AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Hemmerle-Gonnet-Crepin, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 janvier 1998 par la cour d'appel de Paris (22e chambre, section C), au profit de Mme Joséphine X..., demeurant Le ...,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 février 2000, où étaient présents : M. Le Roux-Cocheril, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, M. Brissier, Mme Quenson, conseillers, Mme Bourgeot, conseiller référendaire, M. Kehrig, avocat général, Mme Molle-de Hedouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Le Roux-Cocheril, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Hemmerle-Gonnet-Crepin, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Mme X... a été engagée le 1er juin 1987 par la société Hemmerle-Gonnet-Crepin en qualité de chef-comptable ;
qu'elle exerçait en dernier lieu les fonctions de chef-comptable qualification attachée de direction, fonction cadre, coefficient 430 de la Convention collective des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales ; que l'employeur lui a demandé, le 2 novembre 1994, de signer un écrit aux termes duquel la salariée se voyait supprimer une partie de ses responsabilités administratives dans le domaine de gestion du personnel ; qu'ayant fait connaître son refus à l'employeur, lequel a maintenu sa décision, la salariée a pris acte de la rupture du fait de l'employeur par lettre du 19 juin 1995 et a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur les deux premiers moyens, réunis :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la rupture s'analysait en un licenciement et de l'avoir condamnée à payer à la salariée des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, d'une première part, que le refus du salarié de continuer le travail ou de le reprendre lorsqu'il n'est pas consécutif à un simple changement des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute grave, qu'il incombe à l'employeur de sanctionner par un licenciement ; qu'à défaut d'un tel licenciement, le contrat n'est pas rompu et le salarié ne peut réclamer une indemnité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que Mme X... avait été engagée en qualité de chef-comptable et qu'elle exerçait, en dernier lieu, les fonctions de chef-comptable ; qu'en énonçant que la modification apportée par l'employeur, à savoir le recentrage des activités de Mme X... sur la comptabilité de l'entreprise en une modification de ses fonctions, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 122-4 du Code du travail, ensemble l'article 28 de la Convention collective applicable ; alors, d'une deuxième part, qu'en se bornant, pour dire que l'employeur avait décidé d'une modification non prévue à son contrat de travail, à relever que la salariée avait, outre la fonction de chef-comptable, exercé d'autres fonctions, dont partie lui avait été retirée, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la détermination exacte et le nombre des tâches, confiées à la salariée, étaient définis au contrat de travail, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 122-4 du Code du travail et 28 de la Convention collective applicable ; alors, d'une troisième part, que lorsque la rupture du contrat de travail est constatée par le juge, en raison de la modification du contrat de travail, refusée par le salarié, l'absence de lettre de licenciement ne prive pas, de facto, ce licenciement d'une cause réelle et sérieuse ; qu'il appartient, dans cette hypothèse, aux juges du fond de rechercher, au regard des motifs invoqués par l'employeur, le caractère abusif ou non du licenciement prononcé ; qu'en déduisant l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de la salariée du seul constat que l'employeur n'a pas produit de lettre de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ; et alors, d'une dernière part, que dans ses conclusions devant la cour d'appel, Mme X... prétendait au caractère abusif du licenciement au seul motif tiré de l'absence de lettre de licenciement sans contester, en aucune manière, l'intérêt de l'entreprise de rationaliser les tâches et, notamment, de traiter, au niveau du groupe, la gestion du personnel ; qu'en énonçant, de surcroît, "qu'il n'est pas établi que la modification des fonctions de Joséphine X... répond à l'intérêt de l'entreprise", la cour d'appel a dénaturé les termes du litige qui lui était soumis, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel qui a procédé à la recherche invoquée, a pu décider que l'employeur avait imposé unilatéralement une modification de son contrat de travail à Mme X... en lui retirant des fonctions administratives liées à la gestion du personnel ; qu'ayant relevé que cette modification n'avait aucune cause, elle a légalement justifié sa décision ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 20 de la Convention collective des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales relatif à la qualification du 13e mois ;
Attendu que, selon ce texte : le personnel administratif ayant au moins 6 mois d'ancienneté bénéficie d'une gratification de 1/12 de sa rémunération mensuelle par mois de travail effectif au cours de l'année civile" ;
Attendu que pour condamner la société à payer à Mme X... un complément de 13e mois, la cour d'appel a retenu, d'une part, qu'aucune disposition ne permettait à la société de réduire le montant de la prime de 13e mois dont le paiement au prorata est envisagé par l'article 20 de la convention collective, que les interruptions pour maladie, accident ou maternité doivent être considérées comme des temps de présence et, d'autre part, que l'exigence de travail effectif mentionné par ledit article ne saurait faire obstacle à ce que la gratification soit réglée à la salariée jusqu'à la fin de son préavis dont elle n'a pas été dispensée d'exécution ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition de la convention collective ne permettait, pour l'application de son article 20, d'assimiler la période de suspension du contrat de travail pour maladie à une période de travail effectif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, la Cour de Cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions ayant condamné la société à payer à la salariée un complément de gratification de 13e mois, l'arrêt rendu le 29 janvier 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que Mme X... ne peut prétendre au paiement d'un complément de gratification de 13e mois ;
Laisse à chaque partie la charge respective de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille.