AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept mars deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN et de Me PRADON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...Raymond,
- LE SYNDICAT CGT CEGELEC DIRECTION REGIONALE PARIS,
- L'UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS CGT DES HAUTS-DE-SEINE,
- LA FEDERATION NATIONALE DES TRAVAILLEURS DE LA CONSTRUCTION CGT, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en date du 23 juin 1999, qui, après relaxe des prévenus du chef de discrimination syndicale, a déclaré mal fondée leur constitution de partie civile ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 412-2 et L. 481-2 du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le délit poursuivi de discrimination syndicale par un employeur non établi et a déclaré irrecevables en leur constitution de partie civile, de ce chef, Raymond X..., le Syndicat CGT Cegelec Direction Régionale Paris, l'Union des Syndicats CGT des Hauts-de-Seine et la Fédération nationale des travailleurs de la construction CGT ;
" aux motifs qu'il suffit de rappeler que Michel Y...et Christian Z..., respectivement directeur général et directeur du personnel de la société Cegelec, ont été cités devant le tribunal correctionnel pour avoir à Nanterre, courant 1995 et 1996, pris des mesures discriminatoires continues à l'égard de Raymond X..., prenant en compte son appartenance syndicale ou l'exercice d'une activité syndicale ; que cette citation faisait suite à un procès-verbal de l'inspection du Travail du 23 août 1996 qui, rappelant le déclassement dont Raymond X..., embauché en 1963 en qualité de technicien matériel par CGEE Alsthom (aujourd'hui la société Cegelec) et délégué CGT depuis 1978, avait fait l'objet, à la suite d'un accident du travail survenu le 20 janvier 1984 ayant entraîné la perte de trois doigts et les multiples procédures, estimés discriminatoires, de mutation ou de licenciement, intentées à son encontre au cours de cette même année 1984 et de l'année 1995, relevait que la situation faite à ce salarié au sein de l'entreprise depuis le déclassement constituait une poursuite de ces pratiques discriminatoires ; que Raymond X..., affecté au service achats en tant qu'employé administratif, n'avait en effet bénéficié d'un changement de coefficient professionnel qu'au bout de dix années ;
que, tandis que de 1981 à 1985 sa rémunération avait été supérieure à la rémunération moyenne de sa catégorie, cette tendance s'était inversée à compter de 1986 et n'avait cessé de s'accentuer ; qu'en janvier 1994, sa rémunération était inférieure de 1 000 francs à la rémunération moyenne des employés techniciens agents de maîtrise (ETAM) de coefficient 620, et supérieure de seulement 100 francs à celle de ceux de coefficient immédiatement inférieur (550) ; qu'en janvier 1996, et malgré une augmentation de 5, 26 % accordée à la suite de l'intervention d'un inspecteur du Travail, elle ne correspondait encore qu'au minimum de la rémunération d'un ETAM de coefficient 620 ; mais que, comme l'a relevé le tribunal, il a été jugé, par arrêt de cette Cour du 14 janvier 1991, confirmant une décision du conseil de prud'hommes, que le déclassement de Raymond X...n'était que la conséquence injustifiée du refus opposé par l'intéressé aux propositions de reclassement que lui avait faites son employeur en avril et mai 1984, sur des postes appropriés à ses capacités et aussi comparables que possible à l'emploi qu'il occupait avant son accident ;
que Raymond X...a également été débouté de l'action parallèlement intentée devant la juridiction correctionnelle ; que son maintien, après ces décisions de justice, dans le poste considéré, ne saurait donc être constitutif d'une mesure discriminatoire ; que, pour la période visée à la prévention, la preuve n'est pas davantage rapportée d'une quelconque discrimination ;
qu'au contraire, il est constant que, le 1er novembre 1994, Raymond X...est passé du coefficient 550 au coefficient 620 ; que, le 1er janvier 1996, lui a été octroyée une augmentation de 5, 26 %, la plus forte au sein de l'entreprise ; que peu importe-les parties étant contraires sur ce point-que cette augmentation soit ou non consécutive à l'intervention de l'inspection du Travail auprès de la direction de la société Cegelec ; que, comme l'a déduit le tribunal des divers éléments de comparaison soumis à son appréciation, l'évolution du salaire de Raymond X...en 1995 et 1996 apparaît semblable à la moyenne de celle des autres employés de même catégorie ; qu'en conséquence, l'infraction visée à la prévention n'étant pas établie, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions critiquées ;
" et aux motifs, adoptés des premiers juges, qu'après s'être vu adjoindre à ses tâches d'approvisionnement, relevant du coefficient 550, des tâches d'achat, Raymond X...a bénéficié, le 1er novembre 1994, d'une promotion au coefficient 620 ;
qu'à la suite de cette promotion, son salaire est passé de la somme de 8 850 francs à 9 250 francs, soit une augmentation de 4, 52 %, alors que, selon les documents produits aux débats, l'augmentation générale était de 3, 38 % et que les appointements minimum au coefficient 620 étaient de 9 062 francs ; que, par ailleurs, il ressort des tableaux figurant sur les pièces produites, d'une part, que l'augmentation de salaire des " acheteurs " a été de 2, 62 % pour l'année 1995 et de 3 % pour l'année 1996 alors que Raymond X...a bénéficié d'une augmentation de 2, 7 % pour l'année 1995 et de 5, 26 % en 1996, et, d'autre part, que pour le coefficient 620, le salaire minimum de la catégorie était de 9 238 francs pour l'année 1995 et de 9 424 francs pour l'année 1996, alors que le salaire de Raymond X...était de 9 500 francs pour l'année 1995 et de 10 000 francs pour 1996 ; qu'en outre, l'examen du tableau comparatif de l'ancienneté de coefficient " acheteurs direction nationale " permet de constater notamment que M. A..., qui a la même qualification que Raymond X...mais avec une ancienneté de quatre ans supérieure, a un salaire seulement supérieur de 20 francs et que M. B...qui, lui aussi, a la même qualification, a quatre ans de plus d'ancienneté que Raymond X...au coefficient 620, bénéficie d'un salaire de 1 750 francs ; que la situation de Raymond X...ne saurait être comparée à celles de M. C...et de M. D... qui sont à un coefficient supérieur au sien et correspondant aux responsabilités qu'ils exercent ;
" alors que, d'une part, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que Raymond X...n'avait bénéficié d'un changement de coefficient professionnel qu'au bout de dix années ; qu'en bornant alors son appréciation à l'évolution de ses salaires en 1995 et 1996, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les augmentations accordées ces années-là pouvaient combler l'écart considérable qui s'était creusé les années précédentes entre Raymond X...et ses collègues, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors que, d'autre part, dans ses conclusions d'appel, Raymond X...faisait valoir qu'il convenait de raisonner, d'une part, par rapport au travail réellement accompli et, d'autre part, à l'évolution des salaires moyens tels qu'ils résultent du bilan social de la société et non par rapport au coefficient, puisqu'il avait été maintenu dans un coefficient inférieur à ses collègues effectuant les mêmes tâches que lui, de même qualification initiale et de moindre ancienneté dans l'entreprise ; qu'en 1995, il percevait une rémunération de 1 167 francs inférieure à la rémunération moyenne des ETAM de son coefficient professionnel et qu'une différence d'environ 5 000 francs existait entre son salaire et ceux de ses collègues ; que la direction avait, de tout temps, indiqué qu'elle n'avait pas le moindre reproche à formuler à l'encontre du travail qu'il effectuait ; que ces faits de discrimination avaient été établis par l'inspecteur du Travail, dans son procès-verbal d'infraction, après enquête ; que faute d'avoir pris en considération ces chefs des conclusions de Raymond X..., la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
" alors, en outre, que les juges répressifs doivent statuer eux-mêmes sur toutes questions dont dépend, selon eux, l'application de la loi pénale ; qu'une décision prud'homale, même définitive, ne s'impose pas aux juges répressifs et constitue seulement un élément de discussion soumis au débat contradictoire ; qu'en se fondant sur une telle décision pour affirmer ensuite que le maintien de Raymond X...dans le poste considéré ne saurait être constitutif d'une mesure discriminatoire, sans statuer elle-même sur cette question, la cour d'appel a méconnu son office ;
" alors, enfin, que la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction, affirmer que Raymond X...avait été débouté de l'action intentée devant la juridiction correctionnelle bien qu'il résulte de la seule décision intervenue, de ce chef, du 2 janvier 1987, que cette juridiction n'avait pas statué au fond, considérant n'avoir pas été saisie valablement par Raymond X..." ;
Attendu que le moyen ne tend qu'à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions qui leur étaient soumises, qu'il n'était pas établi que Raymond X...avait été, durant la période visée à la prévention, victime de mesures discriminatoires ;
D'où il suit que ce moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani, M. Beyer conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;