AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROGER, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...André,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, du 9 avril 1998, qui, pour faux et usage, l'a condamné à 5 000 francs d'amende avec sursis et a statué sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 441-1, 441-1, alinéa 2, du Code pénal, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André X... coupable des infractions de faux et usage de faux ;
" aux motifs qu'il résulte des éléments de la procédure et des débats à l'audience qu'à l'occasion d'un contrat de négoce de céréales traité par la société Louis Dreyfus Négoce, un sinistre est apparu mettant en cause la responsabilité de ladite société ; que ce litige a donné lieu à une sentence arbitrale rendu le 22 février 1994, menée par André
X...
, salarié de la société Louis Dreyfus Négoce et directeur de l'établissement de la société à la Rochelle ;
néanmoins, et compte tenu des relations d'affaire existants entre André X... et la société Cerecom, cette dernière va accepter de prendre en charge l'intégralité des causes de la sentence arbitrale à laquelle elle est étrangère, soit près de 2 000 000 de francs ; qu'à cette fin, André X... va adresser à la société Cerecom une lettre datée du 24 juin 1994 aux termes de laquelle celle-ci devait rembourser immédiatement à la société Louis Dreyfus Négoce 500 000 francs, le solde étant réglé à la fin de 1995 ; que cet écrit qui ne comportait aucun engagement va néanmoins être suivi d'effet, le versement de 500 000 francs étant effectué par la société Cerecom au profit de la société Louis Dreyfus Négoce ; qu'il est établi que le 10 juillet 1995, André X... a fait rédiger à sa secrétaire, Mme Z... une lettre datée du 24 juin 1994 prévoyant le remboursement immédiat de 500 000 francs par la société Cerecom à la société Louis Dreyfus Négoce, le solde étant réglé jusqu'à épuisement sans limitation de durée ; qu'André X... soutient qu'appelé à justifier la dette de la société Cerecom et n'ayant pu retrouver le double de la lettre initiale en date du 24 juin 1994, il avait été amené de mémoire à rédiger la lettre du 20 juin 1994 ; que cette deuxième lettre ne sera jamais adressée à la société Cerecom et la société Louis Dreyfus Négoce la recevra le 31 juillet 1995 estimant qu'il s'agit d'un faux ; qu'aux termes de l'article 441-1 du Code pénal, constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité,
de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit tout autre support d'exposition de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ;
" qu'en premier lieu, la lettre datée du 20 juin 1994 est une altération de la vérité dans la mesure où ce document a été entièrement fabriqué, antidaté, présentant des faits qui n'existent pas (aucune transmission à la société Cerecom) ; qu'en deuxième lieu, la lettre du 20 juin 1994 est un écrit qui précisait les modalités de paiement de la créance auprès de la société Cerecom et qui à ce titre établissait la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ; qu'il importe peu qu'il y ait eu ou non acquiescement de la part de la société Cerecom, compte tenu des usages existants entre les deux sociétés (cf remboursement de la créance par la société Cerecom après la première lettre du 24 juin 1994 même en l'absence de tout acquiescement) ; que, par ailleurs, André X... ne peut valablement soutenir que la lettre du 20 juin 1994 ne créait aucun droit, compte tenu de la première lettre du 24 juin 1994, dans la mesure où les nouvelles modalités de remboursement ont modifié les droits préexistant ; qu'en troisième lieu, la lettre du 20 juin 1994 prévoyait des modalités de remboursement plus favorables pour la société Louis Dreyfus Négoce (remboursement limité dans le temps au lieu d'un remboursement sans terme) ; qu'elle s'exposait à ce que la société Cerecom fasse valoir ses droits en justice sur la base du premier document, à des poursuites pénales pour faux et usage de faux ainsi qu'à des sanctions civiles (dommages et intérêts pour procédure abusive) et en outre, à voir sa réputation professionnelle ternie ; qu'il y a là un préjudice éventuel ou simplement possible de nature à caractériser le délit de faux ; qu'enfin, André X... ne peut invoquer sa bonne foi dans la mesure où s'il avait simplement égaré la lettre du 24 juin 1994 comme il le soutient, il lui appartenait de s'adresser à la société Cerecom pour lui en demander une copie, sans avoir à établir de mémoire un nouveau texte qu'il devait remettre lui-même à la société Cerecom ; que les infractions de faux et usage de faux reprochées à André X... sont bien caractérisées ; qu'en l'absence de toute condamnation et compte tenu du contexte, il y a lieu de faire une application modérée de la loi pénale et de condamner André X... au paiement de la somme de 5 000 francs avec le bénéfice du sursis ;
" alors que, d'une part, l'existence d'un faux exige la constatation de l'altération de la vérité dans un support ayant une valeur probatoire, ce qui exclut les documents, fussent-ils antidatés, contenant des demandes ou prétentions que le destinataire peut contester, voire refuser, et qui de ce fait ne lui sont pas opposables, de sorte que l'arrêt attaqué, qui, d'une part, a déduit l'altération de la vérité de ce que la lettre du 20 juin était antidatée et de ce qu'elle n'aurait pas été envoyée à la Cerecom, cette dernier énonciation, qui vise l'usage du document étant inopérante à qualifier son contenu, et qui, d'autre part, tout en constatant que la lettre du 24 juin avait reçu exécution, ce qui manifestait un accord de la Cerecom, se réfère à ce courrier pour énoncer que celle du 20 juin ne nécessitait pas un acquiescement de la Cerecom pour établir la preuve d'un fait ayant des conséquences juridiques, n'a pas caractérisé la valeur probatoire du document altéré au regard des dispositions de l'article 441-1 du Code pénal ;
" et alors que, d'autre part, il résulte des conclusions de la partie civile négligées sur ce point par la Cour que les lettres des 20 et 24 juin avaient été précédées d'un premier courrier en date du 19 mai 1994, non contesté, prévoyant des conditions de remboursement nettement plus favorables pour la partie civile que celles de ces deux lettres, ce qui confirmait encore l'absence de portée juridique de la lettre arguée de faux, ainsi que du préjudice que prétend en déduire l'arrêt attaqué ;
" alors que, d'une troisième part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué (p. 4 1), que la lettre du 24 juin 1994, qui a été reçue par Cerecom prévoyait que le remboursement devait s'effectuer à hauteur de 500 000 francs immédiatement, le solde devant intervenir fin 1995 ;
" qu'il ressort encore de cet arrêt (p. 4 2) que la lettre litigieuse datée du 20 juin 1994 prévoyait toujours le remboursement immédiat de la somme de 500 000 francs-ce qui, à l'époque de la rédaction de ce courrier, avait été fait-, " le solde devant être réglé, jusqu'à épuisement, sans limite de durée " ;
" qu'en suite de ces énonciations souveraines, la Cour ne pouvait sans se contredire énoncer (p. 4 7) que la lettre datée du 20 juin 1994 prévoyait des modalités de remboursement plus favorables que celle du 24 juin pour la société Louis Dreyfus Négoce, ce caractère plus favorable résultant selon la Cour d'un remboursement limité dans le temps au lieu d'un remboursement sans terme ;
" que ces énonciations contradictoires, qui ont pourtant conduit la Cour à constater la possibilité ou l'éventualité d'un préjudice pour la partie civile, entachent la décision attaquée d'un irrémédiable défaut de motifs sur l'un des éléments constitutifs de l'infraction, ne permettant pas à la Chambre Criminelle d'exercer son contrôle sur la légalité de la déclaration de culpabilité ;
" alors, d'une quatrième part, que la Cour ne s'est pas expliquée sur les conclusions du prévenu qui faisaient valoir que Cerecom avait réglé intégralement la somme de 2 000 000 de francs en cause, ce qui démontrait l'absence de préjudice ;
" et alors, enfin, la Cour, qui constate que la lettre litigieuse datée du 20 juin 1994 n'a jamais été adressée à la société Cerecom auprès de laquelle elle était supposée constituer un titre dont aurait pu se prévaloir Louis Dreyfus Négoce, n'a pas caractérisé l'infraction d'usage de faux, pour laquelle le demandeur a également été condamné, distincte de celle de faux, dont l'existence doit faire l'objet d'une constatation spécifique " ;
Attendu que, pour condamner André X... du chef de faux et usage, la cour d'appel relève notamment que, pour se justifier auprès de son employeur la société Louis Dreyfus Négoce, le prévenu lui a adressé, après l'avoir fabriquée et antidatée, la lettre arguée de faux, qui contenait des mentions inexactes, pouvant avoir pour effet d'établir la preuve d'une créance de cette société et qu'elle était de nature, dans l'hypothèse d'une instance judiciaire entre les parties, de causer un préjudice à la partie civile ;
Attendu, en cet état, que les juges du second degré ont, sans insuffisance ni contradiction, justifié leur décision ;
D'où il suit que le moyen, abstraction faite d'erreurs matérielles justement critiquées dans la 3ème branche, n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Roger conseiller rapporteur, M. Schumacher conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;