AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois mai deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle Pascal TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE SYNDICAT ALLIANCE POLICE NATIONALE, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, du 1er juin 1999, qui, dans la procédure suivie contre X... du chef d'injure publique, a prononcé la nullité des poursuites ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 2, 33, alinéa 2, et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, 550 à 559 et 802 du Code de procédure pénale, 485, 567, 591 et 593 du même Code, 6, 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que la cour d'appel confirme le jugement ayant "constaté la nullité de la citation pour inobservation de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, la dénonciation au ministère public ayant été faite à la personne d'un greffier et non au procureur de la République ou à l'un de ses substituts" ;
"aux motifs que "l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 dispose que si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu'au ministère public ; le même article dispose en son alinéa 3 que toutes ces formalités seront observées à peine de nullité à la poursuite ; en l'espèce, il est constant que la notification de la citation a été faite à un greffier, en date du 16 septembre 1998 et non au procureur de la République ou à l'un de ses substituts ; il convient d'interpréter l'expression ministère public figurant dans l'article 53 susvisé, relatif à l'exercice de poursuites pénales, à la lumière des dispositions du Code de procédure pénale ; il résulte de l'article 31 de ce Code que l'expression ministère public désigne les autorités compétentes pour exercer l'action publique et requérir l'application de la loi ;
l'article 39 du même Code dispose que le ministère public est représenté par le procureur de la République ou par ses substituts près le tribunal de grande instance ; dans le cas de poursuites correctionnelles, l'expression ministère public figurant dans l'article 53 susvisé désigne exclusivement le procureur de la République et ses substituts à l'exclusion des fonctionnaires du parquet ; le moyen invoqué par la partie civile, selon lequel les dispositions de l'article 559 du Code de procédure pénale susvisé prévoyant la remise d'un exploit à parquet trouveraient application, doit être écarté ; en effet, l'article 559 s'applique au cas où la personne visée par un exploit est sans domicile ou résidence connue ; tel n'est pas le cas en l'espèce ; quant au moyen tiré de la remise de l'acte en application de l'article 556 du Code de procédure pénale, il doit être également écarté tant pour les motifs énoncés par les premiers juges que la Cour adopte, que pour celui tenant à ce que ce texte tel qu'il est rédigé n'a manifestement pas été conçu pour les agents administratifs du parquet ; les premiers juges ont dans ces conditions estimé à juste titre que la formalité substantielle de la notification à ministère public exigée par l'article 53 de la loi sur la presse n'a pas été respectée et annulé la citation ; il convient d'observer à cet égard que la sanction de cette formalité substantielle est la nullité, sans qu'il soit nécessaire de démontrer un grief" ;
"alors que 1 ), il ressort des mentions du jugement entrepris :
d'une part, que la citation directe a été signifiée à l'auteur des faits argués d'injure publique pour l'audience du "24 septembre 1998" ; d'autre part, que la première audience s'est tenue à cette date (page 3) ; enfin, que les "conclusions de nullité de la citation" ont été "déposées" par l'avocat de la partie civile "le 25 novembre 1998" (page 4, alinéa 2) ; qu'il en résulte que la contestation de la validité de l'acte de dénonciation de la citation directe n'a pas été soulevée in limine litis ; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 2 ), au surplus, est régulièrement délivré au ministère public l'acte de dénonciation de la citation directe, remis, en l'absence du procureur de la République et des autres magistrats du parquet, à un greffier régulièrement habilité à la recevoir ; que tel est le cas en l'espèce, où il ne résulte des motifs de l'arrêt attaqué, ni qu'un magistrat du parquet aurait été en mesure de recevoir l'acte, ni que le greffier n'y aurait pas été habilité ; que, dès lors, en prononçant la nullité de la citation directe, motif pris d'une prétendue irrégularité de sa dénonciation au ministère public, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que 3 ), enfin, à supposer irrégulièrement délivré l'acte de dénonciation de la citation directe au ministère public, le prévenu était sans intérêt à s'en faire grief, dès lors qu'il ressort des mentions du jugement entrepris, pages 1 et 3) que la première audience de fixation de la consignation à verser par la partie civile a été tenue au jour porté à la citation directe et à la dénonciation, soit le "24 septembre 1998" et "en présence de M. Seille, procureur de la République adjoint" ; que, dès lors, en prononçant la nullité de la citation directe, motif pris d'une prétendue irrégularité de sa dénonciation au ministère public, quand celle-ci était insusceptible d'avoir causé un grief au prévenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que la remise de l'acte à un fonctionnaire habilité à recevoir les citations délivrées à parquet constitue une notification au ministère public au sens de ce texte ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par acte du 1er septembre 1998, le syndicat Alliance Police Nationale a fait citer devant le tribunal correctionnel X... du chef d'injure publique ; que cette citation a été dénoncée au ministère public par acte du 16 septembre 1998, qui a été reçu par "M. Schenzle, greffier du parquet" ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré nulles les poursuites, les juges du second degré retiennent que la remise de l'acte à un fonctionnaire habilité à recevoir les citations délivrées au parquet en vertu de l'article 559 du Code de procédure pénale ne constitue pas une notification au ministère public au sens de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, en date du 1er juin 1999, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Pinsseau conseiller de la chambre ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;