AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par l'association Agence nationale pour le développement de la production appliquée à l'industrie ( ADEPA), dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 24 juin 1997 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), au profit de M. Paul X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 janvier 2000, où étaient présents : M. Boubli, conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Bouret, Lanquetin, Coeuret, conseillers, Mmes Maunand, Andrich, conseillers référendaires, M. Kehrig, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boubli, président, les observations de la SCP Richard et Mandelkern, avocat de l'association ADEPA, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 24 juin 1997), que M. X..., engagé en qualité d'ingénieur en organisation et gestion de production industrielle par l'ADEPA, pour son antenne de Pont-à-Mousson, en 1989, a été mis à pied le 13 mars 1992, pour avoir fait une offre de service et une facture pro forma en signant en lieu et place de son responsable hiérarchique ; qu'il a été licencié le 5 mars 1993, pour suppression de poste ; que, le 26 mars 1993, l'employeur a mis fin au préavis pour faute grave ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir annulé la mise à pied et d'avoir alloué au salarié le salaire correspondant, alors, selon le moyen, d'une part, que l'employeur, qui n'est pas tenu de faire usage de son pouvoir disciplinaire, peut sanctionner un salarié pour avoir méconnu les dispositions du règlement intérieur de l'entreprise, alors même qu'il n'aurait pas sanctionné préalablement des faits similaires commis par d'autres salariés ; qu'en décidant néanmoins que l'ADEPA ne pouvait sanctionner M. X..., pour avoir méconnu la disposition du règlement intérieur de l'entreprise, lui interdisant d'adresser des offres de service sans avoir préalablement obtenu l'accord de son supérieur hiérarchique, dès lors que d'autres offres de service avaient ainsi été émises par d'autres salariés, de sorte que "la faute sanctionnée se limite à une transgression purement formelle d'une directive qui n'était pas appliquée d'une manière absolue", la cour d'appel a violé les articles L. 122-34, L. 122-41 et L. 122-45 du Code du travail ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à constater que d'autres offres de service avaient été émises par d'autres salariés sans avoir été revêtues de la signature du responsable d'antenne, M. Y..., sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. X... avait en outre déclaré, sur ces offres de service, signer "par ordre" de son supérieur hiérarchique, qui ne lui avait jamais donné une telle consigne, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-34 et L. 122-40 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté, que si l'offre de service non signée du délégué régional constituait une infraction au règlement intérieur, la pratique s'était répandue dans l'entreprise de diffuser des notes ou documents non revêtus de cette signature, qu'ayant retenu que l'infraction était vénielle et que la mise à pied prononcée par l'employeur était disproportionnée à la faute commise, elle a pu décider sans encourir les griefs du moyen, que la sanction n'était pas justifiée ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement économique de M. X... n'était pas causé et d'avoir condamné en conséquence l'ADEPA à verser au salarié une indemnité de licenciement pour rupture abusive de 240 000 francs, un solde d'indemnité compensatrice de préavis de 130 223 francs et une somme de 13 023 francs au titre des congés payés y afférents, ainsi qu'à rembourser à l'Assedic de Nancy, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage versées à M. X... du jour du licenciement jusqu'au prononcé de son arrêt ; alors, selon le moyen, d'une part, que constitue un motif économique de licenciement, une suppression d'emploi décidée pour un motif structurel dans l'intérêt de l'entreprise, afin d'enrayer la dégradation de ses résultats financiers ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher, comme elle y était invitée, si en l'état et au-delà des énonciations de la lettre de rupture, le licenciement économique de M. X... - dont la suppression des fonctions au site Pont-à-Mousson est constante - avait été décidé dans l'intérêt de l'entreprise et s'inscrivait dans le cadre d'un plan de recentrage, ayant entraîné une compression de personnel due à une baisse considérable des résultats financiers de l'ADEPA, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 321-1 du Code du travail ; alors, d'autre part, que le juge ne peut méconnaître les limites du litige, telles qu'elles sont déterminées par les conclusions des parties ; qu'en décidant néanmoins, que l'absence de tentative de reclassement ne permettait pas à l'ADEPA de se prévaloir d'une cause économique du licenciement, alors que M. X... ne soutenait pas que l'ADEPA aurait méconnu son obligation de reclassement, la cour d'appel a méconnu les limites du litige, en violation des articles 4 et 7 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, en outre, que le juge ne peut relever un moyen d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant néanmoins d'office, le moyen tiré de ce que l'ADEPA aurait méconnu son obligation de reclassement, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'obligation de reclassement est nécessairement dans le litige, lorsque la légitimité du licenciement de nature économique est contestée ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'ADEPA ne justifiait d'aucune tentative de reclassement a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est, enfin, fait grief à l'arrêt, d'avoir décidé que le licenciement de M. X... pour faute grave commise en cours de préavis, était abusif et d'avoir condamné en conséquence l'ADEPA à verser au salarié un solde d'indemnité compensatrice de préavis de 130 223 francs et une somme de 13 023 francs au titre des congés payés y afférents, ainsi qu'à rembourser à l'Assedic de Nancy, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage versées à M. X... du jour du licenciement jusqu'au prononcé de son arrêt ; alors, selon le moyen, d'une part, que les décisions des juridictions pénales d'instruction n'ont aucune autorité de chose jugée au civil ; qu'en décidant néanmoins, pour réfuter l'existence d'une faute grave, que le grief d'appropriation par le salarié du matériel appartenant à l'ADEPA, était hors de propos en raison du prononcé d'une ordonnance de non lieu, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil et 4 du Code de procédure pénale ; alors, d'autre part, que les juges du fond, même en présence d'une décision de relaxe au pénal, ne sont pas dispensés de rechercher si les faits reprochés au salarié, comme constitutifs d'une faute grave ne caractérisent pas une faute civile de nature à le priver de tout ou partie de ses indemnités ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si le grief de vol imputé au salarié ne caractérisait pas une telle faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-8, L. 122-9 et L. 122-14-3 du Code du travail ; alors, encore que les propos injurieux tenus par le salarié à l'égard de l'employeur ou de ses collègues de travail et le dénigrement de l'employeur, sont constitutifs d'une faute grave privative de l'indemnité de préavis ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si ces agissements portés à la connaissance de l'ADEPA le 7 mars 1993 par la secrétaire de l'antenne Lorraine, renouvelés à l'occasion de l'entretien préalable du 24 mars 1993, puis réitérés par le salarié au chef du personnel de l'ADEPA, le jour même de son licenciement, échappaient à la prescription de l'article L. 122-44 du Code du travail et se trouvaient ainsi fondés par des pièces régulièrement produites au débat par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-8, L. 122-9 et L. 122-44 du Code du travail ;
alors, enfin, que les derniers manquements professionnels constatés, à savoir le vol et les propos injurieux imputés à M. X... par l'ADEPA, permettaient aux juges du fond de retenir l'ensemble des faits précédents, même s'ils avaient été sanctionnés en leur temps par l'employeur, pour apprécier la gravité des agissements reprochés au salarié ; qu'en refusant de se livrer à cette appréciation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-8, L. 122-9 et L. 122-44 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté que les faits invoqués par l'employeur n'étaient pas établis et que les propos imputés au salarié s'inscrivaient dans le cadre de la contestation du licenciement qui s'est avéré illégitime ; qu'elle a pu décider que M. X... n'avait pas commis de faute grave ; que par ces seuls motifs elle a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association ADEPA aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille.