AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit juin deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général FROMONT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- A... Christine,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 25 janvier 2000, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de proxénétisme aggravé, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 5 mai 2000, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 706-34, 706-35 du Code de procédure pénale, 17, 18 et 151 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, défaut de motifs, excès de pouvoir ;
" en ce que la chambre d'accusation a refusé d'annuler le procès-verbal de transport et de constatation du 17 mai 1999, ainsi que l'ensemble de la procédure subséquente ;
" aux motifs que l'intervention de la brigade des stupéfiants s'est faite en exécution d'une commission rogatoire préalable ; que le service mandaté avait la faculté de s'adjoindre, en raison de la nature de l'établissement intéressé, des fonctionnaires de la brigade compétente en matière de cabarets et de proxénétisme ; que les constatations faites quant à l'état des personnes contrôlées en sous-sol, des dispositions sexuelles qu'il suggère, des déclarations recueillies, des modes d'intéressement et de rétribution des hôtesses, constituent des indices sérieux du délit incriminé ; que c'est à bon droit que ces éléments ont donné lieu à ouverture d'une procédure incidente ;
" alors, d'une part, qu'il résulte de la commission rogatoire en vertu de laquelle la brigade des stupéfiants est intervenue dans l'établissement litigieux, que les pouvoirs d'investigation avaient été délivrés par le juge d'instruction exclusivement à la brigade des stupéfiants de Paris ; que ceux-ci étaient donc tenus d'exécuter eux-mêmes, sans pouvoir s'adjoindre des officiers de police judiciaire relevant d'un autre service, le mandat strict qui leur avait été délivré ; qu'en s'adjoignant des officiers de police judiciaire de la brigade du proxénétisme, les officiers de police judiciaire de la brigade des stupéfiants ont excédé leurs pouvoirs, ce qui entache de nullité leur procès-verbal de transport et de constatations ;
" alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article 706-35 du Code de procédure pénale, les visites, perquisitions et saisies visées par ce texte, si elles peuvent être opérées à toute heure du jour et de la nuit dans les établissements qui y sont énumérés, sont subordonnées à la condition de la constatation de ce que des personnes se livrant à la prostitution seraient reçues habituellement dans ces établissements ; qu'en l'absence de toute constatation de ce type, ne figurant ni dans les pièces de la procédure, ni dans l'arrêt attaqué, les officiers de police judiciaire de la brigade de répression du proxénétisme n'avaient aucun pouvoir pour pénétrer de nuit dans l'établissement concerné ; qu'ils ont ainsi excédé leurs pouvoirs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 17 mai 1999, à 23 heures 40, des officiers de police judiciaire de la brigade des stupéfiants, agissant sur commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction dans une information ouverte du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, se sont transportés, assistés de fonctionnaires de la brigade de répression du proxénétisme, dans le bar tenu par Christine A..., et ont constaté la présence d'hôtesses et de clients dénudés dans des postures évoquant la consommation d'actes sexuels ; qu'une procédure incidente de flagrant délit de proxénétisme aggravé a alors été mise en oeuvre ;
Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité présenté par Christine A... et pris de l'irrégularité de l'intervention des fonctionnaires de la brigade de répression du proxénétisme, la chambre d'accusation se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que la présence, aux côtés d'enquêteurs agissant dans le cadre d'une commission rogatoire, d'officiers de police judiciaire dépendant du service de répression du proxénétisme, habilités à pénétrer dans l'établissement concerné en raison de sa nature et à y constater des infractions, ne saurait affecter la régularité des actes de la procédure incidente relative au flagrant délit de proxénétisme aggravé, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 63, 63-1 et suivants du Code de procédure pénale, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que la chambre d'accusation a refusé d'annuler les pièces relatives à la garde à vue de Christine A..., ainsi que la procédure subséquente ;
" aux motifs que " le temps écoulé entre la notification verbale de la garde à vue de Christine A... et celle écrite de ses droits soit 1 heure et demie, se trouve justifié par les nécessités du transport et de la mise en place des dispositions de transcription sur procès-verbal des mentions y afférentes " ; qu'ainsi, il n'apparaît pas d'atteinte à l'immédiateté prescrite ;
" alors qu'aux termes de l'article 63-1 du Code de procédure pénale, l'officier de police judiciaire a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue ;
que tout retard dans la mise en oeuvre de cette obligation non justifié par une circonstance insurmontable porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué que Christine A..., placée en garde à vue le 17 mai 1999 à 23 heures 40, n'a reçu notification de ses droits que par un procès-verbal dressé le 18 mai à 1 heure 10 ; qu'en l'absence de toute circonstance caractérisant l'impossibilité, pour l'officier de police judiciaire, de notifier immédiatement chacun de ses droits à la personne gardée à vue, l'entière procédure de garde à vue était entachée de nullité, ce que devait constater la chambre d'accusation " ;
Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité présenté par Christine A... et pris de l'irrégularité de la notification de ses droits durant sa garde à vue, la chambre d'accusation retient que le retard entre la notification verbale du placement en garde à vue et celle, écrite, des droits attachés à cette mesure se trouve justifié, notamment, par les nécessités du transport ;
Attendu que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, les procès-verbaux rédigés par les officiers de police judiciaire établissent que Christine A... a reçu notification verbale de ses droits dès son placement en garde à vue lors de son interpellation ; qu'il en résulte, qu'abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, et dès lors que la notification des droits a été régulière, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 63, 63-1, 77, 78 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, violation des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler les auditions de Mme Lucia X..., de nationalité espagnole et ne comprenant pas le français, ainsi que toute la procédure subséquente ;
" aux motifs qu'il est constant qu'un enquêteur peut, s'il connaît la langue, procéder à l'audition sans avoir recours à un interprète ; que c'est ainsi qu'il a procédé à l'égard de l'intéressée ;
" alors, d'une part, que la mise en examen faisait valoir que Mme X..., entendue dans le cadre d'une garde à vue, s'était vue notifier ses droits exclusivement en langue française, langue dont il est acquis qu'elle ne la comprend pas ; qu'ainsi, la notification des droits étant irrégulière, les auditions de Mme X... en garde à vue devaient être elles-mêmes annulées ; que l'arrêt attaqué n'a pas répondu à ce moyen péremptoire et se trouve privé de toute base légale ;
" alors, d'autre part, que la mise en examen faisait également valoir que l'un des procès-verbaux d'audition de Mme X... faisait expressément mention de ce que l'officier de police judiciaire, avant de lui faire signer ce procès-verbal, lui en avait donné lecture " en langue française ", langue dont il est acquis que Mme X... ne la comprenait pas ; qu'en validant, néanmoins, ce procès-verbal, dont il est ainsi acquis qu'il a été signé par l'intéressée sans que celle-ci puisse en comprendre la teneur, la chambre d'accusation a encore violé les textes précités " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 63, 77, 78 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler la garde à vue, et les procès-verbaux d'audition des différentes personnes entendues entre le 17 mai et le 19 mai 1999, par les officiers de police judiciaire, (Mme X..., B..., C..., M. Y..., D...) ainsi que toute la procédure subséquente ;
" aux motifs qu'il apparaît à l'examen des constatations faites par les enquêteurs que ces personnes concouraient à la réalisation des faits dont ils avaient connaissance ; qu'il s'agit d'indices laissant présumer la commission d'une infraction au sens des articles 77 et 78 du Code de la procédure pénale ;
" alors, d'une part, que ces motifs ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle ; qu'en effet, la chambre d'accusation ne se prononce pas sur le point de savoir si les personnes placées en garde à vue et entendues rentraient dans le cadre des dispositions de l'article 77 du Code de procédure pénale (personne à l'encontre de laquelle existent des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction) ou dans le cadre de l'article 78 du même Code (personnes à l'encontre desquelles n'existent pas d'indices faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction) ; que l'arrêt attaqué doit donc être annulé pour manque de base légale ;
" alors, d'autre part, que la mise en examen faisait valoir que, à supposer que les personnes susnommées aient été retenues aux fins d'audition par les officiers de police judiciaire, elles ne pouvaient l'être que " le temps strictement nécessaire à cette audition " aux termes de l'article 78, alinéa 2, du Code de procédure pénale ; qu'elle faisait valoir que tel n'avait pas été le cas, les procès-verbaux étant imprécis et rendant impossible la détermination du temps pendant lequel elles avaient été entendues ;
qu'en s'abstenant de répondre à cette articulation essentielle du mémoire, la chambre d'accusation a encore privé sa décision de base légale ;
" alors, enfin, que la mise en examen faisait également valoir que s'agissant d'une procédure incidente ouverte du chef de proxénétisme aggravé, ni les clients de l'établissement, ni les personnes ayant des relations sexuelles avec eux ne pouvaient être considérés comme coupables de l'infraction de proxénétisme aggravé ni d'une autre infraction ; que la garde à vue dans le cadre de l'article 77 du Code de procédure pénale ne peut être poursuivie qu'à l'encontre des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ; que la simple constatation que les personnes en question concouraient à la réalisation " des faits ", sans qu'il soit constaté que ces faits soient pour elles constitutifs d'une infraction, est impuissante à justifier qu'elles aient été gardées en garde à vue dans les conditions de l'article 77 du Code de procédure pénale et pas dans les conditions de l'article 78 du même Code ; qu'ainsi, la chambre d'accusation a violé lesdits textes " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour rejeter les moyens de nullité présentés par Christine A... et pris de l'irrégularité de la garde à vue concernant diverses autres personnes, la chambre d'accusation se prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu que Christine A... étant sans qualité pour invoquer la nullité d'actes qui lui sont étrangers et ne lui font pas grief, la chambre d'accusation a justifié sa décision ;
Que, dès lors, les moyens sont irrecevables ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Caron conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;
Avocat général : Mme Fromont ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;