AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MARTIN, les observations de Me ROGER et de Me VUITTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...Jean,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 16 juin 1998, qui, pour escroqueries et banqueroute, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 1 et 6 3c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 410, 417 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, insuffisance de motifs et manque de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a déclaré non valable l'excuse invoquée par Jean X...et refusant de faire droit à la demande de renvoi sollicité par son avocat, a statué contradictoirement à son encontre, sans l'avoir entendu en sa défense ;
" aux motifs que Jean X..., bien que régulièrement cité à sa personne, n'a pas comparu et a fait demander par son avocat le renvoi de l'affaire pour raisons médicales ; que, par arrêt avant dire droit sur cette demande de renvoi, la Cour a ordonné une expertise confiée au docteur Y...; qu'il ressort des renseignements recueillis par ce médecin légiste que Jean X...cité devant la Cour pour le 7 avril 1998, s'est présenté à l'hôpital Haut-Levêque, service de cardiologie, le 6 avril 1998 en fin d'après-midi alléguant les symptômes d'une angine de poitrine spontanée qui aurait été calmée par la prise de trinitine et qu'admis aux soins intensifs aucune modification de son électrocardiogramme n'avait été constatée et qu'il avait pu aussitôt regagner sa chambre ; que la teneur du rapport du docteur Y...alors que le prévenu s'est mis lui-même dans l'impossibilité de sortir de l'hôpital en s'y présentant spontanément, les médecins ne pouvant engager leur responsabilité en le laissant sortir, ne permet pas de justifier d'une impossibilité pour le prévenu de déférer à la citation qui lui a été délivrée ;
" alors que, si l'appréciation d'une excuse relève du pouvoir souverain des juges du fond, ces derniers ne sauraient pour autant se déterminer par des motifs entachés d'insuffisance ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour déclarer non valable l'excuse alléguée par Jean X..., que ce dernier, admis en unité de soins intensifs a pu regagner immédiatement sa chambre de telle sorte qu'il se serait mis lui-même dans l'impossibilité de sortir de l'hôpital en s'y présentant spontanement ; alors qu'aux termes du rapport dressé par le médecin légiste commis par la Cour Jean X..., qui a été admis aux soins intensifs le 6 avril et n'a pu regagner sa chambre que le lendemain, présente d'importants facteurs de risque (pèse plus de 100 kg, hypertension, diabète, tabagisme et éventuels antécédents cardiaques allégués) et, partant, conclut qu'à ce jour son état ne lui permet donc pas de comparaître à l'audience de la Cour ; qu'ainsi la Cour s'est substituée non seulement à l'appréciation de l'autorité médicale pour se prononcer sur la gravité de l'état de santé de Jean X...mais aussi aux conclusions de l'expert qu'elle avait désigné, violant les textes susvisé " ;
Attendu que, pour déclarer non valable l'excuse invoquée à l'appui de la demande de renvoi, l'arrêt se prononce par les motifs repris au moyen ;
Qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine tant de la validité de l'excuse que de la valeur et de la portée du rapport d'expertise médicale, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 121-1 et 313-3 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X...coupable d'escroquerie au préjudice de la société Europcar et l'a condamné pénalement et civilement ;
" aux motifs que, contrairement à ce qu'a soutenu au cours de l'instruction Jean X..., la société Europcar n'a pu donner son accord alors que la convention signée prévoyait la restitution des cartes en cas de cessation d'activité et que la société Europcar a adressé des courriers de mise en demeure ; le propre fils du prévenu a d'ailleurs reconnu avoir, avec l'accord de son père, utilisé à titre personnel la carte Europcar bien qu'il ait été licencié et après la liquidation de la société GRI ;
" alors, d'une part, que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'ainsi, après avoir constaté que les cartes émises par la société Europcar avaient été retenues et utilisées par le fils de Jean X...d'où il résultait que le prévenu n'avait commis personnellement aucun acte positif de nature à caractériser le délit d'escroquerie, la cour d'appel ne pouvait pas, sans violer les dispositions des articles visés au moyen, retenir le prévenu dans les liens de la prévention ;
" alors, d'autre part, que les moyens frauduleux réprimés par la loi sont des actes positifs et qu'il ne saurait y avoir d'escroquerie lorsque l'agent s'est contenté de garder le silence sur un fait qui, s'il avait été connu de la victime l'aurait déterminé à ne pas lui remettre la chose ; qu'ainsi le fait ne pas restituer les cartes émises par la société Europcar après la cessation d'activité de la société GRI ne constitue pas un des actes positifs visés par la loi nécessaire pour caractériser le délit d'escroquerie ; qu'ainsi la Cour n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 121-1, 313-3 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X...coupable d'escroquerie au préjudice de plusieurs franchisés et l'a condamné pénalement et civilement ;
" aux motifs que les manoeuvres frauduleuses sont caractérisées en l'espèce par l'intervention d'un tiers de bonne ou de mauvaise foi, la plupart du temps un ancien franchisé devenu salarié, par l'existence d'un siège social trompeur ou fictif à Paris, loué au mois, voire quelques jours ou même quelques heures, par la publicité intensive paraissant notamment dans les hebdomadaires nationaux renommés et dans des revues spécialisées et par l'utilisation de titres dont se paraît le prévenu pouvant prêter à confusion, tels que " membre du service d'information code diplomatique " au sigle " CD " et " Détective Européen ", lesdites manoeuvres ayant pour but de faire croire à l'existence de fausses entreprises ;
" alors, d'une part, que le fait de déterminer un tiers à remettre des fonds n'est constitutif du délit d'escroquerie qu'à la double condition, d'une part, que la remise ait été provoquée par l'emploi de manoeuvres frauduleuses et, d'autre part, que celles-ci aient eu pour but de persuader de l'existence d'une fausse entreprise ; qu'en l'espèce, si la Cour a déduit l'existence d'une fausse entreprise d'un ensemble de circonstances faisant apparaître l'emploi d'une domiciliation et d'une importante publicité, lesquelles ne constituent pas à elles seules des manoeuvres frauduleuses, l'arrêt attaqué n'a pas précisé en quoi ces prétendues manoeuvres ont pu déterminer les franchisés à souscrire les contrats litigieux et verser les sommes afférentes ; que, dès lors, en l'état de ces motifs insuffisants, la cour d appel, qui n'a pas caractérisé les manoeuvres frauduleuses du délit d'escroquerie, a violé les textes visés au moyen " ;
