AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf février deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller MAZARS, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- NIZARD Gérard,
- X... Roger,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 24 novembre 1998, qui a condamné le premier, pour importation et vente de produits sous une marque contrefaite, à 20 000 francs d'amende avec sursis, et le second, pour vente de produits sous une marque contrefaite, à 8 000 francs d'amende avec sursis a prononcé la confiscation des objets saisis, et a statué sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur le pourvoi de Roger X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ; ,
II - Sur le pourvoi de Gérard Nizard :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de chose jugée invoquée par Gérard Nizard ;
"aux motifs que Gérard Nizard avait été mis en examen par un juge d'instruction au tribunal de grande instance de Strasbourg pour avoir à Geispolsheim (Bas-Rhin), Tinteniac (Ille-et-Vilaine), Pezenas (Hérault), Chauny, Laon et Hirson (Aisne), Parentis-en-Born, Liscarosse (Landes) et Abbeville (Somme), en août 1996, détenu sans motif légitime et sciemment vendu 17 280 blisters Artic, stylographes à bille de couleur reproduisant la marque Bic, marque déposée ; l'ordonnance de non-lieu du 23 janvier 1998 précisait que le juge d'instruction avait appris qu'une procédure était également en cours, sur diligences du Parquet de Laon, et qu'en comparant la saisine in rem délimitée par le réquisitoire introductif du procureur de Strasbourg avec le mandement de citation du Parquet de Laon devant le tribunal correctionnel de cette ville, les qualifications retenues par le Parquet de Laon s'avéraient plus larges que celles du Parquet de Strasbourg et les englobaient, tant pour la période des faits, des lieux de commission que pour les qualifications retenues, en sorte qu'on se retrouvait dans un cas de double poursuite simultanée portant bien au-delà des qualifications qui avaient pu être retenues d'un côté comme de l'autre, sur les mêmes faits matériels et que dans ces conditions, il n'y avait pas lieu de poursuivre plus avant la présente information et de prononcer un non-lieu fondé sur l'existence même de cette double poursuite et sur l'impossibilité d'instrumenter puisque le juge
d'instruction ne pouvait entrer en possession des objets litigieux ; certes, l'article 6 du Code de procédure pénale dispose que l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la chose jugée mais l'exception d'autorité de la chose jugée ne peut être valablement invoquée que lorsqu'il existe une identité de cause, d'objet de parties entre les deux poursuites ; or, en l'espèce, comme le magistrat instructeur se plaît à le souligner, les poursuites du parquet de Laon se sont avérées beaucoup plus larges que celles initialement envisagées par le parquet de Strasbourg ;
"alors qu'aux termes de l'article 6, alinéa 1, du Code de procédure pénale, l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la chose jugée et qu'il est également de principe que le même fait ne peut donner lieu contre le même prévenu à deux actions pénales distinctes et que l'arrêt qui constatait expressément que les faits visés par la seconde poursuite initiée par le parquet de Laon sur citation directe à l'encontre de Gérard Nizard étaient, au moins pour partie, identiques dans leurs éléments légaux et matériels à ceux qui avaient fait l'objet de la première poursuite à Strasbourg terminée par une décision de non-lieu définitive, ne pouvait, sans méconnaître les principes susvisés, rejeter l'exception de chose jugée invoquée par le demandeur" ;
Attendu que, pour rejeter l'exception tirée de la chose jugée, la juridiction du second degré retient que la décision de non-lieu a été rendue par le juge d'instruction de Strasbourg au seul motif de la poursuite concomitante sur citation directe de Gérard Nizard devant le tribunal correctionnel de Laon pour les mêmes faits ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations dont il résulte que l'ordonnance de non-lieu n'a pas l'autorité de chose jugée, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 212-1 du Code de la consommation, L. 716-9 et L. 716-11 du Code de la propriété intellectuelle, 121-1 et 121-3, alinéa 1er, du Code pénal, 6.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard Nizard coupable d'importation, vente, mise en vente et offre de produits ou de services sous une marque contrefaite ;
"aux motifs que Gérard Nizard s'est rendu en Chine au mois d'avril 1995 et c'est à l'occasion de ce voyage qu'il a passé commande de stylos auprès de la société Darton de Hong-Kong ;
par la suite, il est apparu que l'échantillon qui avait été envoyé à la société Codico ne correspondait pas au produit effectivement livré, le chef de dépôt de Codico n'ayant nullement remarqué que le produit livré ne correspondait pas au produit commandé ; même si Roger X... a acheté les stylos à Hong-Kong à la société Darton quelques jours avant l'inscription de la marque à l'INPI, au moment où il les a reçus, plusieurs mois plus tard, la marque était protégée et il aurait dû instituer des systèmes de contrôle systématiques dans son entreprise pour que la loi sur la protection de la propriété intellectuelle soit respectée ; à cet égard, il aurait pu demander à des sociétés spécialisées comme SGS ou Veritas qu'elles détectent les contrefaçons de manière systématique par l'inspection des marchandises avant leur expédition ; en outre, il aurait dû être d'autant plus prudent et diligent que les produits achetés proviennent de Chine, pays bien connu pour alimenter le marché mondial de la contrefaçon ; il en ressort que la négligence et l'imprudence de Gérard Nizard s'assimilent à une carence grave pour un importateur et caractérisent l'élément intentionnel de l'infraction ;
"alors que, si la mauvaise foi de l'importateur poursuivi en application des dispositions des articles L. 716-9 et L. 716-11 du Code de la propriété intellectuelle peut se déduire de l'absence de vérifications à leur arrivée sur le territoire national de la conformité des produits qu'il importe, cet élément doit être caractérisé sans insuffisance ni contradiction et que l'arrêt, qui s'est borné à faire état en termes vagues et imprécis de l'imprudence et de la négligence de Gérard Nizard, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes précités et de l'article L. 212-1 du Code de la consommation ;
"alors que, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que la carence du chef de dépôt de la société Codico relevée par l'arrêt n'implique pas, par elle-même, que Gérard Nizard, chef de cette entreprise, n'ait pas pris en sa qualité d'importateur, toutes mesures pour que les vérifications auxquelles il était tenu puissent être opérées et que, dès lors, la cour d'appel qui, abstraction faite de motifs erronés, n'a relevé aucune faute personnelle à l'encontre de Gérard Nizard, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121-1 du Code pénal" ;
Attendu que Gérard Nizard, président de la société Codico, est poursuivi pour avoir importé et vendu des stylos à billes contrefaisant la marque tridimensionnelle du stylo à bille à quatre couleurs " Bic" enregistrée à l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) par la société Bic ;
Attendu que, pour caractériser l'élément intentionnel des infractions et les imputer au prévenu, les juges d'appel retiennent notamment qu'aucun contrôle n'a été opéré au moment de la livraison de la marchandise commandée à Hong-Kong ; qu'ils énoncent que la négligence de Gérard Nizard constitue une carence grave pour un importateur ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant d'une appréciation souveraine, et dès lors que le dirigeant d'une personne morale qui n'a pas délégué ses pouvoirs est responsable de plein droit de l'infraction, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gérard Nizard, solidairement avec Roger X..., à payer à la société Bic la somme de 69 120 francs au titre du préjudice commercial direct ;
"aux motifs que le préjudice commercial résulte pour la société Bic du manque à gagner sur les ventes de stylos Bic "quatre couleurs" et que la Cour arbitrera à 2 francs par stylo, en l'absence d'autres pièces comptables fournies au dossier, soit 34 560 x 2 = 69 120 francs ;
"alors que le dommage résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité sans perte ni profit pour chacune des parties et que la cour d'appel, qui constatait expressément que la partie civile ne rapportait pas la preuve de son dommage, ne pouvait fixer arbitrairement des dommages-intérêts dus par le demandeur à la somme exorbitante de 2 francs par stylo bille" ;
Attendu qu'en évaluant comme elle l'a fait, la réparation du préjudice commercial subi par la société Bic, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né des infractions ;
Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Mazars conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;