panneaux vitrés de l'immeuble et sur la jouissance des enseignes en façade ; que, par ordonnance de référé du 22 juin 1994, il a été ordonné à la société Foncia de retirer des affiches et des panneaux à son nom qu'elle avait fait coller sur des enseignes lumineuses ; qu'en appel, une ordonnance du 22 septembre 1994 a confirmé cette décision, sauf pour deux emplacements ; que la société Foncia a alors assigné au fond pour voir dire et juger qu'elle aurait la jouissance exclusive de panneaux situés au-dessus du plancher du premier étage et en dommages-intérêts ;
Attendu que la société Foncia fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le pourvoi, premièrement, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et ne peut être modifié par le juge ; que celui-ci portait sur le droit de la société Foncia de jouir, au niveau même de ses parties privatives, de la partie extérieure de la façade de l'immeuble dont elle était copropriétaire au même titre que la société ICC afin d'y apposer ses propres enseignes et non sur une éventuelle atteinte aux enseignes de la société ICC en relation avec la cession partielle de fonds intervenue précédemment entre les mêmes parties ; qu'en se faisant juge des droits acquis par la société ICC lors de cette cession au titre aussi bien de la chose cédée que de la garantie due par le vendeur, la cour d'appel a modifié les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, deuxièmement, que la cession d'un fonds de commerce, en ce qu'elle porte sur le nom commercial et l'enseigne, a trait aux éléments incorporels de ce fonds ;
qu'en étendant les éléments du fonds cédés le 24 janvier 1994 aux bandeaux et panneaux lumineux ainsi qu'à leurs emplacements, bien que ledit acte ne comportât aucune mention de ces éléments corporels et exprimât l'exclusion formelle de la cession du droit au bail afférent à ce lieu d'exploitation, l'arrêt attaqué a violé l'article 1134 du Code civil ;
alors, troisièmement, que le matériel affecté à la signalisation d'un nom commercial ne constitue pas le complément nécessaire à l'utilisation du droit incorporel, objet de la cession ; qu'en posant le principe que la cession de l'enseigne avait emporté, à titre accessoire, celle du matériel affecté à sa signalisation, l'arrêt attaqué a violé l'article 1615 du Code civil ; alors, quatrièmement, que l'absence de modification de la signalétique existante postérieurement à la cession du fonds n'implique pas nécessairement la renonciation définitive du vendeur de ce fonds à voir modifier ultérieurement le positionnement de ce matériel ; qu'en déduisant de ce comportement immédiatement postérieur à la vente, et exclusif de tout acte positif du vendeur, l'interprétation des parties comportant la renonciation définitive de celui-ci à toute modification de la signalétique, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1165 du Code civil ; alors, cinquièmement, que l'obligation de garantie mise à la charge de la société Foncia ne peut être maintenue du fait de la cassation à intervenir au titre des deuxième, troisième et quatrième branches, l'annulation devant intervenir du chef de la garantie par voie de conséquence et en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile ; alors, sixièmement, que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; que le litige était défini comme portant sur les droits de jouissance respectifs de deux professionnels de l'immobilier en vue d'apposer sur la façade de l'immeuble leurs panneaux ; que l'arrêt attaqué, qui n'a pas recherché les conditions dans lesquelles devaient être exercés les droits concurrents des parties sur cette partie commune de l'immeuble, a violé l'article 12, alinéas 1 et 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant justement relevé que l'objet du litige était le droit de jouissance exclusif revendiqué par la société Foncia en sa qualité de copropriétaire sur la façade de l'immeuble au niveau du premier étage dont elle a acquis le lot, la cour d'appel, qui énonce, à bon droit, qu'un copropriétaire ne dispose pas d'un tel droit sur une façade commune, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision et a pu, abstraction faite de tous autres motifs, qui, fussent-ils erronés, sont surabondants, statuer comme elle a fait sans encourir les griefs du pourvoi ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Foncia l'immobilière aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Central Immobilière cabinet ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille.