AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept mars deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...,
- Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 15 avril 1999, qui a condamné le premier pour diffamation publique envers un particulier, le second pour complicité de ce délit à 15 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que la décision attaquée a refusé d'ordonner le sursis à statuer, en raison de l'existence de poursuites de Christian Z... devant le tribunal correctionnel d'Avranches ;
" aux motifs que le sursis à statuer n'est obligatoire pour le juge saisi d'une poursuite en diffamation, dans le cas où le fait imputé est l'objet d'autres poursuites commencées à la requête du ministère public ou d'une plainte de la part du prévenu, que lorsque la preuve de la vérité des faits diffamatoires n'est pas autorisée ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que, pour ce qui concerne le prononcé d'un sursis à statuer facultatif, la Cour observe que l'auteur ne saurait prétendre rapporter la preuve complète, parfaite et corrélative aux imputations ou allégations formulées par des éléments d'appréciation, dont il ne disposait pas au moment où les faits diffamatoires ont été rendus publics ; qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer ;
" alors que le sursis à statuer est facultatif, dans tous les cas où " l'exceptio veritatis " est admis, les juges ordonnent le sursis à statuer afin d'être mieux éclairés sur la gravité de l'affaire et éviter le cas échéant des dangers de contradiction de jugement ; que le sursis à statuer est étranger à la preuve de la vérité du fait diffamatoire et n'a pas pour objet de permettre cette preuve ; qu'en l'espèce actuelle, en refusant d'ordonner le sursis pour le motif que l'auteur d'une diffamation ne saurait rapporter la preuve complète, parfaite et corrélative aux imputations ou allégations formulées par des éléments d'appréciation dont il ne disposait pas au moment où les faits diffamatoires ont été rendus publics, sans rechercher s'il existait des raisons touchant notamment à la bonne administration de la justice, les juges du fond se sont prononcés par des éléments étrangers à ceux susceptibles de justifier le prononcé du sursis à statuer " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et de l'examen des pièces de procédure que Christian Z... a fait citer devant le tribunal correctionnel X..., directeur de publication du journal " Ouest France " et Y..., journaliste, respectivement en qualité d'auteur et de complice du délit de diffamation publique envers un particulier, à raison de la publication le 1er avril 1997 dans ce quotidien de deux articles intitulés " les fausses factures sortent du frigo.. " et " pas de financement politique mais.. " lui imputant l'instauration d'un système de fausses factures ;
Que le tribunal a déclaré les prévenus coupables des délits visés à la prévention et leur a refusé le bénéfice de la bonne foi ;
Attendu que, statuant sur l'appel des prévenus, les juges du second degré, saisis d'une demande de sursis à statuer en raison de l'existence de poursuites pénales en cours concernant les faits évoqués dans les articles de presse incriminés se prononcent par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que, d'une part, en dehors des cas de sursis à statuer obligatoire, il appartient aux juges du fond de déterminer s'ils sont en mesure de former leur décision ;
Que, d'autre part, le sursis à statuer ne saurait suppléer à la carence des prévenus, le journaliste devant disposer au moment même de la rédaction des imputations diffamatoires des éléments propres à en établir l'authenticité ; qu'il ne saurait attendre des résultats de poursuites judiciaires en cours, les moyens de justification qui lui font défaut lors de la publication ;
D'ou il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que la décision attaquée a refusé de reconnaître à X... et à Y... le bénéfice de la bonne foi ;
" aux motifs que les imputations diffamatoires sont réputées faites avec l'intention de nuire ; que, pour être exonéré de sa responsabilité pénale, au motif de la bonne foi, le prévenu doit établir qu'il a agi dans un but légitime, sans animosité personnelle, qu'il a procédé à une enquête personnelle sérieuse et suffisante et qu'il n'a pas fait preuve d'imprudence ou d'outrance dans l'expression ; qu'il n'est pas douteux, en l'espèce, que la publication du texte comportant les passages incriminés répondait à un but légitime d'information des lecteurs du journal, et ne révèle pas d'animosité personnelle à l'égard de Christian Z..., que, cependant, l'article intitulé " les fausses factures sortent du frigo " se borne à présenter sommairement les charges évoquées dans l'arrêt de renvoi émanant de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Caen, sans faire état des moyens de défense de Christian Z... ;
qu'en affirmant que Christian Z... est trahi par un détail, le journaliste a manifestement fait sienne la thèse de la culpabilité, dépassant ainsi la portée des actes de procédure, constitutifs de ses informations et, sans même rechercher à connaître les arguments susceptibles d'être développés avec Christian Z..., avec qui il n'a pas pris attache, a ainsi manqué à son devoir d'information ;
qu'au regard de l'effet produit sur le lecteur, par les considérations exprimées quant aux détails, les rappels procéduraux figurant en début d'article, sur lesquels l'affaire connaît un épilogue provisoire et ni le tribunal, ni l'audience n'ont été fixés puisqu'au moins un pourvoi en cassation est en cours, apparaissent comme de simples précautions formelles, insusceptibles d'effacer l'impression donnée par ailleurs d'une culpabilité avérée ;
" alors, d'une part, que le bénéfice de la bonne foi ne peut être refusé par le seul motif que les propos reproduits dans un écrit ont un caractère diffamatoire ; qu'en retenant, pour refuser aux exposants le bénéfice de la bonne foi, les éléments de fait relatés par l'arrêt et aboutissant, d'après les juges du fond, à produire sur le lecteur un effet par des considérations expresses de façon accablante, (les rappels procéduraux figurant en début d'article apparaissant comme de simples précautions), la décision attaquée s'est contenté de se fonder sur le caractère diffamatoire des propos retenus, totalement étrangers au point de savoir si le bénéfice de la bonne foi pouvait être retenu aux prévenus ;
" alors, d'autre part, que le journaliste n'est pas tenu, lorsqu'il publie un article d'information relatant des faits relatifs à un délit reproché à un tiers de prendre contact avec celui-ci ;
" alors, enfin, que le journaliste, tenu de procéder à une enquête sérieuse, procède suffisamment à une enquête de nature à légitimer sa bonne foi en puisant des éléments dans le réquisitoire d'un parquet général, lequel nécessairement fait état des éléments recueillis au cours de l'information " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé sans insuffisance ni contradiction les circonstances particulières sur lesquelles elle s'est fondée pour exclure les prévenus du bénéfice du fait justificatif de bonne foi ;
D'ou il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Pinsseau conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;