AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° K 97-30.274 formé par la société Grands Magasins A (GMA), société anonyme dont le siège est 3, rue Percier, 75008 Paris, représentée par son président-directeur général, M. Philippe Bouriez,
II - Sur le pourvoi n° M 97-30.275 formé par la Banque Révillon, société anonyme dont le siège est 3, rue Percier, 75008 Paris,
III - Sur le pourvoi n° N 97-30.276 formé par la société Grands Magasins B (GMB), société anonyme dont le siège est 3, rue Percier, représentée par son président-directeur général, M. Philippe Bouriez,
IV - Sur le pourvoi n° P 97-30.277 formé par :
1 / M. Philippe Bouriez,
2 / Mme Philippe Bouriez,
demeurant ensemble 16, avenue Emile Deschanel, 75007 Paris,
en cassation d'une ordonnance rendue le 24 juin 1997 par le président du tribunal de grande instance de Paris, au profit du directeur général des Impôts, domicilié 139, rue de Bercy, 75012 Paris,
défendeur à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, les sept moyens de cassation identiques annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 18 avril 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Boinot, conseiller référendaire rapporteur, MM. Leclercq, Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Collomp, conseillers, M. Huglo, Mmes Mouillard, Champalaune, Gueguen, M. Delmotte, conseillers référendaires, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boinot, conseiller référendaire, les observations de Me Roger, avocat de la société Grands Magasins A, de la Banque Révillon, de la société des Grands Magasins B et de M. et Mme Bouriez, de Me Foussard, avocat du directeur général des Impôts, les conclusions de M. Jobard, avocat général, à la suite desquelles le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 97-30.274, M 97-30.275, N 97-30.276 et P 97-30.277 qui attaquent la même ordonnance ;
Attendu que, par ordonnance du 24 juin 1997, le président du tribunal de grande instance de Paris a, en vertu de l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l'administration des Impôts à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux privés ou professionnels de la société des Grands Magasins A, de la société des Grands Magasins B, de la Banque Révillon et de M. et Mme Bouriez en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale de la société des Grands Magasins A et de la société des Grands Magasins B au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe à la valeur ajoutée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des Grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses, alors, selon le pourvoi, que le juge civil, gardien des libertés individuelles, est tenu de vérifier concrètement en fait et en droit le bien-fondé de la demande d'autorisation ; que la Cour de Cassation doit être mise en demeure de s'assurer qu'il a examiné l'existence des présomptions alléguées ; qu'il résulte de l'ordonnance attaquée que l'administration fiscale a présenté sa requête le 27 juin 1997 ; qu'ayant rendu sa décision sur-le-champ le même jour, le juge ne peut être, dès lors, réputé, compte tenu de la complexité des faits exposés, du volume des pièces qui lui étaient présentées, soit plusieurs centaines de pages, avoir vérifié ces pièces ainsi que la matérialité des allégations de l'Administration et a, dès lors, renoncé au pouvoir qu'il tient de l'article 66 de la Constitution qu'il a violé par fausse application ;
Mais attendu que l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales ne prévoit aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision d'autorisation ; que la circonstance que la décision soit rendue le même jour que celui de la présentation de la requête est sans incidence sur la régularité de la décision attaquée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, réunis :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'administration fiscale ne peut, en violation des strictes règles de procédure, dont le respect absolu s'impose à elle, faire effectuer un contrôle fiscal par les agents des Douanes, faute d'autorisation du juge compétent et d'un officier de police judiciaire désigné par celui-ci ; qu'en opérant leurs investigations, fouilles, saisies et interrogatoires dans ces conditions, et en l'absence de tout indice apparent d'un comportement délictueux, sur des documents de nature fiscale, sans aucun rapport avec la découverte de deux armes seule susceptible de poursuites pour infraction à la législation douanière, les agents des Douanes ont outrepassé leur compétence en violation de l'article 323-2 du Code des douanes et commis un détournement de procédure ; que l'administration fiscale, qui n'a pas démontré qu'elle avait eu, en dehors de ces documents recueillis par l'administration douanière de manière manifestement illicite, la preuve d'une quelconque présomption grave, précise et concordante, que les contribuables visés par sa requête auraient commis des infractions à la législation fiscale, a, sous le couvert du droit de communication, accompli un détournement de procédure, en violation des articles 60, 64, 323-2 du Code des douanes, 53 du Code de procédure pénale, L. 83 et L. 16-B du Livre des procédures fiscales et 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; et alors, d'autre part, qu'en fondant sa décision sur des documents issus d'une procédure douanière susceptible d'être remise en cause, caractérisant un détournement de procédure par l'administration fiscale et ne faisant pas en eux-mêmes la preuve de leur régularité formelle et intrinsèque, notamment quant à la compétence de leur auteur, le Tribunal a violé les droits de la défense, ainsi que les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 65 et 334-1 du Code des douanes et 429 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'en retenant que certaines des pièces produites par l'administration fiscale à l'appui de sa requête, obtenues par elle dans l'exercice de son droit de communication auprès de l'administration des Douanes, étaient détenues de manière apparemment licite, le président du Tribunal a satisfait aux exigences de l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales, toute autre contestation relevant du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions du fond ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses alors, selon le pourvoi, que, d'une part, aux termes de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, les ingérences d'une autorité publique dans la vie privée et la correspondance d'une personne doivent être prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique pour atteindre un des buts légitimes mentionnés par l'article 8, paragraphe 2 de la Convention ; que les dispositions relatives au droit de communication n'autorisent pas de telles ingérences dont le but n'a pas été indiqué et qui sont de toutes manières excessives dans une société démocratique ; qu'en fondant des présomptions sur des informations entachées d'une telle irrégularité, le magistrat a méconnu les exigences des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 16-B, L. 81, L. 83 et L. 85 du Livre des procédures fiscales ;
