AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. X...,
2 / Mme Z..., épouse X...,
en cassation d'un arrêt rendu le 10 décembre 1996 par la cour d'appel de Rouen (1re et 2e chambres civiles réunies), au profit de M. Y...,
défendeur à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 mars 2000, où étaient présents : M. Grimaldi, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, M. Tricot, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme X..., de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que les époux X... reprochent à l'arrêt attaqué (Rouen, 10 décembre 1996), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 7 février 1995), d'avoir annulé, pour dol, la vente de leur pharmacie au profit de M. Y..., alors, selon le pourvoi, d'une part, que le fait pour un vendeur de ne pas informer son cocontractant sur les circonstances exactes dans lesquelles a pu être réalisé le chiffre d'affaires du fonds cédé lors des années précédentes ne saurait être constitutif d'une réticence dolosive dès lors qu'il est établi que seul le dernier chiffre d'affaires a servi à la fixation du prix de vente ; qu'il était constant en l'espèce que l'acte de vente ne comportait aucune indication particulière relative aux conditions de réalisation des chiffres d'affaires mentionnés ; que la cour d'appel, qui a constaté que le chiffre d'affaires de l'année 1987 avait seul servi de base mathématique à la fixation du prix de vente de l'officine et n'a pas remis en cause la véracité de ce chiffre mais a néanmoins estimé dolosif le silence du vendeur sur les moyens par lesquels le chiffre d'affaires de 1986 avait été obtenu, a violé l'article 1116 du Code civil ; alors, d'autre part, que le dol suppose l'intention de tromper ; qu'il était constant en l'espèce que le prix de vente de l'officine avait été calculé sur la base du chiffre d'affaires de 1987, dont la véracité n'a pas été remise en cause par la cour d'appel ; qu'en annulant la vente pour dol parce que le vendeur n'avait pas informé l'acquéreur de ce que le chiffre d'affaires de 1986 avait partiellement été réalisé au moyen de ventes illicites, sans constater que le prix de vente, dont le vendeur faisait valoir qu'il avait été calculé conformément aux usages en matière de vente
d'officines, incluait la prise en considération par les parties, et à l'instigation du vendeur, du potentiel de développement de la pharmacie tel que résultant du chiffre d'affaires de 1986, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du Code civil ; et alors, enfin, que la réticence dolosive suppose que celui qui s'en prétend victime a légitimement ignoré les éléments prétendument cachés ; que la cour d'appel a constaté que le prix de vente avait été calculé sur la base du chiffre d'affaires de 1987 et que l'acte précisait les chiffres d'affaires et bénéfices réalisés de 1985 à 1987 ; qu'en décidant que M. Y..., pharmacien expérimenté ayant disposé de toutes les données et documents comptables relatifs à l'exploitation de l'officine, avait légitimement imaginé que celle-ci devait nécessairement générer le chiffre d'affaires réalisé en 1986, tout en acquittant un prix fondé sur le chiffre d'affaires nettement inférieur de 1987, et en ayant connaissance du chiffre encore plus faible de 1985, la cour d'appel a violé l'article 1116 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que si le chiffre d'affaires de l'année 1987 a seul servi de base mathématique à la fixation du prix de la pharmacie, ce sont les résultats comptables des trois années précédant la vente qui ont permis à l'acquéreur de se rendre compte de l'activité de la pharmacie et d'apprécier sa rentabilité ; que le chiffre d'affaires de 1986, qui s'élevait à la somme de 8 585 263 francs et qui a généré un bénéfice de 966 494 francs, a constitué pour l'acquéreur un élément déterminant de son engagement ; que ce chiffre d'affaires a été atteint par des ventes massives et illicites de corticoïdes et d'anabolisants sans transcription dans le registre d'ordonnances de la pharmacie ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt retient, par une décision motivée qui n'encourt pas le grief de la deuxième branche, que Mme X... "a caché sciemment à son acquéreur les moyens irréguliers par lesquels le chiffre d'affaires avait été obtenu" ;
Attendu, enfin, que l'arrêt retient que M. Y... n'avait pas à mettre en doute, a priori, la bonne foi de son confrère et n'avait pas la possibilité de vérifier toutes les factures d'achat et de rechercher d'éventuelles anomalies que rien ne laissait présumer, ce dont il résulte que M. Y... ignorait les éléments qui avait été dissimulés ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. et Mme X... à payer à M. Y... la somme de 10 000 francs ;
Condamne M. et Mme X... à une amende civile de 20 000 francs envers le Trésor public ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. Tricot, conseiller le plus ancien, qui en a délibéré, en remplacement du président, en l'audience publique du dix mai deux mille.