" alors, d'autre part, que la loi pénale plus sévère n'est pas rétroactive ; que l'article 313-1 nouveau du Code pénal a une portée plus large que l'article 405 ancien du Code pénal puisque, dans la nouvelle définition de l'escroquerie, les manoeuvres frauduleuses ne doivent plus avoir nécessairement pour objet de persuader la victime de l'existence de fausses entreprise, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou de faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, mais qu'il suffit qu'elles aient eu pour objet de tromper la victime en se faisant remettre l'un des objets qu'il énumère contre sa volonté, sans qu'il y ait eu pouvoir ou crédit imaginaire, fausses entreprise ou événement chimérique ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre du prévenu aux motifs que l'intervention de tiers, l'importante publicité et l'utilisation de titres constituaient des manoeuvres frauduleuses sans constater que ces agissements avaient pour but de persuader les victimes de l'existence d'une fausse entreprise, la cour d'appel qui s'est prononcée sur le fait principal d'escroquerie sur le fondement des dispositions nouvelles et non sur le fondement de l'article 405 ancien du Code pénal, plus restrictif, a violé le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et a prononcé une déclaration de culpabilité illégale " ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire, 121-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et manque de base légale ;
" en ce que la cour d'appel a déclaré Jean X...coupable du délit de banqueroute simple et l'a condamné pénalement et civilement ;
" aux motifs que les bilans n'ont été établis qu'après coup ainsi que cela résulte tant des déclarations de l'expert comptable M. Z...que des déclarations de M. A...;
" alors que, selon les dispositions de l'article 197 de la loi du 25 janvier 1985, constitue le délit de banqueroute, le fait d'avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la personne morale ou de s'être abstenu de tenir toute comptabilité ; que, pour déclarer Jean X...coupable de banqueroute, les juges se bornent à relever que le prévenu a établi les bilans de l'entreprise GlU tardivement ;
qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher si le prévenu s'était abstenu de tenir toute comptabilité ou avait tenu une comptabilité fictive, la cour d'appel a violé ce texte ;
" qu'au surplus nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'en l'espèce, il ressort clairement des pièces du dossier que l établissement des bilans de la société GRI postérieurement au 30 juillet 1991 n'était plus à la charge de Jean X...mais du mandataire à la liquidation des entreprises désigné par le tribunal de commerce de Bordeaux ; qu'ainsi, la Cour ne pouvait pas retenir Jean X...dans les liens de la prévention sans violer les dispositions de l'article 121-1 du Code pénal " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 33, 47, 48, 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation des entreprises, 1382 du Code civil, 313-3 du Code pénal, 2 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt a déclaré recevable les constitutions de parties civiles de la société Europcar et de divers franchisés et a condamné Jean X...à leur payer diverses sommes ;
" aux motifs que la Cour trouve en la cause les éléments suffisants pour confirmer la décision déférée sur la recevabilité de l'action civile de la société Europcar, de Michel B..., de Philippe C...et de Véronique D... et sur le montant des dommages et intérêts alloués aux parties civiles en reparation du préjudice qu elles subissent du fait des agissements du prévenu ;
" alors que, selon les articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 relatifs au redressement judiciaire et d'ordre public, applicables devant les juridictions répressives, le jugement d'ouverture suspend l'exercice de l'action de la partie civile ; que cette action est reprise de plein droit dès lors que la créance a été déclarée et se poursuit alors, le représentant des créanciers dûment appelé ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que Jean X...a fait l'objet d'une procédure collective ; que, dès lors, la Cour ne pouvait que constater que le représentant des créanciers n'avait pas été appelé à la procédure, qu'à défaut elle a violé les textes visés au moyen ;
" alors qu'il appartenait à la cour, d'office, eu égard à la procédure collective de Jean X..., de constater que les conditions requises par les articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 pour la reprise de l'action étaient remplies ; qu'à défaut, elle a violé les textes visés au moyen ;
" alors qu'enfin, lorsque les conditions fixées aux articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 sont remplies, les juges répressifs ne peuvent que fixer le montant de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de l'infraction commise sans prononcer de condamnation à son paiement ; qu'en l'espèce, la Cour, en prononçant à l'encontre de Jean X..., en redressement judiciaire, une condamnation au profit de la société Europcar, a violé les textes visés au moyen " ;
Vu les articles 47 et 48 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu que, selon ces textes, le jugement d'ouverture d'une procédure collective suspend ou interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; que les instances suspendues sont reprises de plein droit après la déclaration de la créance et la mise en cause des organes de la procédure, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ;
Attendu qu'après avoir relevé que Jean X...avait été personnellement mis en liquidation judiciaire et l'avoir déclaré coupable d'escroqueries, les juges l'ont condamné à payer des dommages-intérêts aux victimes de ces infractions ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, mais en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux en date du 16 juin 1998, toutes autres dispositions sur l'action publique étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Pau, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Martin conseiller rapporteur, M. Schumacher conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;