et que, d'autre part, le droit d'investigation de l'Administration, sans aucune limite ni garantie pour les personnes virtuellement ou effectivement concernées, contre l'arbitraire et les excès de l'Administration, en vue de rechercher l'existence d'une éventuelle infraction à la loi fiscale, constitue une mesure disproportionnée avec le but poursuivi et ne saurait être considéré comme "prévu par la loi" au sens de l'article 8 de la Convention ;
Mais attendu que les dispositions des articles visés au moyen, qui organisent le droit de communication et le droit de visite, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre la fraude fiscale ; qu'ainsi, elles ne contreviennent pas à celles de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, et sur le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, réunis :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des Grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses alors, selon le pourvoi, d'une part, que la mise en oeuvre de l'article L. 83 du Livre des procédures fiscales fait échec au principe du contradictoire et à la présomption d'innocence reconnus par larticle 6 de la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 confère une autorité supérieure à la loi ;
qu'en fondant juridiquement l'existence de présomptions à l'égard des personnes visées sur l'article L. 83 du Livre des procédures fiscales, le juge, à qui il appartenait de rechercher lui-même l'existence desdites présomptions dans le respect des droits fondamentaux garantis par les textes susvisés, a violé les textes susvisés ; et, d'autre part, que, d'abord, les particularités du droit douanier ne sauraient justifier qu'une personne soit contrainte à contribuer à sa propre incrimination ; qu'en se fondant sur des procès-verbaux des douanes susceptibles de servir de fondement à la responsabilité pénale de la personne interrogée, sans que celle-ci qui ne pouvait être forcée de contribuer à sa propre condamnation ait été avertie de son droit de se taire, le Tribunal a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; et qu'ensuite, en vertu de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un Tribunal indépendant et impartial ; que le juge, qui se fonde sur le témoignage d'une salariée, licenciée pour motif personnel, entendue dans le cadre d'une procédure douanière ayant été adressée à l'Administration en vertu de son droit de communication, et en faisant prévaloir les déclarations de cette personne sur des actes juridiques réguliers, n'a pas assumé son devoir qui consistait à vérifier l'existence des présomptions retenues de manière indépendante et impartiale et à faire respecter le principe de l'égalité des armes reconnu par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Mais attendu, en premier lieu, que le juge, en relevant, conformément à l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales, des faits qui fondaient son appréciation suivant laquelle il existait des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la mesure ordonnée, n'a pas violé les principes résultant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Et attendu, en second lieu, que le fait de ne pas aviser la personne, entendue lors d'un contrôle effectué par l'Administration, de son droit de se taire, ne contrevient pas aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
Sur les cinquième et sixième moyens, réunis :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des Grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en énonçant que des sociétés étrangères, fiscalement résidentes à l'étranger étaient passibles de l'impôt sur les sociétés en France sur la base d'allégations contradictoires et dubitatives, tirant des conséquences légales inverses de ses constatations, le Tribunal a privé sa décision des motifs propres à la justifier et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en fondant ses présomptions sur des faits matériellement inexacts soit notamment des prétendues défaillances fiscales de la société Sotradom, déficits chroniques de la société Sodiprom, ou d'irrégularités d'écritures comptables, qui ne résultent que de déclarations inexactes de l'Administration, le président du Tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles 1349, 1353 du Code civil et L. 16-B du Livre des procédures fiscales ;
Mais attendu que les moyens tendent à contester la valeur des éléments retenus par le juge parmi ceux qui ont été fournis par l'Administration pour apprécier l'existence des présomptions d'agissements visés par la loi justifiant la recherche de la preuve de ces agissements au moyen d'une visite en tous lieux, même privés, et d'une saisie de documents s'y rapportant ; que de tels moyens sont inopérants, cette appréciation relevant du pouvoir souverain ;
Sur le septième moyen :
Attendu que la société des Grands Magasins A, la Banque Révillon, la société des Grands Magasins B et M. et Mme Bouriez font grief à l'ordonnance d'avoir autorisé les visite et saisie litigieuses, alors, selon le pourvoi, que l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales dispose que le président du tribunal de grande instance désigne un officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement ; qu'en se bornant à désigner soit alternativement, soit cumulativement, quatre officiers de police judiciaire, le président du tribunal de grande instance a méconnu les exigences de l'article 66 de la Constitution et de l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales ;
Mais attendu qu'en désignant quatre officiers de police judiciaire chargés d'assister seuls ou ensemble à la visite et aux saisies de documents et de tenir le président du Tribunal informé de leur déroulement, le président du Tribunal n'a pas méconnu l'obligation de désigner nominativement les officiers de police judiciaire ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize mai deux mille.