AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par l'Union coopérative agricole Champagne Céréales, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 18 décembre 1996 par la cour d'appel de Reims (Chambre civile, 1re Section), au profit de M. Jean X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 30 mai 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Leclercq, conseiller rapporteur, MM. Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Collomp, conseillers, M. Huglo, Mme Mouillard, M. Boinot, Mmes Champalaune, Gueguen, M. Delmotte, conseillers référendaires, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Leclercq, conseiller, les observations de Me Blondel, avocat de l'Union coopérative agricole Champagne Céréales, de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat de M. X..., les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 18 décembre 1996), que M. Y... a exécuté diverses prestations pour la société Champagne Céréales pour le prix, hors taxes, de 599 000 francs ; que pour le montant de cette créance, il a souscrit au profit du Crédit du Nord une cession de créance, selon les modalités de la loi du 2 janvier 1981, laquelle a été notifiée à la coopérative ; qu'après la notification de la cession, M. Y... a, pour la même créance, obtenu de la coopérative l'acceptation d'une lettre de change d'un montant de 390 727,70 francs et l'a endossée à l'ordre de M. X..., qui lui avait consenti un crédit d'un montant de 350.000 francs pour une durée de 10 jours, moyennant une rémunération de 2 000 francs ; que la coopérative a refusé de payer le montant de la lettre de change, invoquant la mauvaise foi de M. X... et l'illicéité de l'escompte consenti par lui, en raison du caractère usuraire de sa rémunération et de l'exercice habituel par lui de la profession de banquier ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la coopérative fait grief à l'arrêt du rejet de sa prétention relative à l'usure, alors, selon le pourvoi, que seules les conventions légalement formées font la loi des parties, si bien qu'un tiers actionné en payement sur le fondement d'un précédent contrat auquel il n'a pas été partie trouve néanmoins dans l'article 1134 du Code civil qualité pour opposer la nullité de ce contrat sans que s'applique le principe de la relativité des conventions ; qu'en l'espèce, le tiré de la lettre de change, Champagne Céréales, pouvait ainsi opposer au porteur endossataire, M. X..., la nullité du contrat de prêt du 5 septembre 1986 conclu entre lui et le tireur de la lettre, M. Y..., comme contraire à l'article 10 de la loi bancaire du 24 janvier 1984 ; qu'en effet, si l'endossement de la traite litigieuse ne reposait que sur une convention nulle comme étant illicite, celle-ci ne pouvait sortir le moindre effet tant entre les parties qu'à l'égard des tiers et l'endossement de la lettre ne pouvait fonder l'action en payement du porteur ; qu'en déclarant néanmoins irrecevable l'action de Champagne Céréales au seul motif qu'elle était tiers au contrat de prêt du 5 septembre 1986, l'arrêt viole les articles 1134 et 1165 du Code civil, ensemble l'article 32 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que fondant sa décision sur le caractère cambiaire de l'engagement souscrit par la coopérative par l'acceptation de l'effet, la cour d'appel n'avait pas à se prononcer sur la validité du contrat ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la coopérative fait grief à l'arrêt du rejet de sa prétention relative à la mauvaise foi de l'endossataire de l'effet, alors, selon le pourvoi, que la fraude corrompt tout ; qu'en refusant dès lors d'examiner le litige sous l'angle de la fraude au motif central "qu'il est inopérant de reprocher à l'appelant, comme le fait l'intimée, d'être un usurier, d'effectuer des opérations de banque à titre habituel, contrairement à l'interdiction énoncée à l'article 10 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, et d'avoir été complice du délit de banqueroute dont Milan Y... se serait rendu coupable ", la cour d'appel a méconnu son office au regard de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile violé et de l'article 121 du Code de commerce, ensemble du principe fraus omnia corrumpit ;
Mais attendu que l'application de l'article 121 du Code de commerce est subordonnée à la preuve de ce que l'endossataire savait, lorsqu'il a escompté la lettre de change, que sa provision ne serait pas constituée à son échéance ou que la situation du tireur était irrémédiablement compromise à cette époque ; qu'eu égard aux éléments de fait soumis à son examen à cet égard, la cour d'appel a pu exclure que M. X... ait eu conscience, au moment de l'escompte, d'empêcher la coopérative de se prévaloir de l'exception de défaut de provision, et ce indépendamment de la fraude invoquée qui était sans incidence sur la situation de la coopérative ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Union coopérative agricole Champagne Céréales aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille.